L’ « interview » de Tahar Ben Jelloum

Je souhaitais pouvoir offrir aux lecteurs de Week-End une grande  interview de Tahar Ben Jelloum, l’écrivain français d’origine marocaine, lauréat et membre de l’Académie Goncourt, qui vient d’effectuer une série de conférences à Maurice. Je pensais pouvoir le rencontrer dans le cadre d’un rendez-vous bien organisé dans un lieu clos pour lui poser des questions sur l’actualité en France et dans les pays arabes et la littérature et rebondir sur ses réponses. À la place, j’ai dû me contenter d’une conversation à plusieurs temps, souvent interrompue, devant le Bookcourt de Bagatelle, vendredi apres-midi. Voici  le  résumé du parcours du combattant que j’ai dû emprunter pour réaliser mon « interview » de Tahar Ben Jelloum. 
Il ya deux semaines, j’ai reçu un mail de la responsable des relations publiques de l’Institut Français de Maurice me demandant si cela m’intéresserait d’interviewer Tahar Ben Jelloum. Évidemment que j’étais intéressé ! « At any time et n’importe où », ai-je répondu sur le champ. Pour ceux qui l’ignoreraient, Tahar Ben Jelloum est une très grosse, une énorme pointure de la littérature francophone. Écrivain français d’origine marocaine, il a étudié et enseigné la philosophie au Maroc puis s’est installé en France où il a fait des études de psychologie, a obtenu un doctorat en psychiatrie sociale, fait du journalisme, commencé à écrire et obtenu le prix Goncourt en 1987 pour La Nuit sacrée. Depuis, il a écrit plus de cinquante livres, a été élu membre de l’Académie Goncourt, est devenu l’écrivain francophone le plus traduit au monde (43 langues), est connu pour ses prises de positions sur des questions d’actualité, notamment sur le printemps arabe. C’était donc une interview à ne rater sous aucun prétexte.
Mardi dernier, n’ayant rien reçu de l’IFM, j’ai appelé son responsable des relations publiques. Un peu gênée, elle me dit qu’elle ne pouvait pas organiser le rendez-vous avec Tahar Ben Jelloum dans la mesure où le calendrier de l’écrivain était contrôlé par Issa Asgarally, qui avait fait venir l’écrivain franco-marocain à Maurice. Je me suis alors rappelé qu’Issa Asgarally avait fait la même chose avec Jean-Marie Le Clezio lors d’un de ses derniers passages à Maurice. L’animateur de l’émission littéraire télévisé Passerelles avait construit autour du prix Nobel de Littérature 2008 un mur de protection qui l’a empêché de rencontrer la presse mauricienne. Pour parler à Leclezio, il fallait  absolument avoir l’accord – sinon  la bénédiction – d’Asgarally. Mais comme je tenais absolument à interviewer  l’auteur de La Nuit sacrée, j’ai donc demandé le numéro de portable de son hôte. Après plusieurs appels infructueux, j’ai envoyé le sms suivant à Issa Asgarally: « Est-il possible de faire une interview de Tahar Ben Jelloum? » La réponse est arrivée dans l’après-midi : « Je le lui demanderai. » Un autre sms est arrivée à 1h52 du matin, mercredi : « J’ai transmis la demande à TBJ, mais il n’a encore rien dit. » Et puis jeudi, en début de soirée, coup de téléphone d’Issa Asgarally. Il m’annonce que TBJ est d’accord et que l’interview aura lieu vendredi au Bookcourt de Bagatelle où l’écrivain doit faire une séance de dédicace, entre 15 et 16 heures. Je pourrai faire l’interview juste après mais il ne faudrait pas que je prenne du temps car cela risquerait de fatiguer TBJ. « Car il ne faut pas oublier qu’il a tout de même 70 ans passés. » Trop content d’avoir obtenu le rendez-vous, je me jette dans la lecture des notes biographiques de l’écrivain pour préparer mes questions.
Vendredi, au lieu d’aller au rendez-vous à 16h, je décide, je ne sais trop pourquoi, d’y aller en avance. Quand j’arrive au Bookcourt à 14h30, on organise la séance de dédicace : une table avec quelques livres et des chaises sont installées devant la vitrine de la bibliothèque. Derrière la table, on fixe une photo de l’écrivain datant de quelques années. Sont également présents Oumera Ally, de Radio Plus, et Finlay Salesse, de Radio One. Ce dernier m’apprend que du point de vie journalistique, la visite de Tahar Ben Jelloum ne se passe pas trop bien. Les rendez vous calés sont décalés par Issa Asgarally à la dernière minute à tel point que Jean-Luc Emile, de Radio Plus, avait posté un coup de gueule sur son compte facebook. Il y dénonce la mainmise d’Asgarally sur Ben Jelloum et écrit, entre autres, qu' »un animateur qui pense détenir le monopole de la culture s’est improvisé chaperon de Ben Jelloum, le traînant dans les artères des foires et des centres commerciaux pour le shopping et faisant fi des journalistes qui attendaient pour leur interview. » Pour réagir à la mainmise, Jean-Luc Emile a décidé d’envoyer une journaliste de Radio Plus interviewer Tahar Ben Jelloum pendant la séance de dédicace. Sur ces entrefaites arrive l’écrivain en colère. Il explique que le chauffeur du Bookcourt a insisté pour passer par Port-Louis, et ses embouteillages, pour relier Grand-Gaube à Bagatelle, alors qu’il lui demandait de prendre l’autoroute de Verdun ! C’est dans cette ambiance électrique que je me présente et que je reçois une douche glacée : « Vous êtes venu m’interviewer ? Mais je ne suis au courant d’aucune interview et en plus vous êtes deux, dit-il en découvrant Ouma Ally. Moi, on m’a dit que je venais faire une séance de dédicace, c’est tout. » La séance de dédicace n’était pas mieux organisée que « l’interview ». Il y avait quelques exemplaires de Le mariage de plaisir, le dernier livre de Tahar Ben Jelloum, mais pas de lecteurs pour le faire signer. Spontanément, Ouméra et moi, nous nous sommes assis aux côtés du membre de l’Académie Goncourt pour ne pas le laisser seul derrière sa table, lui qui en France signe des centaines de livres à chaque séance de dédicace. Ginny Lam, la directrice de Bookcourt, arrive, offre de l’eau, des beignets de calamars et annonce que le public va arriver. En attendant, nous faisons connaissance en  bavardant, on parle de littérature, des enfants qui ne lisent pas ou de moins en moins. L’écrivain pose des questions sur les Mauriciens, veut savoir s’ils viennent aux séances de dédicace. Il ne le dit pas, mais il semble ne pas comprendre pourquoi on l’a fait traverser la moitié de l’île – en passant par Port-Louis ! – pour un exercice si mal organisé. Mais au fur et à mesure, Tahar Ben Jelloum se calme et, en attendant de pouvoir dédicacer, accepte de se laisser interviewer. Voici la première partie de celle que j’ai pu réaliser

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