HISTOIRE : Auguste Tristan Alphonse Gaud, secrétaire privé et aide de camp du Gouverneur Sir John Pope Hennessy

Auguste Tristan Alphonse Gaud naquit à Beau-Bois, Moka le 12 mai 1864 d’Alphonse Gaud, comptable et de Jeanne Félicie Grosse de Ténermont. Agé de 17 ans, il devint orphelin de mère et grandit au sein d’une fratrie de cinq soeurs et d’un frère, résidents avec leur père au quartier de Moka. Le 1er mai 1884, alors âgé de 20 ans, il entra au service civil de la colonie et devint le secrétaire privé et l’aide de camp du gouverneur Sir John Pope Hennessy en 1885 et 1888. Après le départ de ce dernier, il servit le major général Thomas Erskine Arthur Hall en 1889.
Au service du Gouverneur John Pope Hennessy
Alphonse Gaud fut le secrétaire privé et conseiller émérite de Sir John Pope Hennessy dont il écrivit la préface du livre « La vérité sur l’affaire de Sir John Pope Hennessy » par William Newton, avocat. Il se rangea auprès de nombreuses personnalités politiques de l’île pour prendre la défense de ce gouverneur qu’il servit pendant deux ans et qui fut le gouverneur le plus libéral que le pays ait connu.
Connu pour sa politique d’égalité des races dans une colonie multiraciale, cette réputation attira à Pope Hennessy la foudre des journaux locaux qui avaient commencé à le dénigrer. Il fut accusé d’avoir véhiculé des idées politiques trop libérales dans toute la colonie et de semer la dissension entre les différentes communautés. En 1886, Le Colonial Office délégua une Commission Royale présidée par Sir Hercules Robinson, alors gouverneur du Cap, pour enquêter sur l’administration de Pope Hennessy, mais ce dernier ne se présenta jamais devant la Commission et continua à gérer le pays sans s’y préoccuper. Sir Hercules Robinson décida alors d’employer une arme définitive pour le destituer et envoya une lettre officielle au Réduit pour l’informer qu’il n’était plus gouverneur de Maurice. 
Sir John Pope Hennessy fut obligé de quitter les lieux, mais resta à Maurice pour quelque temps encore, hébergé à Port-Louis chez des amis de Sir Virgile Naz qui fut son allié dans cette affaire d’État. Sir John retourna en Angleterre en avril 1887 pour se défendre, aidé de son avocat Sir William Newton. Suite aux dépositions des concernés, le secrétaire d’État britannique conclut que le rapport de Sir Hercules Robinson n’était fondé que sur des calomnies. Pope Hennessy fut donc exonéré et fut réinstitué gouverneur de Maurice. A son retour le 22 décembre 1888, en compagnie de son épouse et de ses enfants, il fut accueilli en grande pompe et acclamé par au moins trente mille personnes assemblées au Port-Louis. Du quai où il fut salué de vingt-et-un coups de canon, Sir John se rendit à l’Hôtel du Gouvernement puis au château du Réduit où il reprit ses fonctions de gouverneur jusqu’en décembre 1889.
Dans sa préface à Sir John Pope Hennessy, Alphonse Gaud témoigne de son admiration et son respect pour ce gouverneur qui aimait l’île Maurice : « Des trente gouverneurs qui se sont succédé à Maurice depuis 1910, aucun n’a autant aimé notre petit pays et n’a autant désiré son bonheur que Sir John Pope Hennessy. Pendant deux ans j’ai eu l’avantage de lui servir d’assistant-secrétaire privé, j’ai donc été bien placé pour l’apprécier et le juger et si l’on me demandait actuellement quel gouverneur m’a paru le plus aimé Maurice, je répondrais sans hésiter : Sir John Pope Hennessy. Un des principaux traits du caractère de Sir John que je ne saurais également jamais perdre de vue, c’est la véritable affection qu’il portait aux classes pauvres de la population. Il était impossible de les aimer plus que lui, et si je ne craignais d’abuser d’un mot politique, s’il fallait donner au mot démocrate la signification d’ami du peuple qu’on veut lui attribuer dans notre pays, je n’hésiterais pas un instant à dire que le premier démocrate à Maurice a été Sir John Pope Hennessy. »
Alphonse Gaud, littérateur et journaliste
Littérateur et journaliste, Alphonse Gaud fut en 1887 un des fondateurs avec Victor Pitot et le Dr H. D. Vitry, de la Revue Historique et Littéraire de Maurice. Au courant de la même année, plus précisément le 18 juillet, il quitte le pays et entreprendra deux voyages, l’un à Madagascar et l’autre à la Réunion où il séjournera presque six mois afin de découvrir l’île soeur avec un esprit de journaliste curieux, avisé et cultivé.
Pendant ce séjour à l’île de la Réunion, Alphonse Gaud participera à la vie active du pays à travers des rencontres de l’élite intellectuelle, politique et économique du pays, mais il visitera aussi les villes et les villages, les usines sucrières, les paroisses ainsi que des sites comme le Bernica, le Piton-des-Neiges, Cilaos et Salazie. Il participera même au développement et à l’évolution éducative de l’île tout en assistant à des évènements de distribution de prix dans les établissements scolaires et en faisant ressortir l’importance et le travail des congrégations religieuses dans le domaine de l’enseignement.
En matière d’activité politique et agricole du pays, il est présent à une séance du Conseil Général et applaudira le gouverneur d’alors Monsieur Richaud qui proposait que les cultures locales se diversifient et que la technologie industrielle se modernise. Gaud compare même le gouverneur Richaud au gouverneur anglais de Maurice, Sir John Pope Hennessy, pour être un chaud partisan des cultures secondaires. Suite à cet évènement, il visitera des sucreries, des distilleries et des féculeries où il rencontrera leurs propriétaires. Il recevra même de l’un d’eux, un sac de tapioca en cadeau.
Passionné de la poésie et de la littérature créole des deux îles, avec une admiration toute particulière pour les écrivains réunionnais Lacaussade et Leconte de Lisle, il rédigera suite à son séjour une série de chroniques qui seront publiées sous le pseudonyme de Pooka en 1888 dans le Journal de Maurice ainsi que dans la Revue Historique et Littéraire dont il deviendra le directeur le 1er juin 1890. Ce nom de plume Pooka, nous écrit Jean-Francois Hibon de Frohen, membre de l’Académie de l’Ile de La Réunion, n’est pas un nom choisi par hasard. A son avis, l’auteur faisait sans doute référence au Puck ou Pooka qui est une créature légendaire du folklore celtique. Il proviendrait surtout du folklore irlandais et présent également dans la tradition de l’ouest de l’Écosse et au Pays de Galles. Une autre explication que nous donne l’historien mauricien Antoine Chelin à ce nom Pooka est un hommage que rend l’auteur au gouverneur Pope Hennessy en utilisant la première syllabe de son prénom et la ralliant avec les deux syllabes de Moka, quartier où habitait l’auteur. Dans les deux cas de figure, on pourrait penser que le choix de ce pseudonyme avait certainement un lien avec le gouverneur irlandais qu’Alphonse Gaud avait servi pendant deux ans et grandement estimé.
En 1891 Alphonse Gaud décrit à travers l’une de ses chroniques le bal du Gouvernement qui fut l’un des bals les plus en vue de la vie mondaine de l’île Maurice où un nombre important de personnalités du pays fut présent. Sir Charles et Lady Lees accueillaient à l’Hôtel du Gouvernement leurs invités dont : Le Général et Lady Louisa Hall, M. et Mme W. Newton, le Dr et Mme Meldrum, M. et Mme G. de Coriolis, M., Mme et Mlle Guibert, le Dr et Mme Rohan, M. et Mme Galéa. M. E. de Rochecouste, le colonel et Mme Galway, le colonel Elias, le capitaine et Mme Wilson, M. et Mme Coutanceau, M. le Dr Laurent, H. E. Desmarais, A. Wilson, M. P. L. Chastellier, M. de Chazal, etc.
En 1892, c’est un pique-nique à Beau-Bassin qui est décrit. Ce fut un rassemblement de plus de 250 Mauriciens de Curepipe, Rose-Hill, Port-Louis, Flacq et Moka venus à Harewood Park, lieu du pique-nique et immense domaine de Monsieur Villemain. Parmi la foule, citons des dames et demoiselles dont : Mlles dUnienville, Duponsel, de La Hogue, Esnouf, Rivière, Labistour, de Chazal, Bouic, Théveneau, Desvaux, Fayd’herbe, Dubois, Périndorge, Amic, Mmes Barbé, Genève, Lacoste, Chevreau, etc.
Les chroniques de voyage de 1888 d’Alphonse Gaud furent transmises au fur et à mesure dans son Journal et ce n’est qu’un an après qu’elles seront réunies dans un ouvrage intitulé « Choses de Bourbon ». Ce livre ne fut tiré qu’à 50 exemplaires et ne fut jamais vendu en librairies. La première édition du livre par l’imprimerie du Journal de Maurice, sise rue de La Corderie, Port-Louis, date de 1888. L’année suivante, il fut réédité par l’imprimerie Engelbrecht et Cie. L’auteur offrit des exemplaires à ses amis et à des connaissances dont Albert Rae, Théodore Sauzier et M. du Buisson directeur du Sport colonial de la Réunion.
Alphonse Gaud comptait parmi ses amis de lettres Ange Galdemar écrivain et littérateur mauricien qui lui dédicaça un de ses ouvrages.
Grande et reconnaissante est l’initiative de l’Académie de l’île de la Réunion et de ses promoteurs Jean Francois Hibon de Frohen et Alain Vauthier, d’avoir tiré une nouvelle édition de ce livre rare qui vit le jour en 2016. Cet ouvrage permet au lecteur passionné d’histoire et de littérature de se plonger dans la vie et les moeurs réunionnaises de la fin du 19ème siècle que l’auteur Alphonse Gaud, dit Pooka, dépeint avec une plume véridique, vivante, sensible et amicale. La société et les moeurs de l’île de la Réunion sont décrites avec détail et précision, toujours en comparaison avec celles de l’île Maurice. L’auteur fait ressortir que les deux grandes Mascareignes sont vraiment des îles soeurs ayant beaucoup de points en commun Alphonse Gaud mourut hélas trop jeune, car il aurait certainement contribué encore dans le domaine littéraire de son pays, mais ses écrits restent une grande valeur pour l’étude culturelle de la société des deux îles. D’ailleurs la Revue Historique et Littéraire de Maurice dut en partie sa renommée grâce à la contribution littéraire qu’il y apporta, car elle fut couronnée par l’Académie des Palmiers, de France en 1889 en obtenant la médaille d’or de 1ère classe. Gaud écrivit encore d’autres chroniques dont : Voyage à Tamatave, La Soirée du Gouvernement, Chronique anecdotique – Sir John Bowen, Sir John Pope Hennessy, L’amiral Gore Jones, une biographie du Père Mac Donald, etc. Il décèdera à Helvétia, Moka le 3 juillet 1896 à l’âge de 32 ans. Sa sépulture se trouve au cimetière de Saint-Pierre-ès-Lien. Passants, une larme à sa mémoire.
Et maintenant, mon petit livre, va
Va où le vent te pousse. Va où te portent les flots.
Que si une vague, grosse comme les vagues de la rade de Saint-Denis, te rejette, un jour, avec les galets, sur le rivage de l’île soeur, sois auprès des Bourbonnais, mon messager et mon interprète fidèle.

A tous ceux qui m’ont comblé d’attentions, de politesses, de marques de sympathie et d’amitié, porte ma reconnaissance la plus vive, mon souvenir le plus affectueux.
Va ! De loin mon coeur et mes yeux te suivent, – et qui sait ? Iront peut-être, un jour, te rejoindre
Pooka

Moka, île Maurice, 12 mai 1888

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