Jayprakash Durbarry : Le miraculé d’Albion

Un récit qui fait froid dans le dos. Jayprakash Durbarry, ancien inspecteur des prisons, a échappé à la noyade le 3 janvier dernier à Albion. Sans l’aide héroïque de son ami Babé, qui s’est jeté à l’eau pour le sauver, celle des pique-niqueurs qui ont essayé de le ranimer, de la réactivité des garde-côtes et des urgentistes, et de son sang-froid, il serait aujourd’hui un homme mort. Chance que n’ont pas eue les deux personnes qui ont péri noyées le même jour.

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Âgé de 65 ans, le rescapé se réveille miraculeusement de son coma artificiel en moins de 24 heures et sans séquelles. Nous le rencontrons, assis à sa terrasse à Forest-Side, où il nous raconte calmement et dans les moindres détails ce qui aurait pu être son dernier jour. « Not a happy ending, but a happy new beginning », nous lance Jayprakash Durbarry, surnommé Baby. Très affaibli, l’homme, réticent au départ et de nature très discrète, a décidé de se confier à Week-End pour que d’autres incidents de ce genre ne se reproduisent plus à Albion.

Diabétique, cardiaque, asthmatique, Jayprakash Durbarry est plus que conscient de sa chance d’avoir survécu. « La vie est ainsi. J’ai vu la mort en face, d’ailleurs, je m’y étais résigné lorsque j’avais compris que je ne pourrais pas regagner la terre ferme seul. Mais il faut garder son sang-froid dans de telles situations et toujours utiliser ses réflexes. Mon métier m’a ainsi formé, toujours rester calme et foncer. » Retraité depuis deux ans, Jayprakash Durbarry, originaire de L’Escalier, a fait une carrière de près de 35 ans dans les services pénitentiaires. « Des valeurs de persévérance et de lutte qui m’ont forgé. J’y repense maintenant et tout cela fait sens », dit celui qui a aussi été Advisor au sein de deux ministères.
Le récit de Jayprakash Durbarry ne laisse pas insensible. Son ami Farhad Chuckoo, surnommé Babé, et lui devaient aller à Blue Bay pour faire trempette. Une mer du Sud qu’ils connaissent par cœur. Mais le destin en aura décidé autrement et ils se dirigent tous deux à Albion. « Lorsque j’étais adolescent, après mes études au collège, il n’y avait pas de boulot pour nous. Mes frères et moi nous allions nager au Souffleur et pêchions des homards avec un simple gant en nylon. Je connais bien la mer, mais cette fois elle m’a donné du fil à retordre. Le courant à Albion est trop fort », se rappelle-t-il.
« Je suis entré sans le savoir dans lapas rékin »

Ce jour-là, vers 15h30, il décide d’aller nager, pas trop loin du rivage, près du parc marin d’Albion. Sans s’en rendre compte et sans réaliser que les bouées de délimitation ont coulé, il dépasse la safe zone. « Je marchais tranquillement dans la mer et, tout à coup, j’ai perdu pied. Je suis entré sans le savoir dans un canal, dan lapas rékin. Les bouées ont coulé et il n’y avait aucune indication pour me dire que j’entrais dans une zone dangereuse. La mer était calme et les vagues semblent petites, mais lorsque vous êtes en difficulté, elles s’écrasent contre vous par rafale et avec force. »

Sentant que j’étais en danger et que le rivage était trop loin, le sexagénaire nage alors à contre-courant pour essayer de s’accrocher à un bateau de plaisance non loin. « Sauf qu’en mer, la distance est altérée et le bateau était beaucoup plus loin que je ne le pensais. J’ai commencé à perdre des forces. J’ai fait des crawls, avec un bras en l’air pour appeler à l’aide. Je devais réfléchir vite. Mo pa ti pou kapav sorti tousel. Mo finn dir mwa ki si mo bizin mor isi, omwin bann-la rétrouv mo lékor », se souvient-il. Il nage alors vers des rochers et s’y écrase volontairement. « Mo’nn retourn mo lékor pou ki mo figir pa tap ar ros, sinon lamor. Mo’nn les mo latet tap ar ros par deryer. »

Alors que tout semble perdu, il sent une main le tirer vers le haut. Il perd connaissance et atterrit aux soins intensifs de l’hôpital de Flacq, où il est pris en charge par une équipe de médecins, dont le Dr Avinash Beezadhur. Cette main, c’était celle de Babé, âgé de 60 ans. « J’étais resté sur la plage pendant que Baby nageait. C’est un pique-niquer qui m’a signalé que mon ami était en danger, car il faisait des appels de détresse. Sans hésiter, je me suis jeté à l’eau. Il était très loin, mé mo finn dir mwa ki si nou bizin mor, nou mor tou lé dé », raconte ce dernier, encore sous le choc.

Cet habitant de Curepipe est très connu pour sa force physique. « Je n’ai pas hésité une seule seconde. Je ne pouvais pas le laisser. J’ai beaucoup nagé et je l’ai finalement retrouvé après près de cinq minutes, parce qu’il avait coulé. Il était pour moi déjà un homme mort, mais en essayant de le secourir, Baby, demi-inconscient, s’est accroché à moi. Je pensais que j’allais moi aussi mourir et couler, mais je ne sais par quel miracle j’ai eu le courage de le ramener à la surface et c’est alors que des gens sont venus nous aider », raconte-t-il.
Des anonymes qu’il remercie

Sur la plage, les pique-niqueurs essaient de ranimer l’ancien garde-chiourme. «Les vieilles personnes présentes l’ont mis sur le ventre pour l’aider à recracher une partie de l’eau. Les garde-côtes ont pris une dizaine de minutes avant d’arriver, car ils étaient de l’autre côté de la plage. Les gens étaient en colère. Finalement, le SAMU l’a pris en charge. Ils l’ont transporté à l’hôpital Jeetoo, mais comme il n’y avait pas de place, ils l’ont transporté à Flacq », raconte Farhad Chuckoo, qui pensait qu’il avait perdu son ami.

« Il aurait pu mourir, mais Baby est un homme solide, il était encore un peu conscient dans l’ambulance et a indiqué aux urgentistes qu’il était asthmatique. Il avait avalé beaucoup d’eau. C’est un miracle, ce genre d’expérience vous change à jamais. Nous sommes parfois pressés de partir, mais Dieu, lui, a d’autres projets pour nous », lâche-t-il avec un léger sourire. Présent sur les lieux, le constable Ravin Gya de la National Coast Guard (NCG), qui a vite fait d’appeler la SAMU après l’appel de détresse d’un Chief Life Saver du Club Med, loue la qualité du service de l’unité d’urgence, qui a été selon lui décisive, évitant au Curepipien un « secondary drowning », qui aurait pu lui être fatal avant son entrée à l’hôpital.

Jayprakash Durbarry a, lui, repris le cours normal de sa vie et se réveille tous les matins à 5 h pour aller acheter le pain, même si son épouse, Brigitte, qu’il connaît depuis qu’il a 19 ans, et ses trois enfants ne le lâchent pas du regard depuis son retour d’Albion. « Business as usual », dit le miraculé d’un air taquin. Il ne peut cependant pas contenir ses larmes en pensant aux gens qui ont pu perdre un être cher dans de telles circonstances.

« Mon ami Babé, ces anonymes sur la plage, les urgentistes, les garde-côtes, mes médecins, et aussi mes proches m’ont aidé à sortir la tête de l’eau. Je leur dis merci du fond du cœur. Vous m’avez sauvé », dit-il ému. « Mo lafami ti toulétan la, sirman sé zot lékér ki finn trap mwa pou pa laisse mwa alé ». « If you are happy, I am happy, we are all happy… », lance Jayprakash Durbarry, sa phrase phare.

Le miraculé continue de vivre sa petite vie avec sa femme, ses enfants et ses huit chiens, et s’occupe de sa serre où il cultive des légumes. « La vie est courte. Il faut la vivre comme un bon vivant, mais toujours garder la tête froide peu importe la situation. Votre esprit, votre tête ne vous lâcheront jamais ». Et comme le disait un ami : la nature humaine est pleine de ressources que l’on n’imagine pas.

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Le Dr Avinash Beezadhur : « Le patient était dans un état critique »

Le Dr Avinash Beeza-dhur, spécialiste en médecine interne à Flacq, ainsi que son équipe se sont occupés du sexagénaire. Il tire son chapeau au SAMU. « Le patient était dans un état critique à son arrivée aux soins intensifs, mais les urgentistes ont fait un travail formidable et nous avons fait le take over. Ils l’avaient déjà entubé et mis sous respiration artificielle, car son taux de saturation était de 60%. Ils ont fait un gros travail pour le stabiliser. C’est la vitesse et la réactivité de ces derniers qui ont aidé à le sauver à temps », dit-il.
Ainsi, le lendemain, le Dr Beezadhur et son équipe essaient de débrancher le patient pour voir s’il arrive à respirer sans assistance et, surprise pour tous, « il s’en sortait bien et finalement, il a commencé à respirer facilement. » Tous ses organes vitaux fonctionnaient normalement. Le médecin explique que dans ce genre de cas, tout se joue en quelques minutes, voire quelques secondes. « Il a reçu un traitement rapide, sinon il aurait pu faire un arrêt cardiaque qui aurait mené à d’autres complications. »

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