KRISHNA MAGALINGUM VALAYDON, légiste : « 1983, une année mortelle »

 Krishna Magalingum Valaydon vient de publier ces jours-ci “Cri de coeur”, qu’il présente comme une contribution au débat politique dans le pays. Il fournira, à coup sûr, à tous ceux que la chose politique locale intéresse, de quoi animer les discussions, surtout par les temps qui courent. « Il ne plaira peut-être pas à tout le monde, mais il a l’ambition de susciter de justes réflexions », explique Krishna Valaydon.
Pourquoi ce livre consacré à Paul Bérenger maintenant ? Le moment est-il bien choisi ?
Ce n’était pas volontaire. Le livre était prêt l’an dernier, mais des conditions objectives n’avaient pas permis sa publication. Mais aujourd’hui, il est là et je ne regrette pas de l’avoir publié plus tôt. Je maintiens tout dans le livre et je l’explique dans un avertissement en guise de préface. Le livre rend un hommage à 45 ans de combat au service d’un pays. Il sert donc de rappel.
Vous craignez que certains Mauriciens aient perdu la mémoire politique ?
Non. Encore une fois, c’est un rappel. Mais l’essentiel est ailleurs. C’est un survol de l’univers politique à  Maurice qui prend comme fil conducteur un homme ayant un parcours que l’on ne peut occulter. Le livre invite à une réflexion sur notre pays, sur son système politique et sur les dysfonctionnements qui le minent. C’est un cri du coeur contre un système. Et pour  “showcase” tout cela, j’ai utilisé le parcours politique de Bérenger.
Vous écrivez un livre sur Bérenger pour inciter à la réflexion…
Il ne s’agit pas d’un livre sur une personne, mais d’un livre prenant Paul Bérenger comme fil conducteur pour étayer les divers dysfonctionnements d’un système. C’est surtout là l’utilisation de la référence à  Bérenger pour dénoncer une situation malsaine qui dure depuis notre indépendance : le communalisme, le transfugisme, le rôle des microsystèmes qui divisent le pays et la graduelle déconstruction de la nation.
En ne parlant que de Bérenger, vous risquez de paraître partisan. Il y a du parti pris…
Un parti pris, oui, mais avant tout contre un système. Je ne disconviens pas que les qualités de Bérenger sont évoquées, mais il faut les prendre comme une illustration, une référence, pour appliquer dans le concret ce que notre système politique recèle de tares, de dépassement, de déchéance même. À ce titre, je prends par exemple “83, une année mortelle”, c’est ainsi que je la décris dans mon livre. Je pense à cet anti-Bérenger primaire qui a donné lieu à l’émergence d’un communalisme d’une envergure que l’on avait jamais connue dans notre pays. J’attire l’attention sur le dérapage pour que s’installe une réflexion, une prise de conscience chez nos politiciens surtout, afin que nous puissions progresser en tant que nation.
Mais, à vous lire, on dirait que cette réflexion doit venir que des adversaires de Paul Bérenger.
Non, cette réflexion doit venir de tous ceux qui aspirent à gouverner nos vies. Aux politiciens de toutes les sensibilités, qu’ils soient du MMM, du Ptr, du MSM, du PMSD, et les autres. Il y a des gens valables dans tous ces partis traditionnels, qui ne sont pas du tout sectaires et qui sont capables de faire avancer le pays dans sa construction en tant qu’une seule et unique nation. D’ailleurs, le but de mon ouvrage est de provoquer un débat de fond qui puisse consolider l’unité du pays et empêcher que le communalisme nous éclate un jour à la figure de manière irréversible.
Vous comptez beaucoup sur les politiciens dans votre démarche alors que c’est le peuple qui a le pouvoir de décision. C’est lui en fin de compte qui vote, non ?
Oui, le peuple a un grand rôle à jouer. Mais je pense que nos dirigeants politiques ont un grand pouvoir d’influence dans notre modèle politique, peut-être    moins que les médias. Ils sont capables de diviser comme ils sont autant capables d’unir. Ils sont capables d’instiller autant de bons que de mauvais comportements chez ceux qui les écoutent. Ils sont capables de se laisser influencer par des microsystèmes ou de sinistres personnages et faire leur jeu de division. Nos politiciens ont à ce titre une énorme responsabilité. Dans notre modèle politique, on assiste à un phénomène d’instrumentalisation du communalisme. C’est-à-dire que le communalisme est utilisé à des fins de conquête du pouvoir.
Mais c’est valable pour tous les partis…
Tous les partis politiques pratiquent ce qu’on peut appeler le réalisme politique. On ne choisit pas la compétence, mais l’appartenance ! À chaque élection, il y a comme un renouvellement de cette pratique, avec cette terrible impression que cela risque de se perpétuer. Mais même si tous les partis politiques pratiquent, d’une manière ou d’une autre, un peu de communalisme, il y a lieu de remettre en cause un tel dysfonctionnement. On doit commencer quelque part. Ce livre veut ouvrir un débat sur la question, un débat qui aboutirait à une remise en question de la façon dont nous pratiquons la politique à Maurice.
Mais c’est ce réalisme politique qui rapporte et non les belles idées.
Je crois qu’un modèle politique fondé sur  l’arithmétique et le comptage des voix, et non sur la recherche du bonheur de l’être humain, est voué à  une faillite certaine. On ne construit pas l’avenir d’un pays sur la division. Je ne crois pas que c’est de l’utopie. On peut être idéaliste mais, comme dit l’autre, si on veut atteindre la montagne, il faut viser le ciel.
Pour revenir sur terre, vous parlez en mal des alliances. Est-ce par rapport au Ptr, au MSM… ?
À aucun parti politique en particulier. Et pas aussi d’amertume vis-à-vis de ceux qui, dans le passé, ont contracté des alliances avec le MMM pour ensuite se retourner contre ce parti.
Vous introduisez de nouveau concepts…
Non, je parle de ce qu’on connaît déjà. Il y a certes, dans quelques endroits, des approches nouvelles, à  l’instar de l’éthique et l’ajout de l’esthétique, car la politique, c’est aussi un art. Les gestes bons sont autant de gestes beaux. Rien à voir avec ce que diront les cyniques à l’effet que nous avons affaire à des artistes. Sinon, j’ai introduit les microsystèmes, ces groupes et lobbies, dont l’influence sur la politique n’est que la négation de la démocratie.
Des groupes en particulier ?
Les microsystèmes ne relèvent pas uniquement du domaine politique ou culturel, mais sont aussi actifs dans la sphère économique. Et ces microsystèmes sont de toutes les sensibilités et toutes les communautés. Ils tiennent nos politiciens en otage, car ils font croire que ce sont eux qui font et défont les élections. Ils prétendent représenter une frange de l’électorat alors qu’en fait, ils comptent sur le faible engagement de la population pour trôner sur leur indifférence à la chose publique.
Mais il y a lieu de voir plus loin et comprendre au moins une chose : c’est que les motivations des différents microsystèmes ne sont pas les mêmes. Certains militent pour les intérêts personnels des dirigeants, par intérêt matériel ou l’éphémère sensation d’être puissant. D’autres se croient investis d’une mission, celle de porter quelque parti au pouvoir ou de le maintenir au nom d’un groupe. D’autres encore le font pour en récolter des gains immédiats.
Vous dites donc qu’il était plus facile de s’engager en 1969/70 ?
Disons que c’était inévitable. Et après, il y a eu un commencement d’organisation dans la revendication avec le club des étudiants militants et le MMM et Bérenger. Sinon, on allait en ordre dispersé. Je crois que ce travail d’organisation était crucial pour donner corps à notre révolte. Jeunes, on était plutôt anarchistes que sociodémocrates.
Pour traduire ce désordre, je cite dans mon livre un épisode cocasse et triste à la fois : le jour où Azir Moris voulait organiser, je crois en 2013, un mouvement de protestation au Jardin de la Compagnie, et où ses membres avaient été délogés par la police à la requête d’un autre mouvement de revendication de citoyens libres. Une guéguerre qui fait le jeu de l’adversaire, l’ego de leadership, l’ivresse de vouloir régner. En bref, une petite soif de pouvoir. Et cela se passait sur la place appelée la Place des Droits Humains !
Votre livre ne risque-t-il pas d’alimenter le culte de la personnalité ?
Paul Bérenger n’a pas besoin de mon livre pour  construire son image. Le personnage est là depuis 45 ans et anime la vie politique de ce pays. Un écrit ex-post, qui n’est même pas biographique, ne peut suppléer au témoignage vivant, la mémoire vécue de milliers de Mauriciens. La question de culte de la personnalité a été évoquée dans les commentaires “on-line” à la suite de l’annonce du cancer de Bérenger, mais je pense qu’on ne peut confondre un hommage rendu à  un moment précis à la construction d’une icône.
Et en fin de compte, vous êtes Bérengiste…
S’il s’agit de reconnaître un homme et un combat, oui. Mais si vous dites que je suis un envoyé spécial, comme on le dit aux Nations Unies, de Bérenger, je vous réponds non !

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -