JEAN-BRUNO PAQUIEN, VICTIME DE LA BAI-BRAMER : « Pour pouvoir être remboursé, j’ai dû renoncer à la moitié de mon capital »

Notre invité de ce dimanche est une des victimes de l’affaire BAI-Bramer. Dans l’interview qu’il nous a accordée vendredi après-midi, Jean-Bruno Paquien décrit le parcours du combattant qu’ont été obligés de faire ceux qui avaient investi dans les produits de la BAI-Bramer avant sa fermeture brutale par le gouvernement, en avril 2015.
Qui êtes-vous Jean-Bruno Paquien ?
Je suis un Français qui a vécu et travaillé à l’île Maurice de septembre 2003 à septembre 2013. Je suis ensuite rentré en France et je reviens depuis, de temps en temps, pour essayer de me faire rembourser mes dépôts à la Bramer Bank.
Vous avez la nationalité mauricienne ?
— Je ne l’ai pas eue. J’avais espéré l’obtenir à un certain moment, mais mon dossier n’a jamais avancé, donc j’ai abandonné.
Comment êtes-vous devenu client de la BAI ?
— Je pense que je connais relativement bien Maurice pour un étranger. J’ai beaucoup travaillé sur le terrain dans différentes activités et il se trouve que j’ai été mêlé à cette histoire, dramatique, pour beaucoup de gens, parce que j’y avais investi des fonds à hauteur de Rs 5 millions et demi à partir de 2009. J’ai investi à Maurice parce que je voulais y vivre pour toujours, puis à un moment, je me suis rendu compte que mes projets ne décollaient pas pour toutes sortes de raisons, et j’ai dû me décider, à contrecoeur, à rentrer enFrance. Au début, j’avais investi à la Bramer Bank qui avait bonne réputation avec une rentabilité de 6,25 % et payait avec une très grande régularité. Tous les mois, je recevais une lettre m’informant que l’argent des intérêts avait été crédité sur mon compte. Je disais alors que Bramer Bank fonctionnait comme une horloge suisse !
Mais depuis 2011-2012 il y avait quand même des rumeurs sur le fonctionnement et la solidité de la BAI. Il y a même eu une question parlementaire de Paul Bérenger, alors leader de l’opposition, à Xavier Duval, alors ministre des Finances, sur ce sujet.
— Personnellement, je n’ai jamais entendu ces rumeurs. Je n’aurais pas quitté Maurice en 2013 sans désinvestir, si j’avais entendu parler de ces rumeurs et des questions sur la BAI, d’autant plus que je dépendais de ces revenus pour vivre en France. A aucun moment les autorités du pays n’ont mis en garde les clients de la BAI et des filiales contre sa fragilité. Quand les choses se sont écroulées, en avril 2015, je me suis retrouvé sans argent.
Comment avez-vous appris que vous étiez ruiné ?
— J’étais en France, c’était le week-end pascal, j’ai reçu un coup de fil de quelqu’un qui m’est proche et qui m’annonçait que c’était la catastrophe, que la BAI avait été fermée et que, quelques jours après, la licence de la Bramer Bank avait été révoquée. Le grand cataclysme, dont les effets se font encore sentir aujourd’hui, a démarré à ce moment-là. Comme ont dit d’autres victimes de ce drame, — il y a beaucoup, beaucoup de personnes qui ont été touchées par cette affaire à Maurice — j’ai eu le sentiment que le ciel m’était tombé sur la tête. Nous étions dans une situation totalement confuse les semaines qui ont suivi, sans avoir aucune information précise. Nous avons, au contraire, subi une désinformation, pire un détournement de l’information de la part du gouvernement dans le cadre d’une opération de propagande contre la BAI et ses sociétés. Nous, investisseurs, avons été pointé du doigt, on a dit que nous étions des gourmands qui voulaient gagner beaucoup.
Il a aussi été dit que vous étiez des trafiquants de drogue et des blanchisseurs d’argent sale…
— Exactement. Lors de la première réunion des victimes à Belle-Rose, M. Lutchmeenaraidoo, alors ministre des Finances, a même dit qu’ily avait beaucoup d’argent de la drogue et de la prostitution dans les dépôts de la BAI. Cela a été le premier coup de poignard que nous avons reçu et qui m’a personnellement affecté. Dans un autre pays, ce monsieur aurait été déjà poursuivi pour diffamation parce que ce sont des propos extrêmement abjects. C’est infamant et ignoble de traiter ainsi des investisseurs mauriciens et quelques étrangers qui avaient mis de l’argent à la BAI. Il a été depuis prouvé, et de façon absolument claire, que la très grande majorité des investisseurs de la BAI ne trafiquaient ni dans la drogue ni dans la prostitution, on dans le blanchiment.
Quel était votre sentiment à l’époque de la fermeture de la BAI et de ses succursales ?
— C’était la confusion. Nous ne savions rien de la situation réelle. Nous étions bombardés d’informations disant tout et son contraire. Il était certain que nous étions en train d’assister à une vendetta politique et financière et nous ne savions que faire. Et puis, deux ans après, on se rend compte que nous avons été de rebondissement en rebondissement, d’espoir en désespoir, que nous, les victimes de la BAI, avons été traités comme des malpropres, des quantités négligeables, des êtres humains sans humanité et avons été dépouillés sans aucun moyen pour nous défendre. Tout ce qui a été, à un moment ou un autre, mis en place pour essayer d’éveiller une conscience collective a été systématiquement détruit. C’est-à-dire qu’à chaque fois que quelque chose semblait pouvoir aboutir dans le sens des victimes, un nouvel obstacle était dressé contre nous.
Cette situation n’était-elle pas due au fait que les victimes étaient divisées et ont essayé de fonctionner plus en petits groupes que collectivement ?
— Cette situation illustre une manière de faire mauricienne où chacun tire de son côté, chacun protège sa montagne, selon l’expression consacrée. Arriver à mener même pas une lutte, même pas une bataille, mais un projet collectif est extrêmement compliqué à Maurice. Parce qu’on est alors dans des modes de fonctionnement qui tiennent à l’histoire de Maurice et qui sont encore très prégnants aujourd’hui. Arriver à faire front contre le gouvernement s’est avéré quasiment impossible parce que les personnes qui ont voulu nous aider ont été soit exclues, soit récupérées.
Comment se fait-il qu’à aucun moment les victimes n’aient songé à saisir la justice pour se défendre et récupérer leur argent ?
— Dans les semaines qui ont suivi la fermeture de la BAI, on n’a pas arrêté de nous dire et de nous répéter que si nous allions en justice, cela bloquerait tous les paiements pour tout le monde. Ça a été une espèce de rumeur propagée, distillée…
Par qui ?
— Vous savez comme moi qu’à Maurice tout est intangible. Je suis revenu à Maurice depuis trois semaines, j’ai rencontré plusieurs hommes de loi qui m’ont donné des avis différents sur les possibilités de poursuites. Il est impossible d’arriver à quelque chose de cohérent qui ne soit pas contesté par quelqu’un d’autre. Tout cela nous a mis dans un sentiment d’impuissance excessivement douloureux. On s’est beaucoup battu, avec nos différents moyens, pour faire avancer les choses et avoir de la clarté, mais on n’a pas pu le faire pendant deux ans et demi. On est totalement impuissants, comme si nous étions face à des murs lisses sans aucune prise possible. Nous n’avons jamais eu la possibilité de nous faire entendre.
J’ai été surpris par le fait que la majorité des victimes aient dirigé leurs critiques vers le gouvernement plutôt que vers la BAI et son principal responsable, Dawood Rawat.
— J’aimerais d’abord souligner que Dawood Rawat n’a jamais manifesté de la compassion pour ses victimes. Si jamais il gagne son procès et ses compensations, est-ce qu’il compensera ses victimes ? Personne ne le sait. Mais que pouvons-nous contre la BAI ? Nous n’avons plus d’argent, la grande majorité est démunie financièrement et arriver à obtenir de l’aide d’un homme de loi à Maurice est extrêmement compliqué. Et cher. D’autant plus que beaucoup nous ont dit que nous ne pouvons pas gagner. Et puis, il y a le fait qu’il a été impossible d’obtenir véritablement un engagement de la majorité des victimes dans ce combat. Ce sont toujours les mêmes, une petite poignée, qui sontmontés au créneau. J’ai été très actif comme d’autres sur les réseaux sociaux depuis la France. Mais quand il y a eu des réunions et marches pacifiques, il n’y avait que quelques personnes, pas l’ensemble des victimes.
Comment expliquez-vous que la majorité des victimes ne soit pas descendue dans la rue pour se battre? Les victimes se sentaient-elles, quelque part, coupables ?
— La réponse tient encore à l’histoire et au fonctionnement de la société à Maurice. Les gens ont eu peur de se montrer, d’être pointés du doigt, d’être touchés par la honte, du qu’en-dira-t-on.
Mais ils n’avaient rien fait d’autre que de placer leur argent dans des institutions reconnues par l’Etat !
— Vous avez raison. Mais le gouvernement a mis en place une politique de dénigrement de ces investissements qui a sali tous les investisseurs. Les victimes qui n’avaient pas la force de caractère nécessaire ont préféré rester chez eux. C’est dommage parce que si les victimes avaient été trois ou cinq mille à descendre dans la rue pour protester, la situation aurait été différente aujourd’hui. Il est certain que le gouvernement n’a rencontré aucune opposition dans cette vendetta, cette razzia financière, ce démembrement du groupe BAI-Bramer. Ni d’un point de vue institutionnel ni d’un point de vue politique, parce que l’opposition a été invisible dans cette affaire — sauf quand certains de ses membres sont venus se faire photographier avec les grévistes de la faim ! – ni de celui de la population. Ce n’est pas leur faute, mais on a inculqué depuis des décennies aux Mauriciens la capacité d’être dociles faceaux abus de pouvoir. Ici, les gens sont dénués de possibilités de lutter, de revendiquer pour défendre leurs droits.
Mais il y a quand même eu la grève de la faim des victimes, cette année !
— C’était un mouvement très fort et je félicite encore ceux qui ont eu le courage de le faire. Si j’avais été à Maurice, je les aurais rejoints sans hésitation. Ce sont des gens qui ont vécu ces treize jours dans des conditions indignes. Certains ont été traînés à l’hôpital sur leur matelas ! Est-ce ainsi qu’à Maurice on traite les gens qui revendiquent leurs droits en faisant une grève de la faim ? C’est absolument honteux, c’est un non-respect évident des droits humains.
Mais cette grève a fait réagir le Premier ministre Pravind Jugnauth.
— Oui, mais il faut voir comment le PM a réagi. Il l’a fait en tirant son épingle du jeu et en laissant à Salim Muthy la possibilité d’interrompre cette grève sans perdre la face. En disant qu’il allait demander de l’argent à l’Inde pour rembourser les victimes de la BAI, il a joué une très bonne carte. Il sait que dans l’inconscient collectif mauricien, l’image de l’Inde est rassurante. Il a fait arrêter la grève, mais les victimes se retrouvent aujourd’hui dans un trou encore plus profond qu’avant, si je puis dire.
Justement, quelle est la situation des victimes aujourd’hui, plus de 28 mois après la fermeture de la BAI-Bramer ?
— Elle est proprement catastrophique. Pour les victimes, ça a toujours été un déni de droit absolu.
Mais il y a eu des victimes qui ont été remboursées totalement ou en partie, non ?
— Il y a eu des petits remboursements sur le Super Cash Gold pour les victimes qui avaient placé moins de Rs 500 000 pour soi-disant protéger les « ti dimoune ». La question est de savoir qui sont les « ti dimoune » dans cette affaire ? Moi qui avais investi Rs 5,5 millions, je suis riche par rapport à celui qui avait investi Rs 200 000, mais je ne suis rien par rapport à celui qui avait investi Rs 50 millions. Mais nous avons tous investi et sommes légalement des investisseurs au même titre !
Peut-on dire que vous avez été encouragé à ne pas intenter des poursuites contre le gouvernement ?
— Tous les gens à qui j’ai pu parler ont été extrêmement dissuasifs. On nous a dit que cela allait prendre des années, quenous n’étions pas sûrs de gagner. J’ai même entendu quelqu’un dire qu’un avocat lui avait dit qu’on pourrait gagner, mais que l’Etat pourrait dire qu’il n’a pas d’argent et que, par conséquent, on ne serait pas payés. Tout cela était extrêmement décourageant et la grande majorité des victimes, dont moi, a signé il y a quelques jours un document auprès de la NPFL (Ndlr : National Property Fund Ltd) dans lequel on renonce à une partie de notre capital.
Combien exactement ?
— En ce qui me concerne — mais je pense que c’est général — j’ai renoncé à 50 % de mon capital. J’avais Rs 5.6 millions d’investies, j’en ai perdu la moitié, soit un peu plus de Rs 2 millions.
Pourquoi avez-vous accepté de perdre la moitié de votre capital ?
— Parce que je n’avais pas d’alternative ! Il faut savoir que les clients de la Bramer Bank ont été remboursés à 80 % de leurs avoirs l’année dernière. Mais comme tous les étrangers et un certain nombre d’investisseurs locaux de la Bramer, j’étais, en juin de l’année dernière, envoyé au FIU pour soupçon de blanchiment d’argent et, ne l’oubliez pas, de financement d’activités terroristes. Je n’ai donc pas pu récupérer mes 80 % à ce moment-là et je tombe maintenant sous la nouvelle formule selon laquelle je dois renoncer à 50 % de mon capital. C’est absolument discriminatoire, c’est une injustice sans aucune justification. J’ai signé un papier acceptant de me déposséder de 50 % de mon capital et de mes droits de poursuite.
Donc, en dépit de la réduction acceptée de votre capital, vousallez être remboursé ?
— En théorie. Moi, ce qui m’inquiète beaucoup c’est que le document que j’ai signé n’est pas un contrat sur l’en-tête de la NPFL avec une signature. Ce n’est qu’une demi-feuille de format A4 avec des blancs remplis à la main et un cachet.
Ce que vous décrivez ne semble pas être un document légal.
— Je partage votre avis et je vous pose la question suivante : après tout ce qui s’est passé dans l’affaire BAI, sommes-nous toujours dans un état de droit à Maurice ? C’est la grande question depuis le début de cette affaire. Nous avons assisté à un dépeçage d’un groupe privé et un vol de l’argent de détenteurs de produits d’assurance et de produits financiers. Sans aucun recours possible.
Comment se fait-il qu’après avoir signé le « papier » renonçant aux poursuites, des victimes aient quand même soumis une injonction en cour ?
— Certains sont allés demander en cour que nous soit conservé le droit de poursuivre plus tard. Cette demande a été rejetée, avec raison, disent certains avocats,mais M. Roshi Bhadain, lui, affirme le contraire et au jour d’aujourd’hui, on ne sait pas où nous en sommes. Tout ce que l’on sait, c’est qu’on a signé un document qui n’a pas été ratifié par la partie adverse (le FNL) dans lequel on accepte de perdre un pourcentage de nos capitaux et notre droit à la poursuite. Si l’on veut être optimiste, on peut dire que les choses vont se mettre en place comme le gouvernement l’a promis et que tout le monde sera payé dans deux mois. Mais vu les trahisons dont nous avons été victimes depuis avril 2015 on peut, en étant pessimiste, s’attendre à tout.
Je suis surpris que les victimes de l’affaire BAI-Bramer soient allées demander conseil à Roshi Bhadin. Auront-elles oublié le rôle de premier plan qu’il a joué dans l’affaire BAI ?
— J’ai été amené à assister à une réunion dans le cadre de l’injonction. Il est clair que Roshi Bhadain a été un de nos « bourreaux » avec les Jugnauth père et fils et Lutchmeenaraidoo. Je pense que Bhadain est un homme très intelligent, mais aussi très manipulateur qui a voulu sauter du bateau du gouvernement en marche parce qu’il s’est rendu compte que le gouvernement s’enfonce. Il essaye de se refaire un semblant de virginité.
Avez-vous, en tant que témoin privilégiéde cette affaire extraordinaire qu’est la fermeture de la BAI, le sentiment que nous assistons à la dernière partie de cette histoire ?
— Au fond de moi-même, une petite voix me dit que ce n’est pas terminé. Nous avons été tellement heurtés, traumatisés, malmenés, on nous a tellement mentis, détroussés, diffamés que nous avons eu l’impression d’être un farataque l’on retourne sur le tawapour le faire cuire. On a été traité pire que du bétail et je n’arrive pas — comme beaucoup d’autres victimes — à faireconfiance aux dires du gouvernement. Je vous le redis, le contrat n’a pas été signé et nous n’avons qu’un reçu sans signature.
Et vous avez accepté !
— Oui, parce qu’à Maurice nous sommes tous poussés — y compris moi — à devenir dociles. Nous n’avions pas le moindre choix, nous étions coincés contre un mur sans aucune défense. Nous nous sommes dit : autant signer et récupérer ce qui peut l’être pendant qu’il est encore temps. Nous sommes coincés dans une situation injuste, non équitable, mais quel autre choix avons-nous ? Et puis, nous avons été tellement malmenés, battus et nous avons besoin d’argent, nous avons donc accepté même en se disant qu’on se fait voler ouvertement, que c’est ce qu’on appelle en anglais « broad daylight robbery». On est amenés comme un troupeau à l’abattoir à accepter l’aumône que l’on propose.
Que souhaitez-vous dire pour conclure cette interview ?
— Que les investisseurs étrangers sont triplement victimes, nous avons subi trois peines de cette affaire. La première peine est d’avoir été pris dans cette affaire alors que nous sommes des investisseurs honnêtes. La deuxième peine est d’avoir été envoyés comme des chiens au FIU et la troisième est d’être remboursés — si le remboursement se fait — contraints à abandonner la moitié de notre capital de départ. Dans l’affaire BAI-Bramer, le gouvernement laisse derrière lui un véritable champ de désespoir avec des familles détruites, des couples éclatés, des enfants qui ont dû interrompre leurs études et des emprunts sur des maisons qui n’ont pas pu être payés et qui ont été saisies. C’est un véritable champ de malheur que laisse le gouvernement derrière lui. Il a pratiqué la stratégie de l’épuisement et du découragement et a continuellement « soufflé » avant de mordre et de nous conduirelà où nous sommes aujourd’hui. Avec cette affaire, le gouvernement a blessé au coeur beaucoup plus de familles mauriciennes qu’il ne le croie. Il aura, un jour ou l’autre, à en payer les conséquences

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