Georges Chung Tick Kan (économiste) : « Il faut sauver l’emploi d’une manière nouvelle »

Économiste et ancien Senior Advisor au Bureau du Premier ministre, Georges Chung Tick Kan nous livre son analyse de la situation économique et des possibles solutions pour sortir de la crise. Il aborde aussi le projet air corridor dont il était le promoteur et le crash d’Air Mauritius.

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En tant qu’économiste, qui a été jusqu’à l’année dernière Senior Adviser au Bureau du Premier ministre, quelle est votre analyse de la situation économique du pays encore en confinement ?

– L’économie mauricienne est dans une situation de marasme bien pire qu’une récession. C’est le désastre, l’hécatombe. Mais tout au long de son histoire, vieille de plusieurs siècles, l’économie a su se relancer après une crise et, à mon avis, celle du coronavirus ne fera pas exception. D’autant plus que nous avons à notre disposition toute une technologie de pointe et une nouvelle manière de voir de l’économie avec plus d’injection monétaire et de gros projets qui vont aider au redressement qui sera, à mon avis, assez rapide. D’ailleurs, au moment où je vous parle, les actions de certaines compagnies d’aviation sont en hausse, parce que l’économie est en train de reprendre son souffle avec le déconfinement généralisé.

Pour rester à Maurice, est-ce que le fait de puiser Rs 78 milliards des réserves de la Banque de Maurice pour les mettre à la disposition du gouvernement est une des bonnes réponses à la situation de marasme économique ?

– Ce sera une bonne réponse si derrière ces Rs 78 milliards il y a des réserves de devises étrangères solides pour supporter toutes les utilisations de cette somme. Maintenant, si on fait fonctionner la planche à billets sans aucun support de devises étrangères solides comme le dollar américain ou l’euro, nous irons à la catastrophe. On ne peut pas faire fonctionner la planche à billets sans rien derrière. Donc, il faut qu’en contrepartie de ces Rs 78 milliards il existe quelque part à la BoM une somme équivalente en devises étrangères.

Est-ce le cas ?

– Il faudra aller poser la question au ministre des Finances et au Gouverneur de la Banque de Maurice.

La grande inquiétude de nombreux Mauriciens est le maintien de leur emploi. Surtout après le vote éclair du Covid 19 Bill, qui donne des pouvoirs supplémentaires aux employeurs en termes de renvois

– C’est pourquoi face à ce qui se fait actuellement, comme payer les salaires des entreprises à partir de la caisse du gouvernement, on doit mettre en place de grands projets. Des projets nouveaux dans, par exemple, l’agriculture reposant sur les technologies nouvelles essentielles au développement. Il faut surtout revoir notre manière de penser, de gérer dans tous les domaines pour faire face à la situation en remettant en cause tout ce qui semblait jusqu’à présent acquis.

Abordons un sujet qui fait actuellement débat et qui est source de grandes inquiétudes. Est-ce que Maurice aurait pu éviter de se retrouver sur la liste noire de l’Union européenne ?

– À mon avis oui. Je voyais cela venir depuis une bonne dizaine d’années. Il fallait respecter les engagements pris par Maurice auprès des grands pays et de l’Union européenne et les nouvelles lois et directives pour lutter contre le blanchiment d’argent. Si on l’avait fait depuis le début des années 2000, nous ne serions certainement pas aujourd’hui sur la liste noire de l’Union européenne.

Le budget national sera présenté la semaine prochaine. Quel devrait être, selon vous, l’axe prioritaire de ce budget ?

– Je reviens à une des questions précédentes : sauver l’emploi, mais d’une manière nouvelle. Il faut donner à tous ceux qui vont perdre leur emploi, à cause des conséquences de la crise, la possibilité d’en retrouver un autre. Il faut mettre à leur disposition une nouvelle plate-forme fondée, comme je vous le disais, sur les grands travaux dans différents secteurs : agriculture, tourisme, services, services financiers, etc. Il faut que ces Mauriciens se disent qu’ils peuvent et doivent trouver des jobs dans les nouveaux grands projets, probablement pas dans le même secteur que celui dans lequel ils travaillaient avant, mais qu’ils peuvent avoir un emploi au lieu d’aller grossir le nombre de chômeurs.

Que faut-il éviter à tout prix dans le prochain budget ?

– Il faut éviter de trop donner. Il faut dire aux Mauriciens : on vous a beaucoup donné depuis l’avènement de l’économie sociale, qui date de cinquante ans, il faut maintenant se remettre au travail et voir comment contribuer à créer de la richesse plutôt que d’en jouir.

Comment faire comprendre cette nouvelle donne à un pays dont les habitants ont été habitués, par des générations de politiciens, plus à recevoir qu’à produire ?

– Il suffit de leur dire de regarder comment fonctionnent les Chinois, les Japonais et les Singapouriens, entre autres. C’est-à-dire qu’il faut changer notre manière de vivre et se dire que nous existons pour gagner notre vie et pas pour quémander.

Au PMO, vous étiez également en charge du dossier du métro léger devenu Express. Êtes-vous satisfait des résultats du métro sur les embouteillages urbains qu’il était censé faire disparaître, sinon tout au moins les diminuer ?

– Dans la nouvelle manière de vivre, il faut également une nouvelle manière de voyager, de se déplacer. Le temps des grosses cylindrées ne transportant qu’une ou deux personnes est à proscrire. Faire comprendre et accepter qu’il nous faut changer de manière de nous déplacer d’un point à l’autre fera les beaux jours du métro au cours des prochaines années. Il faut aller chercher les voyageurs chez eux pour les emmener au métro avec un feeder system…

…qui est loin d’être efficace aussi bien pour les utilisateurs que pour les compagnies d’autobus et qui, en plus, ne diminue pas les embouteillages…

– Je vous concède que ce feeder system ne fonctionne pas comme il le faut, pour le moment. Il faut que ce système marche non seulement du domicile à la gare, mais également de la gare au lieu de travail ou à la destination du voyageur. C’est dans cette direction qu’il faut travailler pour que le Metro Express joue pleinement son rôle dans le développement de Maurice.

Puisque vous prônez les grands travaux, il coule de source que vous êtes pour la continuation de la deuxième phase de construction du Metro Express

– Bien sûr, d’ailleurs, les travaux entre Quatre-Bornes et Curepipe ont recommencé et j’irai même plus loin : il faut étendre le Metro Express aux quatre coins du pays. Si on arrive à inculquer aux Mauriciens que le métro est le moyen de transport indispensable pour se déplacer à Maurice, nous allons faire d’énormes économies dans beaucoup de domaines. Il faut arriver à bien sensibiliser, bien informer et bien diriger dans un premier temps par des méthodes soft et après, si les gens persistent à ne pas vouloir comprendre, utiliser des mesures plus dures, au niveau financier. Beaucoup de villes dans le monde, comme Londres, par exemple, imposent une taxe pour tous les voyageurs qui sont seuls dans leur voiture et entrent dans le centre de la ville. C’est ce que j’appelle la méthode dure à laquelle on pourrait avoir recours si les gens n’arrivent pas à comprendre qu’il faut changer de manière de se déplacer à Maurice pour ne plus gaspiller de l’énergie et du temps pour les utiliser pour créer de la richesse nationale.

Vous avez été également au PMO Mr Air Corridor. Cette idée que vous avez proposée et défendue était censée augmenter considérablement le nombre de passagers d’Air Mauritius de l’Asie vers l’Afrique. Est-ce qu’en fin de compte, le corridor n’a pas été un des éléments qui ont mené Air Mauritius au krach financier ? 

La vérité se trouve dans les chiffres communiqués par l’aéroport de Changi de Singapour, qui dit qu’en 2017, un an après  la mise en pratique du corridor, le taux de remplissage des trois vols d’Air Mauritius de Singapour à Maurice était passés de 70 à 85% et parfois même à 90%. C’était la première fois qu’on parlait de transformer Maurice en un hub avec des dizaines de compagnies aériennes transportant des dizaines de milliers de passagers. Mais le CEO d’Air Mauritius d’alors, Megh Pillay, était contre et avec le management et son senior staff, il a mis toute son énergie à faire échouer le projet au lieu de le soutenir. On a gaspillé une occasion en or. L’aéroport de Changi recevait des millions de passagers et on se disait que Maurice aurait facilement pu, avec le corridor, prendre, ne serait-ce que 100 000 de ces voyageurs.

Peut-on encore sauver Air Mauritius après son krach financier et les conséquences de la pandémie sur l’aviation et le tourisme international ?

– La déroute de MK a commencé en 2007, quand le hedging a fait perdre Rs 6 milliards à la compagnie, en réduisant du coup 50% de sa valeur intrinsèque. Mais cela étant, je crois que dans quelques mois, Air Mauritius va redécoller si elle est amincie, débarrassée de ses mauvaises graisses et son surendettement et son manque de vision. Le problème d’Air Mauritius est qu’elle s’est toujours comportée en situation de monopole, avec une aversion extraordinaire pour la compétition en général et la mise en place d’une compagnie régionale. Débarrassée de ces pesanteurs qui l’ont tiré vers le sol et avec un nouveau fonctionnement et une vision, Air Mauritius peut être une compagnie aérienne performante.

Pourquoi n’êtes-vous plus Senior Adviser au Bureau du Premier ministre depuis l’année dernière ?

– C’est une décision personnelle que j’ai prise parce que je ne me sentais plus utile au PMO. Cela étant, je suis toujours directeur du conseil d’administration du Metro Express et des mes entreprises, qui fonctionnent bien malgré la crise, et qui ont besoin de moi plus que jamais.

 

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