INTERVIEW : La France était fatiguée de la droite, elle l’est déjà de la gauche, selon Alain Marsaud

Notre invité est Alain Marsaud, député de la dixième circonscription des Français de l’étranger, dont fait partie Maurice. Ancien juge, ancien député, membre de l’UMP, il nous propose son analyse sociale, économique et politique de la France socialiste depuis quelques mois. Dans le deuxième volet de cette interview, réalisée vendredi, Alain Marsaud parle davantage de la dixième circonscription des Français de l’étranger et de quelques uns de ses problèmes.
Vous avez été un des rares politiciens de la droite française à prévoir publiquement la défaite de Nicolas Sarkozy aux dernières élections. C’était d’ailleurs le titre de l’interview que vous aviez accordée à Week-End en avril dernier.
À défaut d’être un bon politique, je crois être un bon observateur de la vie publique française et de ce que ressentent mes concitoyens. J’avais perçu à l’époque qu’il n’y avait pas une adhésion à l’égard de François Hollande, mais plutôt une forme de rejet à l’égard d’un système qui n’avait pas fait ses preuves, et que dirigeait Nicolas Sarkozy. Cela n’a pas beaucoup changé. La situation économique et sociale est toujours difficile et aujourd’hui, 64% des français ne font pas confiance à François Hollande. C’est énorme.
Cela devrait réjouir l’homme de droite que vous êtes.
Ce n’est pas le cas. Ce qui est primordial pour moi, c’est l’intérêt de la France et comment on va se sortir de cette situation économique et politique. Mais je constate que nous venons d’élire un nouveau président et une nouvelle majorité et qu’on a une forme de rejet quatre mois à peine après les élections. On peut se demander quelle sera la situation en décembre ?!
Pensez-vous que la situation de la France aurait été meilleure si Nicolas Sarkozy avait été réélu président ?
Les décisions politiques et économiques prises n’auraient pas été les mêmes. Aujourd’hui, c’est l’idéologie socialiste qui est au pouvoir : plus d’impôts, très peu d’économie et de diminution de dépenses publiques. Le pouvoir d’achat de la maison France est en train de s’effondrer, et je ne vois pas aujourd’hui des éléments qui peuvent nous permettre de repartir en termes d’économie. Je pense que Sarkozy aurait beaucoup diminué la dépense publique et préconisé moins d’impôts.
Vous m’aviez dit que si la France choisissait Hollande, elle irait dans la foulée de la Grèce alors que si elle préférait Sarkozy, elle suivrait plutôt les traces de l’Allemagne. Maintenez-vous cette analyse ?
Oui, avec cette différence que la France a de véritable fondamentaux économiques, que n’a jamais eus la Grèce.
Ce qui n’a pas empêché tous les pays d’Europe de l’accepter comme un partenaire à part entière…
… à titre personnel, je ne suis pas européen et ne me sens pas concerné par ce fait. L’Europe pensait que ses pays prospères allaient pouvoir tirer ceux qui l’étaient moins ; ça n’a pas été le cas.
Pourquoi n’êtes-vous pas européen ?
Parce que je n’ai jamais cru dans le destin de l’Europe et suis plus attaché à la grandeur de la France. Je n’ai pas trouvé dans les technocrates de Bruxelles, qui sont sans aucune légitimité, les moyens de me faire croire au projet Europe.
Pensez-vous que la France pourra s’en sortir économiquement sans l’Europe ?
La France étant mariée avec l’Europe de manière indissoluble, la question ne se pose pas. Il va falloir voir comment elle peut s’en sortir malgré l’Europe. Nous sommes dans une situation économique telle en France que l’année prochaine, il faudra augmenter les impôts et la TVA ; on ne peut pas s’en sortir autrement. Ce n’est pas facile pour le pouvoir socialiste, qui a été élu sur des promesses excessives, de dire la vérité aux français : une augmentation de la TVA et des impôts.
C’est du pain béni pour l’opposition : vous n’avez même pas besoin de faire campagne.
Cela me rend malheureux pour mon pays : je suis français et j’ai des enfants sur le marché du travail, comme tout le monde. Cette situation ne peut pas me réjouir. La France va mal et il faut faire en sorte de trouver en politique les moyens de relancer l’économie. La situation est très compliquée, mais ce sont les socialistes qui sont au pouvoir ; ils l’ont voulu et ils doivent assumer leurs responsabilités. Et peut-être qu’il faut que la droite fasse une pause pour trouver, peut-être au fond d’elle-même, les moyens de lancer un nouvel élan.
Quelles sont les leçons que vous tirez de la dernière présidentielle ?
Il y avait une usure du pouvoir : la droite dirigeait depuis 1993, hormis l’épisode Jospin, et la France était fatiguée d’elle. C’était le tour de la gauche de prendre le pouvoir. Sauf que ses recettes ne sont plus applicables dans un monde qui est aujourd’hui globalisé.
En tant qu’homme politique de droite, vous devez vous « régaler » des nombreux couacs qui ont marqué les débuts du gouvernement socialiste.
Je ne me régale pas parce que je suis très inquiet pour mon pays. Je ne peux pas me satisfaire et me réjouir de constater que la France frôle l’échec.
N’êtes-vous pas étonné de ce manque de préparation dont fait montre le gouvernement socialiste dans son action ?
J’en suis très étonné, dans la mesure où cela fait quand même vingt ans que les socialistes se préparent à prendre le pouvoir ! Le fait est qu’ils sont restés dans l’idéologie de 1981, qui ne tient plus la route trente ans plus tard. Peut-être aussi qu’au manque de préparation s’ajoute un manque d’autorité du président de la République ou du Premier ministre. Toujours est-il qu’on a l’impression qu’il existe de jeunes loups socialistes qui jouent leur partie personnelle au gouvernement. On ne peut pas dire que c’est une équipe gouvernementale soudée, comme c’était le cas pour celle de Sarkozy.
Un mot sur les déboires matrimoniaux du président de la République qui s’étalent à la une des journaux ?
Je suis totalement attaché au respect de la vie privée des uns et des autres, et je ne fais pas de commentaires. Le président de la République vit sa vie matrimoniale, ou pas matrimoniale, comme il l’entend. J’espère pour lui qu’il y trouve bonheur et quiétude.
De quel côté êtes-vous dans le match pour la présidence de l’UMP ?
À titre personnel je soutiens Jean-François Copé, mais j’ai d’excellentes relations avec François Fillon. J’ai décidé de soutenir Copé parce que dans l’éventail politique que l’on présente, il est celui qui est le plus à droite.
Vous trouvez normal qu’il fasse une campagne très à droite. En racontant l’histoire du petit garçon qui se fait voler son pain au chocolat par deux adolescents d’origine arabe, qui lui disent qu’il ne faut pas manger pendant le Ramadan ?
Les journalistes semblent avoir découvert l’anecdote du pain au chocolat il y a quelques semaines, alors que Jean-François Copé la raconte depuis des mois. J’ai découvert avec stupéfaction la découverte des journalistes. Je vais mieux vous expliquer mon choix dans l’élection de l’UMP. Jean-François Copé est candidat pour devenir le patron de l’UMP, remettre à flot ce parti qui vient de perdre deux élections. Moi, j’ai besoin d’un nouveau leader qui va permettre a ce parti de redémarrer pour devenir un véritable parti d’opposition et éventuellement remporter les prochaines élections. J’ai l’impression que François Fillon se situe dans une autre vision : celle de la primaire de l’UMP pour le choix du candidat à la prochaine élection présidentielle. Copé veut devenir le chef de l’opposition et Fillon le candidat à la prochaine présidentielle, ce qui fait deux visions différentes, et je suis plus sensible à celle de Copé.
De votre point de vue, est-ce que le phénomène Marine Le Pen n’a existé que le temps de la campagne présidentielle, ou est-il profondément ancré dans la société française ?
Je pense qu’il est ancré durablement, puisqu’il y a aujourd’hui approximativement un Français sur cinq qui ne se retrouve pas dans le discours des principaux partis et vote Front National (FN). Il le fait en raison des problèmes du chômage, de l’identité, de l’immigration, etc. Le FN est devenu un parti attrape-tout, comme ce fut le cas du parti de Jean-Luc Mélenchon, à gauche. Il est un parti installé, mais avec un problème de leadership. Est-ce que Mme Le Pen est capable de l’assumer par rapport à son père, qui la critique ?
Y a-t-il a un renouvellement de la classe politique française ?
Oui, et c’est très bien. Cela est très visible au niveau du parti socialiste, où les jeunes sont beaucoup plus exigeants par rapport à l’appareil du parti, à Hollande et au gouvernement, que ne l’étaient les anciens. Aucun parti n’y échappe et ce sera la même chose avec la nouvelle génération de l’UMP, s’il se renouvelle.
Certains commentateurs disent que Manuel Valls serait totalement à l’aise à droite, avec son discours sécuritaire…
… je connais bien le ministre de l’Intérieur et j’ai de bon rapports avec lui. Manuel Valls est un réaliste, et je crois savoir que Nicolas Sarkozy lui avait proposé d’entrer dans son gouvernement, ce qu’il avait refusé. Cela laisse supposer qu’il se sent plus proche des socialistes que de Sarkozy. Tout au moins la dernière fois.
Nicolas Sarkozy a déjeuné avec François Fillon : est-ce une indication de sa préférence pour la présidence de l’UMP ?
Je ne le sais pas. Mais je sais qu’il avait déjà déjeuné avec Copé le mois d’avant. C’est donc un but dans chaque camp, mais je ne sais pas pour qui il votera.
Nicolas Sarkozy candidat de l’UMP aux prochaines présidentielles, cela vous semble automatique ?
Pas du tout. Est-ce qu’il en a l’envie ? La question est de savoir si on peut avoir été président de la République, avoir été battu et revenir cinq ans plus tard. Cela me semble compliqué car je crois que d’ici là, la France aura tellement changé que les politiciens d’aujourd’hui seront remisés à l’écart. Cela va dépendre de Sarkozy, mais il me semble que sa femme a déjà répondu à la question dans une interview, en disant que la politique, c’était fini pour lui. En ce qui me concerne, depuis son échec, je ne lui ai pas parlé, donc je ne sais pas.
Passons à la deuxième partie de cette interview. Vous avez été élu député de la dixième circonscription des Français de l’étranger. Est-il est plus difficile d’exercer votre mandat en étant dans l’opposition ?
Il est certain que pour revendiquer au nom de mes électeurs, j’aurais eu plus de force et plus de capacité à me faire entendre des décideurs politiques si j’étais un député de la majorité. Mais d’un autre côté, j’ai une certaine expérience et je connais ces décideurs politiques que je rencontre régulièrement, et j’ai l’ambition de penser qu’on m’écoute. Surtout en matière de politique étrangère, où j’ai parfois des entretiens avec le ministre français concerné du fait que ma circonscription comprend beaucoup de pays.
Dont la Syrie. Pensez-vous qu’on va répéter en Syrie ce qui a été fait en Libye par les Européens ?
Avec quoi ? La Syrie n’est pas la Libye. C’est un pays surarmé avec des missiles sol-air extrêmement efficaces en provenance de Russie. Nous n’avons pas, nous Français, la capacité de mener une opération militaire – y compris aérienne – dans ce pays. Cela pourrait se faire dans le cadre d’une coalition, mais je n’ai pas connaissance de pays ayant envie d’aller affronter le Syrie. J’ai proposé au ministre français des Affaires étrangères de réfléchir sur un système à la libanaise, avec un gouvernement où seraient représentées toutes les ethnies du pays. Mais nous n’en sommes pas là. La situation est aujourd’hui très compliquée et je ne vois pas de sortie de crise pour l’immédiat.
Une partie de l’Afrique fait aussi partie de votre circonscription. Qu’avez-vous pensé du premier discours du président Hollande au dernier Sommet de la Francophonie, à Kinshasa ?
J’ai entendu François Hollande parler comme tout nouveau président français qui débarque en Afrique. Il a parlé de la fin de la France-Afrique, mais je dis que si c’est pour la remplacer par la Chine-Afrique, je ne suis pas d’accord.
La Chine est-elle à ce point présente en Afrique ?
Mais oui. La France-Afrique, qu’il est de bon ton de critiquer, est en train d’être transformée en Chine-Afrique. Les chefs d’État africains sont effectivement attirés par la capacité qu’ont nos amis chinois à s’implanter en Afrique. Par exemple, le stade de Libreville où vient de se dérouler la finale de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations de football, ndlr) a été construit de A à Z par les Chinois en quelques mois. Ils sont partout et sont en train de remplacer les Français à tous les niveaux. Avec le discours sur la fin de la France-Afrique, il est normal que les chefs d’État africains, qui craignent de voir partir la France, se tournent vers Pékin. Tout comme à l’époque de la guerre froide ils se tournaient vers Moscou. Je fais partie de ceux qui pensent que la France a sa place en Afrique, du point de vue politique, militaire et en termes de coopération dans le cadre d’une système gagnant/gagnant.
Qu’avez-vous pensé du communiqué du président Hollande reconnaissant les torts de la France dans la répression sanglante lors de la manifestation contre l’OAS près du métro Charonne, le 17 octobre 1961 ?
Je vis dans un pays où tout le monde n’a pas tellement le moral. Et je ne suis pas certain que cela va aller mieux en faisant des génuflexions et des mea culpa à chaque coin de rue !
Ne fallait-il pas reconnaître les faits historiques de cette manifestation au cours de laquelle des dizaines d’Algériens ont été tués par la police française ?
Alors demandons à M. Bouteflika, président de la République algérienne, de reconnaître le massacre des Harkis et des Français par le FLN. Si on veut faire de l’histoire, il faut la faire globalement et ne pas la traiter par petits bouts. Et puis, je vais vous dire que j’en ai marre de ces présidents de la République qui viennent faire la morale de l’Histoire sans la connaître !
Quel est le but de votre actuelle visite à Maurice et qui avez-vous rencontré ?
Je suis allé voir votre Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale. Avec mes deux interlocuteurs, nous avons parlé de la politique en général, de la mauricienne mais aussi de l’internationale. Votre Premier ministre rentre de Kinshasa où il avait rencontré M. Hollande, puis il est allé à Paris où il a vu M. Manuel Vals pour discuter de la relance de la coopération en matière de sécurité, dont j’avais été l’initiateur en 2006. C’est en effet moi qui, cette année-là, avait présenté M. Ramgoolam à Nicolas Sarkozy. Et lors des discussions, la coopération franco-mauricienne en matière de police scientifique avait été lancée. J’ai eu l’occasion de redire à votre Premier ministre que pour moi, Maurice est le premier pays de la Francophonie. Nous avons parlé de la possibilité de rénover les archives des premiers Français arrivés dans l’île en 1715. J’ai demandé au Premier ministre de donner l’autorisation à ceux qui travaillent sur ce projet de mettre en place un système d’archives pour la célébration du tricentenaire de la France. Il m’a donné son accord.
Vous avez également rencontré les Français qui vivent à Maurice. Quels sont leurs principaux problèmes ?
La santé et l’enseignement. Sur la santé, il se pose un problème de coût – et surtout de remboursement – qui n’est pas spécifique à Maurice. Au niveau de l’enseignement, il y a des revendications pour la construction d’un troisième lycée dans le nord, ce qui irait de pair avec l’augmentation du nombre de Français à Maurice, plus de 3 000 en dix ans. J’aimerais souligner l’expérience formidable que constitue l’école Paul et Virginie à Tamarin. Une école primaire créée par des chefs d’entreprise français pères de jeunes enfants. La question qui se pose est la suivante : est-ce que ce système de décentralisation est une bonne chose ? Mais ceci étant, les problèmes qui se posent à mes compatriotes vivant à Maurice ne sont pas, Dieu merci, du même niveau que ceux que vivent les Français dans d’autres pays de la dixième circonscription, et même en France. La situation est tellement différente que je prévois une augmentation du nombre de Français ici. Je ferai en sorte, avec le concours de l’ambassadeur de France, un homme de grande qualité, et de mes représentants ici, Mme Malivel et M. Charles de Lopinot, de les aider dans la mesure du possible.
Vous avez des pays de votre circonscription qui sont, pour dire le moins, difficiles.
Il y a des pays de la circonscription où je ne peux pas me rendre. C’est le cas de la Syrie, de l’Irak et de la Somalie, et par ailleurs, il y a des problèmes de sécurité au Liban, au Congo, entre autres pays.
Vous rencontrez des chefs de gouvernement, vous avez vos entrées ici et là. En fin de compte, même dans l’opposition, vous êtes efficace comme député. Vous le dites en tout cas.
Si je me suis présenté à l’élection des Français de l’étranger, c’est parce que j’ai la capacité, entre autres, d’aller voir M. Ramgoolam dans son bureau et d’être reçu pendant plus d’une heure. Je suis reçu par les autorités malgaches, par le président Bongo, le président de la République de Djibouti…
Vous avez un carnet d’adresses bien rempli… Peut-on dire que vous êtes un ministre français des Affaires étrangères bis ?
Pas du tout. Je ne veux pas me substituer au ministre français des Affaires étrangères, ni aux ambassadeurs de France. Je ne fais pas de diplomatie parallèle, mais je trouve qu’étant le représentant de mes compatriotes à l’étranger, je me dois d’aller voir les responsables des pays où ils vivent. Ce que n’ont pas su faire les candidats qui se sont présentés contre moi. J’ai une capacité de rencontrer des représentants politiques et d’évoquer avec eux certains problèmes, ce que n’auraient pas eu les autres. C’est pour cela que j’ai été élu, et pas les autres.
Ce sera le mot de la fin de cette interview ?
Tout à fait.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -