JEAN-PHILIPPE LAGANNE: «Nos coureurs ne sont pas bien encadrés, l’expertise étrangère est primordiale»

Le cyclisme mauricien est au plus bas. Avec Nobert Froget jeudi, c’est le 6e membre du comité directeur de la Fédération mauricienne de Cyclisme (FMC) qui claque la porte depuis ces deux dernières années. Du coup, avec cette énième démission  la situation devient plus que jamais inquiétante pour cette discipline dont la préparation pour les Jeux des Iles d’août prochain à La Réunion bat de l’aile. Dans l’entretien qui suit, Jean Philippe Laganne, 2e démissionnaire de cette longue liste, nous confie son état d’âme et évoque l’avenir même de cette discipline sous la houlette d’une nouvelle équipe.
— Jean-Philippe Laganne, vous êtes responsable de la commission cycliste du Faucon Flacq Sporting Club, comment vivez-vous la situation dans laquelle se trouve actuellement le cyclisme mauricien?
— Je suppose, comme tout amateur de cette discipline à Maurice, très mal et triste à la fois. Quand vous êtes un passionné d’un sport et vous trouvez que rien ne fonctionne au sein de l’instance qui dirige ce sport, il est évident qu’on ne peut pas vivre une telle situation avec de la gaieté au coeur. Heureusement que je ne suis pas le seul et vu le nombre de défections qu’il y a eus ces dernières années, et  surtout de la décision de plusieurs personnes de bonne volonté de prendre leurs distances du rouage organisationnel du cyclisme. On a l’impression que chaque jour qui passe apporte son lot de malheurs à cette discipline et le drame, c’est que l’équipe dirigeante, du moins ce qu’il en reste actuellement, s’enfonce dans un immobilisme sans pareil.
— Vous-même vous avez démissionné comme membre de l a FMC. Est-ce que la récente vague de démissions au sein de la fédération vous étonne-t-elle?
— Pas le moindrement. Au contraire, je m’attendais à ces démissions depuis que certaines personnes au sein de la FMC se comportaient comme des propriétaires du cyclisme mauricien. J’ai beaucoup de respect pour Dominique et Norbert Froget qui sont venus se joindre à la longue liste de démissionnaires au sein de la FMC.  Ils ont fait de leur mieux pour tenter de ramener à la raison ces dirigeants accapareurs, mais dommage ! On ne veut rien entendre à ce niveau et c’est seulement le pouvoir qui reste la préoccupation des dirigeants actuellement en place. Il est donc impératif qu’on procède le plus rapidement possible à un véritable coup de balai et qu’on fait de la place à ceux qui ont à coeur le progrès et l’évolution du cyclisme local.
— Jean-Philippe Laganne, qu’est-ce qui ne va pas au sein de l’AMC?
— Par où commencer?  Il y a tellement de choses à dire et il me faudra pas mal d’espace dans votre publication pour le faire. C’est pourquoi, je voudrais partager les quelques causes principales qui ont amené cette discipline là où elle se trouve aujourd’hui. La FMC n’a pas voulu ou n’a pas été capable de s’adapter à l’évolution du temps. Elle fonctionne toujours comme il y a 25 ans , c’est à dire de manière archaïque. Au lieu d’accepter des critiques constructives, propositions et autres réflexions positives, les dirigeants sont restés enfermés dans leur Tour d’Ivoire, faisant preuve d’arrogance et adoptant une politique de répression et une attitude revancharde, sans oublier la mise à l’écart des gens compétents. Une situation qui a provoqué également le manque d’intérêt de la part des sponsors. Trouvez-vous cela normal que trois maillots particuliers n’ont pas trouvé de parrains lors du dernier Tour de l’Ile. Peut-on, dans ces conditions, encore parler de crédibilité et d’intégrité au sein de la FMC.?
— Existe-t-il un problème Hervé Flore au sein de l’AMC ou le problème est-il ailleurs?
— L’actuel président doit assumer l’entière responsabilité des maux qui rongent la fédération et par ricochet la discipline. Hervé Flore a beau avoir passé une grande partie de sa vie au service du cyclisme, mais il regrettable de dire aujourd’hui qu’il est un homme dépassé par les évènements. Il n’a pas su malheureusement assurer un travail d’équipe  et  régulièrement, il a eu le tort de faire la sourde oreille aux nombreuses doléances des officiels et coureurs. Se démarquant, au passage, de ses propres principes, il aura contribué à sa propre perte eu égard au nombre de démissions notées au sein de son comité directeur. J’ajoute aussi qu’il n’a assisté à aucune course depuis le début de la saison.
—Vous souhaitez que la FMC se renouvelle par le biais d’une nouvelle assemblée générale élective, pourquoi?
— Le changement est primordial. On ne peut laisser pourrir la situation. Il nous faut une nouvelle équipe apte à pouvoir relancer la discipline et réinstaurer la confiance au sein de la communauté des coureurs. Il faudra travailler au plus vite sur un projet d’avenir, comprenant des mesures concrètes pour redonner au cyclisme la place qui lui revient sur l’échiquier. La nouvelle équipe doit surtout privilégier la transparence et la bonne gouvernance.
— Selon vous, le comité directeur de l’AMC est-il encore légalement constitué ?
— Je vous répondrai par un non catégorique, même si certains tentent encore de se cacher derrière des règlements pour pouvoir s’accrocher au pouvoir. C’est vraiment malsain quand on imagine qu’il n’y a pas le quorum requis suite à la démission de Dominique Froget. Malgré cela, ils veulent encore rester  en poste. Ce qui démontre la motivation réelle des dirigeants actuels, quant à leur appartenance à la bonne cause du cyclisme.  
— La FMC a choisi de coopter des membres pour donner une légalité à son comité, vous êtes contre?
— Totalement contre, encore qu’on veut semer encore plus de confusion autour des statuts concernés. Vous croyez qu’on peut encore adopter de telles pratiques alors que la majorité ne se trouve plus de votre côté. Où en est la moralité dans toute cette histoire ? J’espère que ceux qui ont été approchés pour faire partie de l’actuel comité sauront prendre leurs responsabilités vis-à-vis de la majorité des amoureux de la petite reine, souhaitant ardemment un changement majeur au sein de la FMC.
— Vous n’avez jamais cessé d’être critique à l’égard de l’AMC depuis votre démission, peut-on savoir ce que vous proposez comme alternance?
— Je peux vous dire que depuis notre démission, Lawrence Wong, André et Caroline Leblanc et moi-même, nous nous sommes réunis à maintes reprises pour travailler sur l’ébauche d’un vrai projet pour le cyclisme mauricien. Cela ne date pas d’hier, puisque nous avions voulu provoquer un débat autour, alors que nous étions au sein de la FMC. Mais depuis,  vous connaissez la tournure des événements.
— Votre projet s’articule autour de quoi exactement?
— Notre projet pour le cyclisme mauricien consiste en deux volets, notamment administratif et  sportif. Sur le plan administratif, il faudra d’abord songer à ramener ensemble tous les gens de bonne volonté et animés du désir de servir le cyclisme avec passion et enthousiasme. Il faudra mettre beaucoup d’accent sur la transparence et la bonne gouvernance, assurant une indépendance aux divers sous-comités qui composent la FMC. Entre autres, les sous-comités  sportif, technique, Tour de l’ile, VTT, descente et le lancement du BMX chez les jeunes. Il faudra tabler aussi sur une meilleure communication et mettre à profit les autres outils, tels que les réseaux sociaux et internet contenant toutes les informations relatives à la gestion de la FMC et l’organisation des activités.
Concernant le volet sportif, notre objectif est de mettre sur pied, d’ici cinq ans, une équipe continentale africaine, pour le besoin de l’Africa Tour. La création d’une académie dans six régions à travers l’ile. Les discussions sont sur la bonne voie avec un ancien coureur professionnel deux fois champion de France, qui est venu s’installer à Maurice. L’idée qu’il soit le parrain fait son petit bonhomme de chemin. Tout laisse croire qu’il pourrait apporter toute son expérience, y compris le sponsoring au niveau des équipements entre autres.  
La création d’emplois comme encadreurs des jeunes, une attention particulière aux enfants défavorisés dans le cadre de notre projet social, comme nous avons démontré au Faucon Flacq, qui récolte déjà le fruit de ses efforts. L’envoi de  deux jeunes en France, comme ça a été le cas lors des trois dernières années et dont les retombées sont évidentes.  Nous visons aussi à travailler sur un calendrier approprié, répondant à toutes les attentes, et rempli d’incitations, comme le prix Prestige, Pédale d’Or, le Challenge et le Fun Ride à l’intention des non-licenciés.
— Ceux qui ont démissionneé s’organisent et veulent redynamiser cette discipline, vous êtes partie prenante de cette démarche?
— Évidemment que je suis partie prenante ! Le travail est immense si on prend en ligne de compte la mise en application de nos différents projets. Cependant la redynamisation du cyclisme mauricien passe inévitablement par une équipe unie, ayant à coeur l’avancement, le progrès et le bien-être des coureurs.
— Pourquoi cette démarche ne vient que maintenant ?
— Nul besoin de vous dire que toutes nos tentatives se sont avérées vaines dans le passé avec l’amateurisme et le manque de volonté affiché par certains au sein de la FMC. Toutefois, à défaut de pleurer maintenant sur le lait répandu, regardons l’avenir. Je suis confiant que nous pouvons y arriver. D’où l’urgence de la tenue d’une assemblée générale élective.
—Pensez-vous que la présélection pour les 9es Jeux des Iles est bien faite et sa préparation est au niveau?
— En ce qui concerne l’escouade dont nous disposons, je pense que nous pouvons aspirer à un beau parcours à l’île de la Réunion. Nous avons de belles cartes en main, mais il faut d’abord s’assurer d’une préparation adéquate. Ce qui n’est pas forcément le cas en ce moment avec un seul stage à l’île soeur jusqu’ ici et des sorties collectives. Il faudra passer à un échelon supérieur, sinon la bonne ambiance régnant au sein du groupe risque de s’avérer insuffisante.
—  Vous êtes donc sceptique à moins de 90 jours des Jeux?
— Non, je dis seulement que nos coureurs ne sont pas bien encadrés. l’expertise étrangère est primordiale. L’apport de quelqu’un qui connaît bien les réalités locales et le potentiel et limite des coureurs, et surtout qui sait communiquer. Ce qui pourrait paraître difficile si jamais la FMC pense à aller de l’avant avec la venue d’un Sud-Africain. Permettez moi de partager avec vous une expérience vécue récemment en Bretagne, lors du stage des Cadets. L’illustre Ange Roussel, connu comme le sorcier de Rumungol et qui connaît parfaitement les rouages du cyclisme mauricien, m’a confié qu’il avait approché la FMC pour offrir ses services comme consultant auprès de nos coureurs à l’occasion des grands rendez-vous dont les JIOI. Personne n’a daigné lui répondre, faisant preuve d’un manque d’élégance face à un vrai professionnel. Et vous allez me dire qu’on a à coeur l’intérêt du cyclisme et l’épanouissement des coureurs?
— Pour terminer, pensez que le cyclisme a encore de l’avenir à Maurice ?
— Après tout ce que je vous ai dit plus haut, basé sur un changement de direction inévitable et un projet concret, il est difficile de ne pas y croire. Le cyclisme est promis à un bel avenir, avec le nombre de jeunes talents qui ne cessent d’émerger. Pour peu qu’on ait une équipe dirigeante capable d’assumer ses responsabilités et de permettre à la petite reine de grandir dans un environnement sain et propice.

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