Khalid Nazroo, un artiste mauricien majeur à découvrir

DIDIER WONG CHI MAN

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(Docteur en Art et Sciences de l’Art)

Khalid Nazroo est un artiste majeur dans l’histoire de l’art mauricien. Loin du « star system » de certains plasticiens locaux, l’homme est un artiste au sens pur et profond du terme. Il vit pour l’art, au travers de l’art. Il ne se passe pas un jour où il ne se consacre pas à la création. C’est viscéral. J’ai eu le plaisir de visiter l’atelier de cet artiste à Beau-Bassin et c’est un vrai musée en soi. J’en ai eu le souffle coupé et j’ai été subjugué tant par la quantité que par la qualité plastique et contemporaine de ses œuvres. Les innombrables dessins, peintures, gravures, lithographies et sérigraphies sont exposés et rangés avec une méthodologie et un soin sans faille. Le plasticien est d’une grande générosité quand il s’agit d’exprimer sa passion de l’art. Or ce qui est désolant et inquiétant c’est que Khalid Nazroo n’a pas la reconnaissance qu’il devrait avoir et mérite d’avoir. Mais l’artiste ne crée pas pour la reconnaissance. Il œuvre pour l’amour de l’art.

Khalid Nazroo est un homme d’une grande culture. Né en 1953 à Port-Louis, il fît sa scolarité primaire à l’école Philippe Rivalland à Beau-Bassin. C’est au collège Royal de Port-Louis qu’il décroche son HSC. Grâce à une lettre de recommandation de feu Serge Constantin, il obtint une bourse de l’État français en 1974 pour étudier à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Khalid y fait ses armes brillamment, découvre, expérimente, crée, expose et vit passionnément sa vie d’étudiant en art. Il a également suivi des cours sur la pédagogie à l’Université de Paris 1, Sorbonne. Une fois ses diplômes en poche, il rentre au pays en 1983 et prend poste au lycée Labourdonnais. En 1987, il est chargé de cours au MIE à temps plein pour former les enseignants en art et y fait carrière jusqu’à sa retraite et obtint le titre d’Associate Professor, une reconnaissance professionnelle méritée.

Son parcours artistique relève d’une grande richesse et pourtant le feu des projecteurs médiatiques a préféré d’autres de ses confrères et consœurs, pour certains à peine éclos de leur coquille. Durant un demi-siècle de pratique artistique, Khalid a participé à d’innombrables expositions locales, continentales et internationales (la Réunion, le Sénégal, le Ghana, le Kenya, l’Afrique du Sud, la France, les Etats-Unis, l’Inde, la Malaisie, la Macedoine, etc), des workshops et des résidences d’artistes (à Nantes en France, ARTECH à New-York, Tamarind Institute à Albuquerque au Nouveau Mexique pour ne citer que ceux-là). Riche de toutes ces expériences et de ces échanges culturels et artistiques, le principal intéressé a tissé des liens et s’est forgé une solide réputation à l’international. C’est pourquoi, l’œuvre prolifique de ce fils du sol est davantage connue à l’étranger que dans son pays natal. En effet, les acquéreurs de ses œuvres sont principalement des étrangers, notamment l’État français à travers les FNAC (Fonds National d’Art Contemporain), les FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain) et des musées en Malaisie et en Macédoine. N’est-il pas scandaleux de constater que l’État mauricien n’a acquis aucune de ses œuvres jusqu’à présent ? Khalid a beau dire que cela lui importe peu, nous devons dénoncer cette injustice flagrante et la méconnaissance de son travail.

En 1997, reconnu pour ses compétences techniques et artistiques, l’ambassade de France lui commande une pièce monumentale en mosaïque au Château Mon Plaisir dans Le Jardin de Pamplemousse. Quel bonheur de se voir confier un tel travail pour enrichir le patrimoine mauricien ! Cette œuvre monumentale de 45 m2 au sol représentant notre jardin national est magnifique mais il est regrettable qu’elle soit méconnue du public. Une œuvre à découvrir. En 2012, cette même ambassade via l’IFM lui propose une rétrospective « Pays sage / fou ». C’est un grand honneur de se voir proposer un tel événement de son vivant. Ce fut un enchantement, riche en couleurs, en techniques et en découvertes. Merci à la France.

L’obsession de Khalid Nazroo c’est la couleur. Avec lui elle passe par tous ses états. Tantôt elle est joyeuse et vive, tantôt elle est sombre, intrigante et mystérieuse, mais jamais pessimiste. Parfois elle est vibrante et frétillante. Selon Khalid la couleur cherche à captiver notre regard perdu dans la médiocrité et le tourbillon de cette vie devenue frénétique, presque fade et qui ne laisse plus de place à la contemplation et à une appréciation silencieuse et apaisante que peut procurer l’art. L’artiste affirme qu’il n’a jamais cherché à avoir un style pictural particulier et qu’il ne se cantonne pas à une technique. Il a raison. La couleur est pour lui « un jeu dans l’espace », son approche de la peinture est ludique, dit-il. C’est certainement dans cette approche qu’il est parvenu presque à dompter cette peinture qu’il pratique depuis toujours. À travers tous ces styles, nous pouvons évoquer des parallèles avec des peintres modernes tels que Henri Matisse, Paul Klee, Sonia et Robert Delaunay, Juan Miro et parmi les plus contemporains, Wilhem de Kooning et Pierre Alechinsky qu’il a côtoyé aux Beaux-Arts quand ce dernier y enseignait. Khalid Nazroo n’est pas que peintre. Sa pratique et ses expérimentations sur la gravure et sur la lithographie, abordées de façon peu académique sont tout à fait resplendissantes. Effectivement, il les aborde à la manière d’un peintre. L’expérimentation comme processus de création a fini par devenir une pratique aboutie à force de persévérance et de croyance en son devenir. Comment ne pas succomber et être insensible à ces pratiques et ces techniques moins visibles dans l’art contemporain? La plasticité de ses dessins aux pastels gras, de ses linogravures et de ses sérigraphies est remarquable. Le graphisme est touchant, l’équilibre coloré juste et les compositions maîtrisées. La picturalité est innée en lui. Les œuvres de Nazroo sont complètement dans l’air du temps. Il n’y a sans doute point de messages dans ce qu’il nous propose, tout est dans le ressenti, dans la gestualité des traits et des coups de pinceaux ou de burins. Tout est dans l’expressivité de la couleur. Certes, nous retrouvons souvent des motifs typiquement mauriciens, mais ces derniers ne sont que prétextes pour laisser exprimer la couleur dans son champ pictural. La combinaison de sa philosophie de vie avec des harmonies chromatiques locales et les motifs locaux apportent de la poésie et de l’émotion dans ses œuvres. Qu’elles soient semi-figuratives, abstraites, ou relevant de l’abstraction par la fragmentation des motifs plastiques, ses œuvres célèbrent la couleur tantôt dans une complexité technique et tantôt dans une simplicité et un minimalisme sans fioritures. Le langage pictural de Nazroo est singulier et invite à un voyage intérieur atteignant le spirituel dans l’art.

L’exposition « Nature painter » visible jusqu’au 6 novembre à la galerie Imaaya à Phoenix est une opportunité pour découvrir une partie de l’univers de Nazroo. L’exposition vaut le détour pour cet artiste majeur injustement méconnu que je pourrai presque mettre dans la même lignée qu’un Serge Constantin ou un Malcolm de Chazal. On devrait s’intéresser à ses œuvres et leur accorder une visibilité légitime dans le paysage artistique mauricien. Nous attendons de l’État mauricien l’acquisition d’œuvres de Khalid Nazroo pour enrichir sa collection et rattraper cet oubli. À bon entendeur !

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