Gilberte Chung (Directrice du Service diocésain de l’éducation catholique) : « Des règlements de la PSEA freinent des initiatives »

Le premier trimestre scolaire 2019, qui prend fin vendredi, a été dominé par les débats sur la régression de la performance des étudiants aux examens de School Certificate (SC), avec pour conséquence une importante réduction du nombre d’admissions en Lower VI cette année. Gilberte Chung, la directrice du Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC), livre ses réflexions sur la performance des collèges catholiques dans un système de “mixed abilities”, en vigueur dans ce secteur depuis 2005. Elle défend la décision de l’Église, même si la majorité de ses établissements ne font plus partie des “high demand schools”. Si ce concept a le mérite de regrouper des enfants ayant différentes performances académiques, en revanche, les collèges catholiques doivent perpétuellement faire preuve de créativité dans leur pédagogie pour s’assurer que tous les enfants soient pris en considération dans l’enseignement. Problème : certaines initiatives sont rejetées par la Private Secondary Education Authority (PSEA).

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Nous sommes à la fin du premier trimestre scolaire. Comment le secteur éducatif catholique a-t-il vécu ces trois premiers mois de 2019 ?
En général, cela s’est bien passé pour l’ensemble du secteur et nous terminons ce premier trimestre sur une note positive. Pour les élèves qui sont entrés en Grade 1 et en Grade 7, cela aura été un temps d’adaptation mais ils ont été bien encadrés. Nous avons mis en chantier tous les projets du ministère aussi bien que ceux qui sont propres à notre secteur, et je peux dire que nous sommes “on target” par rapport à ce qui était prévu à l’agenda de travail.

La nouveauté au secondaire est l’introduction en Grade 7 (Form I) de “Religious Education and Intercultural Education” et les élèves aussi bien que les enseignants ont eu leurs manuels de travail à temps pour commencer l’enseignement de cette nouvelle matière sur de bonnes bases. Les enseignants concernés ont obtenu une formation initiale et nous avons prévu un programme de formation continue pendant les vacances de Pâques. Nous organisons le 15 avril une journée de formation sur le thème “Challenges of beginning teachers” à l’intention des nouveaux membres du personnel académique du secondaire et pour ceux ayant moins de cinq années d’expérience.

En outre, il existe depuis le début d’année dans nos écoles un protocole, concernant la drogue, que le secteur a préparé. Nous finalisons en ce moment un protocole sur la protection des enfants en prenant en considération celui lancé le mois dernier par l’évêque de Port-Louis, le cardinal Maurice Piat concernant les procédures à suivre dans le cas d’allégations d’abus sexuels sur mineurs par des personnes en responsabilité auprès des mineurs.

Venons-en à la baisse de performance aux examens de SC/HSC depuis plusieurs années, vos écoles aussi sont concernées… Avez-vous procédé à une analyse de ce problème dans votre secteur ?
On ne peut aborder la baisse de performance académique de nos écoles sans prendre en considération la performance générale pour l’ensemble de la République. Il est bon de souligner que le secondaire catholique ne fait pas partie des “National Colleges”. Nous sommes intégrés dans la catégorie “Collèges régionaux”. Et lorsqu’on compare les résultats de nos établissements à ceux des collèges avoisinants, que ce soit les “State schools” ou les collèges privés, il n’y a pas de grande différence au niveau du HSC. Nous avons enregistré les mêmes résultats et, dans certains cas, nous avons mieux fait que les autres. En ce qu’il s’agit du SC, hormis la bonne performance habituelle des “National Colleges” et celle d’un petit groupe de “high demand regional schools” privés et d’Etat , la baisse de performance affecte la quasi-totalité des autres établissements régionaux.

Peut-on savoir dans quelle catégorie se trouvent les collèges catholiques ?
Les Mauriciens croient que nous sommes toujours dans la catégorie des “high demand schools” alors qu’en vérité, il n’en reste que trois ou quatre dans notre secteur. De nos jours, le premier choix d’un parent pour les études secondaires de son enfant porte sur un collège d’Etat à haute performance et, en deuxième lieu, il optera pour un établissement catholique ou pour un collège privé non-confessionnel. En plus, un bon nombre d’admis dans le secondaire d’Etat seraient peut-être venus dans nos écoles s’il n’y avait pas le concept “mixed abilities”. Alors que la plupart des collèges admettent les enfants en Grade 7 selon le critère de meilleurs résultats obtenus à la fin des études primaires, nos écoles accueillent les élèves avec différentes aptitudes au niveau académique et nous leur donnons la possibilité de s’améliorer par le biais d’un accompagnement personnalisé. C’est pour cette raison que certaines de nos écoles obtiennent des résultats faibles aux examens de SC.

Est-ce à dire que le “mixed abilities” serait un échec ?
Pas du tout. Il y a deux philosophies qui s’affrontent dans le secondaire à Maurice : d’un côté l’élitisme dur qui prévaut dans les “National Colleges” et, de l’autre, l’école comme une mini-société et privilégiant le vivre-ensemble des enfants mauriciens avec tous les types d’intelligence et venant de toutes les couches socio-économiques. C’est précisément à cette philosophie que l’éducation secondaire catholique adhère et nous ne reculerons pas devant cette prise de position. Nous faisons régulièrement une évaluation de la mise en pratique de ce concept et nous y apportons les ajustements nécessaires en fonction des nouveaux besoins des élèves et de la transformation de la société. Mais nous venons d’initier une analyse scientifique en profondeur de ces 14 années d’expérience de “mixed abilities” et les conclusions de cet exercice nous indiqueront les nouvelles orientations pour l’avenir. Mais en attendant, nous ne nions pas qu’il y a des performances académiques diverses dans notre secteur. Et c’est pour cela que certains établissements sont plus cotés que d’autres.

Mais prenez-vous soin aussi des “high-flyers” qui sont chez vous et les encouragez-vous à atteindre l’excellence ?
J’avoue que la question de savoir comment garder l’équilibre dans l’enseignement dans un système de “mixed abilities” a toujours été le débat dans le secteur secondaire catholique car il faut s’assurer que tous élèves soient pris en considération en classe et veiller à ce que personne ne soit pénalisé dans ce souci de l’éducation catholique d’accorder une attention personnalisée. Normalement, les élèves qui sont d’un bon niveau à l’entrée au secondaire restent de bons éléments . Les “high-flyers” doivent continuer à progresser et il n’y a aucune honte à vouloir viser l’excellence. Lors de nos réunions de travail, les recteurs nous affirment qu’aucun enfant n’est mis de côté en classe. Puisque tous les enfants à nos yeux sont égaux, le temps que nous consacrons à chacun d’entre eux devrait être égal, tout en gardant en tête que le plus faible a davantage besoin d’une aide particulière.

N’êtes-vous pas arrivés à trouver la bonne formule pédagogique après 14 ans de mise en œuvre de “mixed abilities” ?
Si. Mais nous devons perpétuellement être en recherche car il faut toujours améliorer notre manière de faire. Au début du “mixed abilities”, nous avions proposé des programmes de formation à l’intention des profs assez régulièrement et nous avons eu recours aux “personnes-ressources” de l’extérieur pour donner cette formation. Nous reconnaissons que ce nous avons entrepris jusqu’ici n’est pas suffisant et demande un renforcement. Par la suite, les écoles ont pris elles-mêmes des initiatives pédagogiques en fonction des besoins de leurs élèves et nous apprécions leurs efforts. Chaque année, nous voulons innover au niveau de l’organisation de la classe afin de répondre aux besoins spécifiques de chaque élève, mais la PSEA met un frein à notre élan en brandissant toutes sortes de règlements datant de plusieurs décennies et qui méritent d’être dépoussiérés. Comment le prof pourra-t-il apporter une attention spéciale aux élèves s’il a sous sa responsabilité 30 ou 40 élèves par classe et qu’il fonctionne dans un cadre rigide imposé par la PSEA ?

Est-ce que vous faites allusion au “time-table” journalier, qui date d’une époque révolue ?
La PSEA insiste sur le respect d’un modèle de journée scolaire uniforme datant de plusieurs décennies et à laquelle tous les collèges bénéficiant des “grants” doivent se conformer. Au cas contraire, vous risqueriez une suppression de cette aide gouvernementale. Cet organisme autorise la diminution du nombre d’élèves par classe seulement lorsqu’il y a personnel surnuméraire, alors que la demande des collèges pour un nombre réduit d’élèves vise des objectifs pédagogiques. Il y a un défi à relever en ce qu’il s’agit de la qualité des résultats dans des “core subjects” comme l’anglais, les mathématiques et le français, et certains de nos collèges ayant trois classes de Grade 7 ont pris l’initiative à l’heure de l’enseignement de ces matières de regrouper les élèves en quatre groupes, mais la PSEA n’a pas permis à ces écoles de poursuivre avec cette initiative pédagogique, qui avait pourtant des retombées positives. Peut-être que la PSEA n’a pas compris la portée pédagogique de la démarche de ces écoles. Nous sommes au courant que d’autres collèges privés ayant voulu eux aussi apporter certains changements dans le déroulement des classes ont essuyé un refus de la part de la PSEA.

Que fait le SeDEC pour améliorer la performance dans ses établissements ?
Depuis l’an dernier, nous organisons régulièrement des réunions de travail et des sessions de formation pour les chefs d’établissements, les Heads of Departments, les Section Leaders et les Senior Educators afin que tout le monde aille dans la même direction. Et nous visitons aussi les écoles pour leur donner l’encouragement nécessaire. Je peux vous assurer que nous déployons tous nos efforts sur l’aspect pédagogique. Dans l’intérêt de la profession d’enseignant et de celui des enfants, nous mettons également l’accent dans nos programmes de formation sur la notion de “responsability and accountability”. En outre, les écoles se sont rendu compte d’elles-mêmes des différences de niveau dans notre secteur et il y a eu un sursaut de leur part pour améliorer la situation. Elles ont liberté de prendre des mesures correspondant au contexte de leur école respective et je constate que le personnel fait preuve d’imagination et de créativité. S’il est vrai que dans certaines écoles les initiatives ont commencé à donner des résultats encourageants, en revanche, dans d’autres, la progression des élèves est beaucoup plus lente.

À la suite de vos différentes initiatives, quelles sont vos attentes dans trois ans par rapport à la performance de vos écoles ?
Notre souhait, au SeDEC, c’est que chaque collège, quel que soit le profil socio-économique des élèves, arrive à rehausser son niveau. Bien sûr, nous aurions souhaité que toutes nos écoles, indistinctement, obtiennent un taux de réussites élevé aux examens de SC/HSC, mais nous ne voulons pas mettre la pression sur aucune école car nous sommes au courant de leurs réalités de tous les jours. En revanche, les chefs d’établissements, régulièrement, à l’assemblée du matin, disent aux élèves qu’ils ont le potentiel de donner le meilleur d’eux-mêmes. Pour certains, ce “meilleur de soi-même” signifiera 100% de réussites et, même, viser une bourse d’Etat, tandis que pour d’autres, le “meilleur de soi-même”sera 60% ou 40% de réussites. Mais le plus important, c’est que chacun arrivant à la fin de l’année scolaire aura donné le meilleur de soi-même.

Peut-on avoir une idée de la priorité du SeDEC pour les années à venir concernant le volet du secondaire ?
Je voudrais préciser encore une fois que les collèges catholiques restent dans la filière de “General Secondary Education”. Nous constatons ce qui se passe autour de nous par rapport à la réforme du ministère de l’Education et nous prenons note aussi des besoins du pays. La préoccupation première du SeDEC est l’avenir. D’abord, il faut améliorer et consolider ce que nous avons de bien déjà et, ensuite, nous sommes en train de planifier l’avenir en revoyant les orientations académiques de chaque collège en ce qu’il s’agit des combinaisons des matières.

Actuellement, nos collèges offrent toutes les filières au HSC et certains ont constaté qu’ils sont très bons dans un domaine en particulier, et dans lequel nous pensons qu’il faudrait les encourager à développer ces atouts. De l’avis de plusieurs responsables de collège, il n’est pas nécessaire d’offrir toutes les filières d’études dans toutes les écoles. À titre d’exemple, certaines écoles pourraient se spécialiser dans les filières techniques, car le pays a besoin de bons techniciens et de bons ingénieurs. Nous voulons aussi avoir une présence renforcée dans la formation technique car, pour l’heure, nous avons une seule institution à vocation technique dans le diocèse de Port-Louis, et qui est le Collège Technique Saint Gabriel. Cette école, qui existe depuis plus 40 ans, est la doyenne de la formation technique dans le pays et a formé plusieurs dizaines de milliers de Mauriciens. Cependant, elle ne figure pas dans le système de l’Éducation nationale et, de ce fait, ne bénéficie d’aucun “grant” du gouvernement, contrairement aux centres du MITD.

Cela fait bientôt deux mois que le cardinal Piat a présenté lui-même au PMO le projet de l’Église pour la création d’un lycée technique et professionnel, et a demandé un soutien de l’État pour la réalisation de ce projet. Peut-on connaître la réponse du gouvernement à ce sujet ?

Nous n’avons pas eu de réponse à notre requête et nous portons tous nos espoirs sur le prochain budget pour donner suite à ce projet. Nous espérons que l’État reconnaîtra que notre apport dans la formation technique pourrait lui être d’un soutien additionnel.

Les collèges catholiques sont-ils prêts pour affronter les premiers examens du National Certificate of Education, prévus en 2020 et qui sont organisés à la fin du Grade 9 ? Ne pensez-vous pas que la population surveillera de près la performance de vos collèges ?
Comme dans beaucoup de collèges d’Etat et du privé, il y a une certaine appréhension dans notre secteur. Nos écoles comprennent les enjeux et nos enseignants font beaucoup d’efforts dans la préparation des élèves pour cette première année. Cependant, nous devrions tous attendre que les premiers résultats tombent pour pouvoir faire une analyse de la situation. Je pense que la performance au NCE sera un reflet des résultats de l’ex-CPE, c’est-à-dire qu’un petit groupe d’élèves excellera, un autre groupe sera dans la moyenne et environ 30% à 40% seront en grosses difficultés d’apprentissage. Je ne crois pas que les admis dans l’Extended Stream seront prêts à prendre part à ce nouvel examen national à la fin du Grade 9, à moins d’avoir un “scafolded exam”, c’est-à-dire un examen avec différents niveaux, et on pourrait par exemple avoir le NCE Level 1, NCE Level 2 et NCE Level 3. Mais si on maintient un seul questionnaire pour l’ensemble des élèves de Grade 9, les admis dans l’Extended Stream ne pourront traverser l’étape du NCE, même après quatre ans d’études. Les résultats du dernier National Assessment Grade 9 ont donné des indications quant à la performance dans l’ensemble des collèges du pays et il semble que dans beaucoup d’écoles, les résultats n’étaient pas brillants dans plusieurs matières. Quel sera l’avenir de ces 30% de jeunes qui ne réussiront pas au NCE ? Je suis inquiète pour cette catégorie d’enfants.

Quelle est actuellement la plus grande force, selon vous, de l’éducation secondaire catholique ?
Le dévouement et le sens d’appartenance de notre personnel à l’école ainsi que la qualité des relations humaines dans nos écoles à différents niveaux demeurent notre plus grande force et sont un grand atout pour continuer dans notre mission de l’éducation. Même si quelquefois il y a des conflits, nous faisons en sorte que les dialogues se rétablissent.

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