JACQUES MALIÉ, RECTEUR EN PARTANCE DU CSE : «Je regrette de n’avoir pas eu le temps de connaître chaque élève»

Les pétarades pour acclamer les deux lauréats du collège quatrebornais se sont tues. Comme chaque année, en début d’après-midi, après la proclamation des résultats du Higher School Certificate, Jacques Malié, recteur du collège du Saint-Esprit, reçoit des parents d’élèves heureux ou inquiets. Mais vendredi dernier, c’était la dernière fois qu’il vivait les émotions que suscitent ces fameux résultats. Après 15 ans à ce poste et encore plus dans la vie administrative de l’établissement, Jacques Malié part en retraite et cédera son siège ce vendredi.
Deux lauréats au collège : un beau cadeau de départ ?
– Depuis que je suis vice-recteur et recteur, j’ai la chance d’avoir toujours eu des lauréats au collège. C’est un plaisir de voir nos enfants réussir. C’est avant tout leur réussite. Mais aujourd’hui, j’ai des sentiments mitigés parce qu’il y a de nombreux classés qui sont aussi méritants, il y a un lauréat de l’année 2014 qui a repris ses examens mais qui malheureusement ne figure pas sur la liste des boursiers. Ce sont des choses qui arrivent. Puis, j’ai une pensée spéciale pour un élève qui a disparu tragiquement à la veille de l’An et dont le père est passé prendre ses résultats en larmes. Tout cela fait que l’euphorie n’est pas totale.
Le Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, a demandé aux lauréats d’agir en patriotes, d’opter pour des filières qui seront utiles au pays. De rentrer après leurs études, voire de se mettre au service du pays même en étant à l’étranger. Cependant, les opportunités ne sont pas renouvelées dans le secteur de l’emploi.
– C’est un souhait qui est pieux. Mais il faut être réaliste et ne pas jeter la pierre à ces jeunes qui réussissent tellement bien et qui ont des aspirations qui se voient offrir des opportunités extraordinaires, très alléchantes. Au St-Esprit, nous avons eu des lauréats ou des élèves qui ont excellé, aujourd’hui installés aux États-Unis et à travers le monde, qui se sont retrouvés à la NASA (National Aeronautics and Space Administration) ou travaillant pour Apple et qui ont développé leurs propres programmes. Ne pas saisir ce genre d’opportunité serait un véritable sacrifice.
Nous nous sommes aussi rendu compte que beaucoup de jeunes se rendent à l’étranger pour des études, mais également avec d’autres perspectives dont l’immigration. C’est le cas pour l’Australie, l’Afrique du Sud et même l’Europe. Les données ont changé. Il faudrait se demander ce que nous mettons à la disposition de ces jeunes au pays. Nous savons très bien qu’à leur retour, les portes ne s’ouvriront pas nécessairement en grand pour eux tout simplement parce que des postes sont déjà occupés. Je me mets à la place de ces jeunes qui sont confrontés à un choix difficile.
Considérant cette réalité, il faut aussi reconnaître que le cursus du secondaire est en déphasage avec le monde de l’emploi.
– Le cursus est trop axé sur le côté académique. Certes, ces derniers temps, de nouvelles matières ont été introduites par rapport aux besoins du pays. Mais nous restons quand même focalisés sur les matières académiques et nous ne donnons pas l’opportunité à nos jeunes de développer leur personnalité. Nous constatons qu’ils s’adonnent de moins en moins aux sports et voyons qu’ils souffrent d’un manque de culture. Nos garçons ont délaissé les matières comme les littératures anglaise et française. Il y a une réflexion à faire sur le choix des filières, leurs contenus et leur enseignement. Je ne vous apprends rien en vous disant que la grammaire, l’oral, la récitation et le théâtre sont peu enseignés. Il ne faut pas s’étonner que nos élèves quittent le collège en ayant très peu de vécu.
C’est la raison pour laquelle de nombreux collégiens n’arrivent pas à s’exprimer en public et n’ont pas le sens de la répartie
– L’absence de personnalité, de capacité à s’affirmer et de tenir une discussion en société est flagrante. C’est ainsi parce que nos jeunes n’ont pas été habitués et formés à cela. Il faut se dire que les jeunes passent peu de temps à l’école. Je ne sais pas si nous réalisons que Maurice est un des rares pays où le collège finit à 14 h 30. Le temps passé à l’école a été ramené à près de 170 jours.
Peu de temps à l’école, mais beaucoup de temps aux cours particuliers.
– L’évolution sociale fait que les deux parents travaillent et, bien souvent, les leçons particulières font aussi office de garderie. À la maison, très peu de temps est consacré à l’enfant. Lorsqu’un enfant décroche 24 unités au CPE et obtient un bon collège, en cours de route il peut obtenir des résultats de moindre qualité parce que pour lui, il a déjà accompli le rêve de ses parents : réussir le CPE. Quand on attribue le succès des lauréats à leurs institutions, il nous faut être humble et reconnaître que ces élèves qui réussissent ont d’abord beaucoup de mérite car ils ont travaillé pour cela, mais il y a aussi un accompagnement parental non négligeable. Par accompagnement, j’entends un suivi des études à la maison. Dans beaucoup de cas, les parents sont prêts à se sacrifier, à donner de leur temps. Nous avons tendance dans le domaine de l’éducation, et je le dis par expérience, à dresser un tableau sombre des situations, notamment la démission des parents, voir de l’indiscipline au lieu de la discipline Alors qu’à l’école, nous sommes aussi témoins de gestes simples comme ramasser un porte-monnaie ou une chaîne dans l’enceinte du collège et les déposer à mon bureau. Nous voyons de bons éléments qui se sont auto-disciplinés. Nous aussi, nous devons faire notre auto-critique et éviter de céder à une panique générale quand il s’agit de tout cela.
Le collège du St-Esprit est une institution historique où l’excellence est présente à tous les niveaux. Plus qu’un siège de recteur, vous léguez un héritage conséquent et rempli de défis à votre successeur.
– Dans notre administration, il y a une gestion de ressources humaines qui se fait. Dès mon entrée au collège du Saint-Esprit, j’ai eu la chance de faire partie de l’administration. Cyril Leckning m’avait nommé secrétaire administratif, responsable du secrétariat, Dean of Studies, puis j’ai gravi les échelons. Et quand j’ai été nommé recteur, j’ai moi aussi hérité d’un lourd fardeau. Quand on vous parle des pères spiritains, des recteurs de renom, et quand arrive votre tour d’assumer les responsabilités du collège, c’est à ce moment là que vous réalisez ce que vous avez en mains comme destinée ! Le fardeau est, peut-être, lourd mais il est challenging. À travers des postes de responsabilité, nous avons le devoir de former d’autres aspirants qui pourront prendre en mains l’avenir du collège. C’est un travail d’équipe et nous avons réussi à le faire parce que nous n’avons pas pensé qu’à nous, fournissant des pédagogues et des recteurs à d’autres collèges. Nous essayons de nous assurer d’une relève, bien que la décision finale revienne au Bureau de l’Éducation Catholique et de l’évêque.
L’appel à candidature par le BEC pour trouver votre remplaçant ne serait pas conforme aux critères figurant dans les rapports Errors, Omissions and Clarifications Report de 2008 et Pay Research Bureau 2013. Le syndicat des enseignants des collèges catholiques – Secondary and Preparatory School Teachers and other Staff Union – ne s’est pas privé de rappeler le BEC à l’ordre et de lancer la polémique.
– Le règlement demande, sans doute, à être éclairci. Celui-ci stipule que les Deputy Rectors peuvent postuler mais pas les recteurs, alors que dans le passé ces derniers ont toujours soumis leur candidature. D’ailleurs, logiquement, je ne vois pas pourquoi un recteur qui aurait fait ses preuves dans notre secteur et qui, pour plusieurs raisons, souhaiterait être transféré dans un autre collège ne pourrait pas le faire. Mais sans entrer dans des détails, il n’y a pas eu beaucoup de requêtes pour le poste au St-Esprit.
Pourquoi, selon vous ?
– La culture même du collège, la responsabilité et l’héritage qu’on doit assumer ont freiné les candidatures. Et peut-être qu’on se dit que certains au collège du St-Esprit sont capables de prendre le poste.
Quel est donc le profil de votre successeur ?
– Il existe au collège du St-Esprit une management team composée d’un manager à temps partiel mais qui est très présent, d’un recteur et d’un vice-recteur. Les décisions y sont prises de manière collégiale. L’idéal serait qu’un vice-recteur déjà en place et formé pour être recteur assure la succession, sans que cela ne soit une promotion automatique. Il y a des personnes déjà formées et qui ont la culture de l’établissement.
Vous avez quelqu’un en tête. Qui ?
– (rire) Oui. Je tairai le nom.
Avez-vous laissé votre empreinte pour qu’on se souvienne de vous après votre départ ?
– La meilleure compétence est celle que les autres reconnaissent en vous. Donc, j’ai le sentiment d’avoir beaucoup donné et reçu, j’ai soigné des relations. Je m’en vais le coeur léger en me disant que j’ai accompli le devoir qu’on m’a donné. Il y a aussi des regrets dont le principal est de n’avoir pas eu le temps de connaître chaque élève. Il y a tellement de réunions, de management au quotidien que faute de temps, nous négligeons les élèves. Nous ne les connaissons pas assez individuellement quoi que cela relèverait aussi de l’impossible. Du jour au lendemain, la population estudiantine du collège est passée à 1200. Il se pourrait que le départ de certains élèves après leurs études passe inaperçu. Vice-recteur et recteur, nous manquons ce contact humain qui devrait être favorisé.
Et vos moments forts en tant que recteur ?
– Bien entendu, les résultats de SC et de HSC, les remises de récompenses pour des activités extra-scolaires parce que le collège est projeté à l’avant-plan et le travail du personnel reconnu. Un établissement doit savoir célébrer sa réussite. Nous le faisons humblement.
L’après St-Esprit sera comment pour vous ?
– Je prendrai du recul. Je visiterai mes enfants en Australie. J’espère rester dans le giron car je ne serai certainement pas inactif.
Avez-vous déjà reçu des propositions de collaboration ?
– On m’a approché pour des projets dans des écoles privées. Mais rien n’a encore été décidé.
Seriez-vous prêt à mettre vos compétences au service du secteur public ?
– Je serais disposé à le faire si on fait appel à moi. L’éducation gagnerait en uniformité, celle-ci faisant défaut dans les établissements. La diversité est une richesse mais je crois aussi que nous devrions avoir plus d’uniformité dans le secteur éducatif à Maurice.
L’éducation secondaire catholique est souvent citée en exemple. Qu’est ce qui vous distingue du secondaire public ?
– Notre secteur est uni, même si nos collèges sont différents. Nous avons un projet d’éducation catholique qui tient la route et nous avons un projet d’établissement. Dans notre secteur, le système de transfert ne s’applique pas. Il est donc possible de créer un climat propice à l’épanouissement de l’individu, lequel sait qu’il aura la possibilité de faire carrière dans son métier au sein de l’établissement, de participer et d’adhérer au projet d’éducation dans la continuité. Le sentiment de bien-être est important. Au St-Esprit, très peu d’enseignants partent et quand ils partent, c’est pour émigrer.
Vous avez participé aux réformes et changements apportés par des ex-ministres de l’Éducation. Vous ne serez pas un témoin actif de « L’abolition » du CPE dans le sillage de l’introduction du 9-Year Schooling.
– Je ne suis pas pessimiste, mais je trouve qu’il y a encore trop de flou dans ce projet. Tout le monde parle de l’abolition du CPE, mais jusqu’à maintenant, nous n’avons pas de solution quant à son véritable remplacement et surtout quant au mode d’admission dans le secondaire. J’ai l’impression que quand les parents connaîtront celui-ci, ils l’accepteront très difficilement.
L’admission se baserait sur le choix des parents, le catchment area et les résultats. Les critères en cours actuellement…
– Oui, mais je pense précisément au choix du collège. Est-ce que ce sera une question de proximité ou y aura-t-il un système de cluster ? Parce que cela ne se fera pas sur la base des résultats.
Est-ce que le collège du St-Esprit sera une académie ?
– Non. D’ailleurs, nous n’avons pas vraiment réfléchi sur la question.
Nous ne connaissons pas vraiment les positions et les intentions du Bureau de l’Éducation Catholique (BEC) sur la réforme annoncée. Pourquoi son silence ?
– Le secteur est en réflexion avec le projet Kleopas. La publication est pour bientôt et nous attendons ce moment pour énoncer sur les grandes lignes des propositions du Bureau de l’Éducation Catholique.
Que vous reste-t-il à faire avant de céder votre siège le 12 courant ?
– Pas grand-chose. Le handing-over se fait le plus naturellement possible. Il ne me reste plus qu’à dire au-revoir à mon personnel et à mes élèves.

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