La défaite d’un vil opportunisme

La mésaventure survenue à notre équipe nationale de Futsal (football en salle) à Laayoune, en Sahraoui occidental, est venue remettre sur la table le débat de la séparation du sport de la politique. Faut-il que la politique s’arrête là où commence le sport ou est-ce l’inverse qui doit primer est une très vieille question qui s’est posée aussi loin que l’année 1936 lorsque, lors des Jeux olympiques de Munich organisés par le pouvoir nazi, un Adolf Hitler rendu furieux que Jesse Owens, un athlète noir américain, avait battu à plate couture ses favoris nationaux, refusa de lui serrer la main quand vint le moment de lui remettre le trophée. Dès ce moment-là, beaucoup de monde à travers la planète, qui avait vécu la scène à la télévision, avait commencé à s’interroger si la politique — qui dicte les règles des sociétés — ne devait pas observer une trêve dès lors qu’il s’agit de la chose sportive, un domaine où l’humanité parvient, généralement, à créer un tant soit peu l’unité et l’amitié entre les hommes, les femmes et les peuples.

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Le débat s’est ensuite prolongé durant les années 1970, mais sous un angle bien différent cette fois. Ce fut quand des athlètes noirs américains proches du mouvement des Black Panthers — mouvement engagé en opposition radicale avec celui, plus pacifiste, de Martin Luther King — profitaient de leurs passages sur les podiums dans des compétitions internationales pour brandir leurs poings en signe de soutien à l’émancipation sociale et politique de leurs semblables. Les descendants des justes qui, à l’époque, avaient — à raison d’ailleurs — condamné le Führer pour la démonstration publique de son profond mépris pour les noirs — en fait de son mépris pour tous ceux qui n’étaient pas de sa prétendue race supérieure aryenne — devait finir par, au moins, comprendre son timing. Hitler avait choisi son bon moment pour, en présence des médias, internationaliser ses sentiments. Pourquoi donc les athlètes américains noirs sensibles au combat des Black Panthers contre les lois ségrégationnistes étatnusiennes de l’époque devraient-ils, eux, s’en priver ?

Puis, durant les années suivantes, il y a eu le boycott sportif des États entre eux-mêmes quand il s’agissait pour les uns d’exercer une pression politique qui servait leurs desseins. À l’exemple des Jeux olympiques de Moscou (ex-URSS communiste), en 1980, sabordés par les USA sous prétexte de non-respect des droits de l’Homme. De nos jours encore, ne voit-on pas des vedettes du foot américain ou du basket-ball, la bannière étoilée sur le dos, choisir de faire génuflexion en plein hymne national pour protester contre des injustices policières qui ciblent majoritairement des noirs ? Ainsi, combien même on aimerait le sport pour sa tolérance de toutes les sensibilités qui peut aller jusqu’à permettre qu’Américains et Nord-Coréens s’affrontent autour d’un ballon dans un stade plutôt que de se battre à balles réelles ou à coups de missiles, doit-on vraiment s’étonner que les pays — membres de la SADC empruntent la même voie et boycottent un évènement tenu — expressément ? — dans un territoire du continent dont ils dénoncent l’assujettissement forcé ? En l’occurrence, le Sahara occidentale ou République arabe sahraouie démocratique (RASD) ?

Laayoune, endroit choisi pour le championnat de futsal, se trouve dans le Saharoui dans le nord-ouest de l’Afrique. C’est un territoire de l’Afrique envahi, de fait, par le Maroc, mais revendiqué par le Front Patriotique du Polisario. Le statut de ce territoire n’est pas reconnu par les Nations unies tout comme n’est pas reconnu le statut du British Indian Ocean Territory (le BIOT des Britanniques) implanté sur notre archipel occupé des Chagos. La revendication du Front Polisario est soutenue par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), dont fait partie intégrante la République de Maurice tout comme la SADC soutient pleinement la revendication de souveraineté mauricienne des Chagos. Sauf une courte interruption, le Front Polisario, porte-voix d’une République sahraouie décolonisée, a toujours obtenu l’appui de la République de Maurice, elle-même, depuis 1982. Soit depuis l’avènement du gouvernement MMM-PSM. En permettant à notre équipe nationale d’aller à Laayoune, le gouvernement mauricien a manqué de solidarité grave envers le peuple sahraoui opprimé, envers la SADC et il a ridiculisé sa propre position dans le conflit Front Polisario/Maroc.

Le communiqué du ministère de la Jeunesse et des Sports émis la semaine dernière après que la sélection nationale de Futsal ait été contrainte de se retirer, nous a raconté des salades. Il est impensable que ni ce ministère ni celui des Affaires étrangères — celui-ci en premier lieu — ne savait pas qu’une l’équipe nationale de Maurice n’avait pas sa place à Laayoune. D’autant que la qualification de Maurice à la phase finale du championnat avait été confirmée depuis le 17 janvier, soit après le retrait motivé de l’Afrique du Sud et que l’équipe est partie sept jours après ce retrait. Un service diplomatique mauricien vigilant qui peut compter sur un African Desk et une institution comme la Mauritius Football Association (MFA) dirigée par des gens politiquement éclairés n’ont pas le droit d’attendre que le Liaison Officer de la SADC auprès de l’Union africaine (UA) les appelle au téléphone pour leur rappeler les engagements de leur pays. Si la SADC avait laissé passer et que Maurice avait gagné, on peut deviner tout le triomphalisme qui aurait alors prévalu à la MFA et au gouvernement.

Ainsi, on ne peut pas gober cette histoire qu’il n’y aurait  eu que de l’ignorance de la part des autorités mauriciennes. Il y a eu surtout de l’opportunisme qui a permis aux dirigeants sportifs et au ministère concernés de croire qu’il fallait absolument sauter sur l’occasion qu’offrait le retrait sud-africain. Il faut, dans la même foulée, constater que le phénomène veyer seke semble de plus en plus devenir… un sport dans notre pays. Alors, on trouve – comme l’avait jadis opiné un flamboyant rédacteur en chef — qui s’est depuis reconverti en conseiller politique — qu’un tsunami en Thaïlande c’est du pain béni pour le tourisme mauricien. Un vrai humain doit pourtant s’indigner de ce genre de réflexion quand on sait  que la catastrophe qui avait frappé le Sud-Est asiatique avait fait près d’une centaine de milliers de morts C’est horrible qu’un membre de l’actuel gouvernement vienne de répéter la même bêtise la semaine dernière en affirmant, cette fois, que les touristes qui craignent de visiter l’Asie à cause du coronavirus vont trouver  “refuge” à Maurice ! Le malheur des uns fait le bonheur des autres ! Comme quoi, c’est l’économie catastrophe qui va pouvoir redémarrer un secteur de l’économie englué dans un réel désintérêt inquiétant  des touristes de notre pays…

Nos décideurs, qu’ils soient politiques ou dirigeants sportifs, doivent avoir des comportements plus dignes. La mésaventure de notre équipe de futsal à Laayoune n’aura été que la défaite d’un vil opportunisme qui ne fait pas honneur.

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