Incendie dans les champs de canne – Isabelle Remy Meunier: “Ne jouez pas avec le feu, des vies sont en danger”

Il ne s’agit pas du Portugal, de la Grèce ou de la Californie. Nous sommes bien à Maurice. Et ce n’est pas, non plus, le tournage d’un film mais une réalité bien mauricienne. 21 maisons situées à Petit Raffray ont pris feu. En cause, un feu de cannes! Une pratique courante à Maurice, mais déplorée car, outre la pollution provoquée, elle met en danger la vie des citoyens. Les victimes de ce récent incendie lancent un appel aux autorités: “Stop au feu de cannes. Cette pratique dangereuse est inadmissible! Renforcez les lois.”

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Hannibal, Aubergine et Noisette ont perdu la vie dans cet incendie qui a ravagé une vingtaine de maisons, dont deux bungalows, dans le quartier résidentiel Kapmayeu à Petit Raffray, le dimanche 29 juillet. Seule la dépouille du boxer Hannibal a été retrouvée par les pompiers. Aubergine et Noisette, les deux teckels, ont été calcinés tant le feu était conséquent. Isabelle et Ardwick Remy Meunier, les propriétaires de ces chiens, sont dévastés. Car au-delà d’avoir perdu leur maison, ils ont perdu leurs animaux de compagnie, leurs “enfants”.

Ardwick Meunier n’a rien pu faire! Il était sur place ce jour-là. Mais malgré l’aide des voisins et des pompiers, il est resté impuissant face aux flammes qui dévastaient sa demeure et celles des voisins.

C’était aux alentours de 13h. Généralement, Ardwick Meunier fait une sieste à cette heure. Mais ce dimanche, il s’affairait dans la cour lorsqu’il constate une épaisse fumée quelque 500 mètres plus loin. Au départ, il n’y voit pas de menace. Les feux sont fréquents dans la région à cette époque de l’année. Il appelle, néanmoins, les pompiers pour donner l’alerte, se disant que lorsqu’il y a un feu dans les champs, cela s’arrête avec la route. Il n’y a, donc, pas de danger.

Mais en deux, trois minutes, l’énorme panache de fumée s’est rapprochée. Attisées par le vent, les flammes ont gagné les maisons. “J’étais paniqué! Je voyais que tout partait. Le feu ravageait nos maisons. Elles brûlaient les unes après les autres. Avec des voisins, on est monté sur le toit pour tenter d’éteindre le feu avec un extincteur, car les pompiers n’arrivaient pas. Ils étaient pris ailleurs dans d’autres incendies. Et nous ne sommes pas parvenus à sauver les maisons. C’était horrible!”, dit-il.

Les chiens qui couraient dans la cour, pensant que toute l’agitation autour du quartier Kapmayeu relevait d’un jeu, ont soudain été pris de panique lorsque des vitres et autres éléments ont volé en éclats. “Ils ont, sans doute, pensé qu’il s’agissait de pétards car cela faisait un bruit énorme. Et ils ont pris peur. Ils sont entrés se réfugier dans la maison”, relate Ardwick Meunier.

“Tout est fini, on a tout perdu!”

Isabelle Remy Meunier, elle, n’était pas à Maurice. Elle a appris la nouvelle à travers le comité de vigilance du quartier qui a envoyé une photo de sa maison en feu via leur chatgroup. “Quand j’ai vu cette alerte, j’ai su que tout était foutu. Je perdais ma maison.” Immédiatement, elle tente de joindre son époux au téléphone. C’est en larmes que celui-ci lui répond. “Tout est fini, on a tout perdu!”, lui dit-il, conscient qu’il ne lui restait que le jean et le caleçon qu’il avait sur lui, ce jour-là. Pas une scène de film, mais la dure réalité!

Les Meunier ne sont pas les seules victimes. Vingt autres demeures ont pris feu. Les pompiers ont tardé à arriver sur les lieux. “Mais ce n’est pas vraiment leur faute. Il y avait d’autres incendies. Et ce n’était pas évident d’être là tout de suite. Avec le vent, le feu se propageait trop vite. De plus, le camion qui est arrivé manquait d’eau car il avait été sur un autre site juste avant”, raconte Ardwick Meunier. Quelques maisons n’ont pas été totalement détruites, mais pour beaucoup, les dégâts sont irréversibles. Il faudra reconstruire.

Si Isabelle et Arcwick Remy Meunier, qui ont trouvé refuge chez des amis, entre-temps, sont sous le choc d’avoir tout perdu, dont leurs chiens, ils sont surtout en colère. Les feux de cannes, ils connaissent. Il y a trois ans, en raison d’un feu de cannes non loin de leur quartier, ils avaient dû évacuer leur maison. Mais cette pratique – fréquente à Maurice, avec l’objectif pour certains planteurs d’éviter le dépaillage et, parallèlement, en déclarant un incendie criminel, de toucher une prime assurance – est devenue dangereuse.

“Aujourd’hui, les gens quittent les villes pour habiter dans des endroits retirés afin de jouir de la vue et de la tranquillité. C’est pourquoi des morcellements s’installent un peu partout dans les champs de cannes. Mais certaines personnes, dont les planteurs, ne réalisent pas que les champs de cannes deviennent des habitations. Ils font comme ils veulent à côté, dans leur propriété, certes, mais sans tenir compte de la communauté”, déplore Isabelle Remy Meunier. Et de se dire en pleurant: “Mon mari aurait pu être à l’intérieur de la maison. Je l’aurais perdu lui aussi. On a eu de la ‘chance’.” Les larmes aux yeux, elle demande: “Ne jouez pas avec le feu, des vies sont en danger.”

Comme les Meunier, plusieurs voisins qui ont perdu leur maison ou subi de gros dégâts matériels s’offusquent de cette situation. “Chaque année, c’est la même chose durant la période de coupe”, déplore un résident de Kapmayeu. Il y a quelques jours, un feu a éclaté dans un champ de cannes à 200 mètres de la station d’essence de Grand Baie. “Imaginez les dégâts que cela aurait eu s’il y avait du vent!”, dit-il. Et de s’interroger sur les raisons derrière ces feux de cannes. “Il y a des accidents, mais la plupart du temps, ce sont les planteurs eux-mêmes qui mettent le feu pour toucher une prime en déclarant des dégâts de leur champ”, s’indignent les Meunier. Ces “pyromanes” profitent surtout des dimanches ou jours féries, quand les propriétaires sont sortis, pour allumer le feu, disent-ils.

Ardwick Meunier soutient avoir vu quelqu’un courir en provenance du champ de canne, ce fameux dimanche 29 juillet. S’il était troublé pour finir de donner sa déclaration à la police le jour du drame, jusqu’ici, la police ne l’a toujours pas contacté pour qu’il explique ce qui s’est passé. “C’est comme si les autorités ne se soucient pas pour faire avancer les choses”, déplore-t-il.

Pratique courante pour éviter le dépaillage 

Pourtant, la loi est spécifique au sujet des feux, dit-il, faisant ressortir qu’il faut la permission des pompiers avant de faire brûler des déchets ou autres, et qu’il faut en toute circonstance une assistance des professionnels du feu. Ce que confirme aussi la Fire and Rescue Services, indiquant que la loi ne permet pas de mettre le feu aux champs de canne, à n’importe quelle autre plantation ou aux immondices, branches, feuilles mortes…  “Tout contrevenant est passible d’une amende et dans le cadre d’un incendie criminel, le coupable est passible de 10 ans d’emprisonnement”, apprend-on.

“Pourquoi alors on continue à mettre le feu dans les champs de cannes?”, se demandent les propriétaires de Kapmayeu. “Nous avons tout perdu et allons devoir reconstruire, petit à petit. Mais nous serons toujours sur notre terrain. Qu’arrivera-t-il demain si un autre de ces abrutis met le feu à son champ et que cela se propage une nouvelle fois?”, s’interroge Isabelle Remy Meunier. Aujourd’hui, dit-elle, non seulement elle a perdu sa maison et ses chiens, mais c’est aussi plusieurs personnes, des gens de maison, qui sont mis au chômage car ne pouvant plus travailler dans des maisons qui ont brûlé.

Une plainte commune a été déposée au CCID. En attendant que l’enquête se termine, les propriétaires lancent un appel aux autorités. “Il faut renforcer les lois. Ce n’est pas possible que des propriétaires de champs de canne fassent ce qu’ils veulent. Aujourd’hui, il y a des habitations dans les champs de canne. Ce sont des vies qui sont en danger”, rappellent-ils.


Conseillé de ne pas porter plainte

E.J., un promoteur immobilier, a vécu la même expérience que les propriétaires de Kapmayeu, Petit Raffray. À deux reprises, ses villas à Pointe aux Canonniers ont été détruites par le feu. Quatre la première fois et deux la seconde fois. Ce promoteur est indigné de la réaction des autorités. “Il n’y a aucune enquête. Je n’ai entendu parlé d’aucun suivi, rien!”, dit-il. Et chaque année c’est la même chose, les champs de canne prennent feu, les policiers viennent sur place pour constater les dégâts et, par la suite, on n’en entend plus parler, dit-il. Et de relater qu’il a même eu pour conseil “de ne pas porter plainte.” “Un chef des pompiers m’a clairement dit que ça ne valait pas la peine car les feux de cannes sont une pratique mauricienne”, lance-t-il. Pratique mauricienne ou pas, un feu de cannes est dangereux et illégal, font ressortir les victimes, qui ajoutent que c’est une aberration que les autorités ne s’en préoccupent pas.

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