L’épineux problème des pensions

Parmi les mille et un problèmes qu’il incombe à nos gouvernants de résoudre, celui des pensions risque d’être relégué aux derniers rangs. La raison en est bien simple : c’est à long terme que se font sentir les conséquences d’une absence de réformes, de sorte que, à court et moyen terme, le mal se répand insidieusement et en silence. Et comme de telles réformes sont généralement impopulaires, tout pouvoir, dont l’horizon stratégique – pour ne pas dire : électoral – se limite à cinq ans, succombe à la tentation de les ignorer.
Telle est la réflexion que suscite la toute récente publication d’une étude du Fonds monétaire internationale (FMI)* sur les réformes à appliquer aux systèmes de pensions mauriciens. Les auteurs présentent l’étude comme un document de travail (working paper), dont les propositions sont susceptibles d’être commentées et discutées. Une belle occasion, donc, pour remettre sur le tapis le financement des pensions à Maurice, dans le contexte (a) d’une population vieillissante, (b) de l’universalité des pensions non contributives, émargeant aux finances budgétaires, et (c) de la baisse continue de l’épargne au niveau national. Pour faciliter la compréhension de ce qui suit, précisons qu’il y a deux méthodes de financement des pensions payées par l’État : l’une consiste à puiser des fonds budgétaires, selon les besoins de chaque année, l’autre requiert la constitution d’un Fonds qui recueille des contributions mensuelles des futurs bénéficiaires et les fait fructifier en attente des pensions futures.
Commençons par résumer le constat établi par les auteurs du document.
• Le maintien des systèmes de pension sera de plus en plus menacé par le vieillissement de la population. En 2013, les seniors âgés de 60 ans ou plus constituaient 13 % de la population mauricienne ; en 2050, lorsque les premiers Mauriciens nés en ce siècle seront dans la quarantaine, les seniors seront à un pourcentage de 30 %.
• Les pensions des personnes âgées (old age pension) et la pension de retraite des fonctionnaires embauchés jusqu’en 2012 sont, bon an mal an, puisées des finances budgétaires de l’État. En 2013, ces deux systèmes de pension représentaient 3,7 % du Produit intérieur brut (PIB). Le montant équivalent pour 2015 est égal à 5 %, suite à la hausse généralisée de la pension de vieillesse à Rs 5 000 par mois. En 2060, le ratio aura grimpé à 11 %, selon les estimations.
•Le National Pensions Fund (NPF) sera, selon les prévisions actuelles, en déficit après 2050. Le montant des pensions de retraite à payer sera alors supérieur à celui des contributions versées par les salariés et autres membres de la population active, de sorte que le NPF devra recourir à la vente progressive de ses investissements, pour pouvoir honorer ses obligations. Les auteurs n’hésitent pas à écrire que le gouvernement se verra alors obligé de soutenir le NPF, avec les conséquences désastreuses qui en résulteraient pour les contribuables.
• De plus, celui qui a contribué au NPF pendant 40 ans ne peut espérer toucher une pension de retraite supérieure à 33 % de ses salaires, montant jugé faible et insuffisant. Ce qui mène les auteurs à craindre que les personnes à la retraite ne fassent davantage de pression pour le rehaussement de la « old age pension », avec des conséquences sérieuses pour le déficit budgétaire. D’autant plus que le nombre de personnes âgées sera en hausse, ce qui leur donnera un poids électoral de plus en plus important.
• Selon le document de travail, il est estimé que la pension des personnes âgées, offerte à tous sans distinction de moyens de subsistance, est un outil inefficace pour combattre la pauvreté. Quelque 48 % des bénéfices que procure cette pension universelle reviennent à la tranche des 40 % les mieux lotis de la population mauricienne. Est-ce ainsi que sera mené le combat contre les inégalités grandissantes ?
• L’urgence de la situation suscite un message catégorique de la part des auteurs : « To ensure the reforms are implemented in a sustainable manner, the process should be depoliticized, possibly through the setting up of an independent body, to encourage broad buy-in and mitigate the risk of reform reversals. » Une meilleure gestion des investissements du NPF, ainsi qu’un rééquilibrage des contributions et des taux de pension, est ainsi jugée indispensable.
Après les constatations, les recommandations
Les solutions de réformes proposées se déclinent en trois groupes distincts :
– la première consisterait à pratiquer une moindre générosité envers les retraités, par exemple, en ajustant vers le bas la base de calcul des pensions ;
– la deuxième viserait à restreindre le nombre des bénéficiaires, notamment à retarder l’âge de la retraite et à tenir leurs autres moyens de subsistance en ligne de compte ;
– la troisième, enfin, consisterait à introduire des incitations au moyen de pensions bonifiées à ceux qui opteraient de retarder l’âge de partir à la retraite.
Il est impérieux que le gouvernement se penche, dans les meilleurs délais, sur cette réforme des pensions. Le document de travail trace la voie à suivre. Il convient, maintenant, d’examiner les diverses propositions et de faire des choix judicieux et efficaces. La pire des choses serait de tergiverser et de se croiser les bras.
Car la population mauricienne souffre d’un vieillissement accéléré : d’une part, les seniors vivent plus longtemps, d’autre part, et c’est ce qui est le plus grave, les naissances se raréfient.
Alors que le taux de fertilité des femmes en âge de procréer doit atteindre 2,1 enfants en moyenne par femme pour assurer la stabilité d’une population donnée, le nombre enregistré à Maurice est, depuis ces dernières années, égal à 1,4 seulement. Statistics Mauritius estime que, si ce taux insuffisant des naissances perdure, la population mauricienne commencera à décroître à partir de 2032, soit dans moins d’une génération.
Le nombre croissant de personnes âgées aura une répercussion directe sur le montant global des pensions à payer. Si celles-ci ont été mal provisionnées, ou si elles s’accroissent vu l’allongement de la durée de vie, le risque est grand qu’il faudra puiser des ressources budgétaires. Or celles-ci sont loin d’être inépuisables, surtout si l’économie peine à progresser dans le contexte d’une population active en décroissance, suite à la chute du taux de fertilité. En langage clair, un nombre grandissant de personnes âgées et un nombre décroissant de population active, cela constitue un dangereux cocktail pour le développement et la croissance économiques. A moins que notre pays n’ait recours à une forte immigration de travailleurs étrangers…..Une telle perspective ne serait guère réjouissante, dans la mesure où cela demanderait toute une structure d’accueil pour ces étrangers et une préparation psychologique des Mauriciens pour les accueillir.
Au-delà du FMI
Signalons, enfin, deux propositions de solutions non abordées dans le document du FMI. La première consisterait à encourager chaque personne percevant un revenu de son travail ou de son capital à contribuer personnellement à sa pension de retraite. C’est ainsi qu’il est souhaitable qu’un abattement fiscal soit accordé, comme cela se pratiquait auparavant, à ceux qui souscrivent à des fonds de pension privés et régulés par le Financial Services Commission. Un tel abattement ferait d’une pierre deux coups : améliorer les perspectives d’une pension raisonnable à l’âge de la retraite de l’individu concerné, et accroître le taux d’épargne national. La deuxième proposition aurait pour objectif de rehausser le nombre des naissances, en accordant des facilités dans le monde du travail aux jeunes mamans. L’allongement récent du congé parental va dans ce sens, il faudrait maintenant généraliser la mise à disposition de crèches sur les lieux de travail. Disons-le sans ambages : si la population ne se renouvelle pas suffisamment, qui produira les richesses d’où seront puisées les pensions de retraite ? La solidarité intergénérationnelle est un facteur d’harmonie sociale et de progrès économique. Pensons-y.

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