Human Story – Le coup parfait de Sada Rajiah : De l’école de la rue au septième art

Tout comme le titre de son long-métrage, le Coup Parfait, Sada Rajiah, le réalisateur, a réussi à se retrouver sous les feux des projecteurs. On penserait que sa vie a toujours été faite de paillettes mais la rencontre avec lui a été bouleversante. L’homme parle de son parcours de réalisateur dans la rue, sur ce coaltar qui a été sa force, de sa survie dans la forêt, où, enfant, il avait été oublié pendant une semaine. Son passé, il le recompose aujourd’hui avec sa sensibilité de gamin devenue sa force d’homme.

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Barbe hirsute et portant un blouson noir, qu’il serre contre sa poitrine, Sada Rajiah a les yeux et la voix remplis d’émotion. Il se souvient que sa scolarité ne semblait pas lui promettre des lendemains meilleurs. Sa véritable histoire commence à l’âge de 4 ans grâce au frère Julien Lourdes qui l’encadre et qui l’aide à développer ses talents d’acteur dans des théâtres en plein air. « Lontan ti ena bann fim Charlie Chaplin. Pa ti ena televizion dan mo lakaz . Mo ti kontan konpoz mo bann prop personaz kouma enn loulou. Mo ti ankor enn baba, 4 an », dit-il. La rue, il la connaît et chaque sentier lui rappelle le bruit de ses pas et de ses savates, qui émettaient des sons en raclant les pierres. Sa détermination à faire fi du regard des autres,l’entraînera à faire de menus boulots, celui de vendeur de pistaches avant de décrocher un autre job dans la charbonnerie. Il avait alors 11 ans, l’âge où tous les rêves d’adolescent prennent forme, mais la vision du jeune Sada se pose sur le coaltar. Il aime être entouré de gens démunis et s’inspire, dit-il, « de leur grandeur d’âme ». Il ajoute : « Pena fer sanblan, tou vinn par leker. »

De l’ombre à la lumière

Issu d’un milieu défavorisé entre un père laboureur et une mère femme au foyer, avec à leur charge huit enfants, Sada, lui, rêve de faire de son ombre une lumière. « À 11 ans, j’étais payé Rs 14.90 par jour pour faire fuir les oiseaux qui s’attaquaient à l’agriculture de riz. Sa lepok-la pa ti ena lalwa pou bann zanfan ki travay », explique-t-il. Sa vie sera ainsi tracée avant qu’il ne se trouve un autre boulot dans un parc de cochons. « C’est l’expérience, la vie qui m’a fait être un homme. » Aimant les cours d’eau des rivières, la forêt, Sada relate qu’un jour son frère, qui l’accompagnait, était tombé malade et a dû se rendre à l’hôpital. « Li finn blie mwa dan lafore. Mo finn res enn semenn laba, bwar delo larivier ek manz sa ki mo trouve otour de mwa. Mo frer finn revinn mem landrwa e mo finn resi sorti », raconte Sada. Il travaillera même comme machiniste dans une usine de textile avant de se joindre à un chantier de construction, puis au service de nettoyage de la CEB.

Marié et père de trois enfants, il a dans le regard ce côté enjoliveur qui le pousse à croire qu’il y a du bon en chaque être humain. Sada Rajiah écoute la petite voix qui sommeille en lui, écrivant dans sa tête son propre film et, dès lors, tout ce qui l’entoure devient son public. Il confie avoir même fait un film sur les sans domicile fixe, et ce en vivant pendant plusieurs jours comme eux. Sada évoque l’indifférence des gens à leur égard. « La mendicité est mal vue et des deux côtés il y a un problème. L’un, qui lutte pour sa survie, et l’autre, indifférent devant la souffrance d’autrui », déplore-t-il.

À 26 ans, il réalise Le roi fou mais une image revient toujours à la surface pour le désarçonner. Il revoit encore ce directeur de la MFDC en 1996 qu’il avait sollicité pour un de ses fils. Le directeur, dit-il, l’avait nargué en lui demandant son CV. « Je lui ai dit que c’était dans la rue que j’avais appris à faire des films. Il m’a répondu : “Twa, to fim si to pann al lekol, mo zet li dan poubel.” Il a joint le geste à la parole. Je suis ressorti blessé… » Les égratignures de la vie, Sada en a fait sa carapace, son bouclier. Avec Désiré Prévost, qui l’assiste dans ses réalisations, il produit The Cost qui parle de la fibre maternelle et décroche avec son film de science-fiction, Boombastik, grâce à un concours d’Emtel et de Radio Plus en 2010, la somme de Rs 20 000. En 2016, avec la première édition du “7-day Challenge” de la MFDC, il reçoit le premier prix du jury des mains de sir Anerood Jugnauth. Un autre premier prix de courts-métrages, « Zanfan des îles », organisé pour la 11e édition du Festival Internasional Kreol, en 2016, lui permettra de décrocher Rs 50 000. Sada Rajiah surfera dès lors sur la vague du succès. « Un de mes films a même été projeté au Champ-de-Mars au cours du 48e anniversaire. Et ce même film a été nominé au festival de Jaipur », indique-t-il.

« L’image plus puissante que les mots »

Medy, une autre de ses œuvres disponible sur YouTube, fait couler quelques larmes et dépeint les tribulations d’un SDF— rôle endossé par Sada — en marge de la société et qui trouvera le salut à travers la bonté d’un enfant, qui finira par demander à son père de l’engager comme chauffeur. Chauffeur de taxi est aussi le métier qu’exerce actuellement Sada Rajiah qui soutient que c’est un métier qui lui a permis de recueillir des confidences et de mieux comprendre les aléas de la vie de tout un chacun. « Ce sont mes clients étrangers qui m’ont aussi aidé à faire rouler ma cuisine et à financer mes films », dit-il. Avec Le Coup Parfait, qui met en avant une prise d’otage dans un bus d’étudiants, Sada Rajiah reconnaît qu’il se frotte aujourd’hui au long-métrage. « Avec mon ami et associé Désiré Prévost, on a choisi d’aller un peu plus loin dans notre quête. Le petit Mauricien qui réalise doit aussi avoir sa chance. On a tendance à croire que seuls les “blockbusters” d’Amérique, avec des milliards injectés, qui cartonnent. Mais on est dans une île et le talent se trouve dans chacun de nous. Quand je fais un casting, je ne rejette personne. Celui qui ne parle pas peut être figurant et celui qui se présente bien est acteur. J’ai aujourd’hui une équipe de cinquante personnes, dont des étudiants de l’université, des gens qui travaillent et qui investissent leur temps, leur argent dans la production. Bientôt, je viendrai avec un autre film, 1970, qui démontrera que l’image est plus puissante que les mots », explique-t-il.

Sada Rajiah n’épargne aucun détail, de la simple comédie, aux histoires touchantes ou d’épouvante. Il concocte ses thrillers à sa sauce. Pour lui, hormis les moyens techniques, le coût financier d’un budget de réalisation, il y a aussi le charisme des comédiens qui est exploité. « Une personne, qui joue avec son cœur et son âme, est plus apte à figurer dans mon film. Car j’ai toujours enfoui au fond de moi ces paroles blessantes que certains grands patrons de l’audiovisuel me lançaient, disant que je ne valais rien car mon CV venait de la rue. C’est la rue qui m’a appris la vie et qui est devenue mon refuge. Le cinéma a connu une nette évolution au fil des années mais la mentalité est restée au beau fixe. Le cinéma mauricien n’a pas encore connu son apogée, ce déclic. On a tendance à croire que ce qui vient de loin est bon et mon message aux jeunes est de persévérer et de venir à ma rencontre. Je n’ai pas la prétention de tout connaître mais uniquement l’humilité de croire que le talent se développe sous un regard bienveillant. Avec The Dark Dreamer, en 2016, cet épisode pilote a été nominé en janvier 2017 à l’International Film Festival de Jaipur », souligne-t-il.

Sada Rajiah s’est construit et sa quête de réalisateur a pris forme. Il invite ceux qui veulent faire du cinéma à le rejoindre dans sa passion. Il organise ce samedi 11 août de 9 heures à 15 heures, à la Mauritius Film Development Corporation, à Floréal, un casting pour son prochain film 1970.

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