De l’opportunisme politique à l’autogestion (1ère partie)

Le démantèlement du conglomérat BAI/Rawat (termes plus justes que l’effondrement de l’empire Rawat) et ses ramifications comme opération de salubrité politique et financière sont une bonne chose, même si le modus operandi est contestable. Ce démantèlement a eu de nombreuses conséquences, notamment pour les employés des différentes entreprises qui constituaient le conglomérat. De ce spectacle politico-policier et juridico-financier, le cas spécifique d’IFRAMAC présenté comme l’occasion pour les employés de devenir propriétaires de leur outil de travail, a été particulièrement instructif sur le rôle joué par un syndicaliste professionnel et l’utilisation de l’Autogestion, concept fourre-tout, comme solution miracle.
C’eut été une maladresse et un manque de respect pour les employés d’IFRAMAC que d’aborder cette question au moment des faits. Les conditions étaient déjà assez éprouvantes, il eut été indigne de rajouter d’autres éléments contrariants.
Qu’est-ce que l’Autogestion ? Définition du Larousse: 1. Gestion d’une entreprise par les travailleurs eux-mêmes. 2. Système de gestion collective d’une entreprise en économie socialiste. C’est insuffisant, poussons plus loin. Le mot autogestion apparaît dans la langue française dans les années 60 et va rapidement entrer dans le jargon politico-économique des partis, syndicats, organisations et groupuscules de gauche et d’extrême-gauche partout dans le monde. Il dépassera le cadre strict de la gestion d’entreprise pour finalement signifier l’instauration d’un système politique, économique et social visant l’association de tous les citoyens dans une société égalitaire et sans classes, pour la gestion de la propriété collective des moyens de production et des affaires de la nation, induisant le dépérissement de l’Etat. Pour être encore plus précis le mot autogestion vient de la traduction littérale du mot serbo-croate, samoupravlje, de samo équivalent slave du préfixe grec auto et upravlje signifiant approximativement gestion. Ce mot désigne spécifiquement le modèle politique, économique et social en cours dans la Yougoslavie sous Tito (1945-1980), en rupture, dès 1948, avec le système stalinien considéré comme une perversion du marxisme, et revendiquant le retour au marxisme authentique. Tito, nom de guerre de Josip Broz (1892-1980), était le Chef de la Résistance sous l’Occupation Nazie et un des fondateurs à la Conférence de Bandung, Indonésie, des Non-alignés avec l’Indien Jawaharlal Nehru et l’Egyptien Gamal Abd Al-Naçr (Nasser).
L’Autogestion a fini par poser plus d’interrogations qu’elle n’apporte de réponses tant elle se décline dans un vaste champ de possibilités allant de la gestion pure d’une entreprise par les travailleurs dans un système capitaliste comme une alternative immédiate, à l’élimination du patronat par l’appropriation des moyens de production, des centres de décisions et de pouvoir sur l’ensemble d’un pays dans la construction d’une société socialiste. Mais toujours elle se réalise dans un environnement hostile parce qu’une entreprise autogérée en système capitaliste est un îlot contradictoire que le système doit annihiler. Quand il s’agit d’un état dans un monde capitaliste, elle devient l’ennemi idéologique à abattre parce qu’elle concrétise la question de la transformation de la société, l’Alternative qui appelle à l’anéantissement du capitalisme.
Les expériences autogestionnaires à travers le monde au cours du temps ont proposé différentes approches en lien direct avec les conditions historiques et le stade de développement des sociétés où elles naissent. L’expérience légendaire en mémoire est La Commune de Paris instaurée le 10 août 1792. En raccourci pour illustrer le propos, le modèle yougoslave a été la réponse politique d’une avant-garde socialiste forgée par les Partisans, la résistance armée à l’occupation allemande, pour instituer une société nouvelle. En Russie Impériale les Soviets Ouvriers et Paysans lors de la Révolution d’Octobre de 1917 (Novembre selon le calendrier grégorien) prennent une autre forme parce que ce sont des structures d’émanation populaire dans un contexte de guerre mondiale , de renversement de la Monarchie, d’effondrement et de dislocation des superstructures d’un état féodal, qui doivent inventer des structures nouvelles en situation d’urgence pour remettre en route la production et la distribution, notamment des nécessités de base. Et ce sont les forces productives elles-mêmes qui prennent possession des moyens de production et de gestion en éliminant le patronat. La situation est totalement différente en 1962 en Algérie où la Lutte de Libération Nationale dirigée par le Front de Libération Nationale (FLN) aboutit à l’Indépendance mettant fin au colonialisme par les Accords d’Evian, qui stipulent que si les colons revenaient, un jour leurs biens leur seraient restitués. En attendant il faut redémarrer l’économie, le nouvel Etat algérien confie la production aux ouvriers des entreprises abandonnées sous la tutelle gestionnaire de techniciens-fonctionnaires. Ni l’état, ni les ouvriers ne sont propriétaires des moyens de production, c’est une forme intérimaire de production et de gestion. En France lors de grèves dans les années 60/70, des ouvriers occupent leur usine, remettent en marche la production. Les expériences interrompues en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Pologne, en Allemagne de l’Est, etc., ont chacune leur originalité. Ce qui est déterminant c’est que ce sont toujours les ouvriers, les travailleurs, les peuples eux-mêmes qui dans chaque contexte particulier créent le modèle approprié. Mais toujours jusqu’ici, c’est la bourgeoisie, qu’elle soit de type occidental en démocratie parlementaire ou en centralisme d’état des démocraties populaires, qui finit par la tuer, parce que toujours l’Autogestion s’invente en milieu hostile.

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