LA DOMINATION DES JOCKEYS MAURICIENS : Une tendance qui devrait s’inverser

Samedi 9 avril 2016. Nous sommes à quelques minutes du départ de la Sir Radhamohun Gujadhur Cup. Les chevaux tournent derrière les stalles et Derreck David, la Cravache d’Or 2015, se fait copieusement chahuté par les turfistes à coup de « Go home!» « Go home!». Le parcours du Sud-Africain, qui court toujours après sa première victoire, contraste singulièrement avec celui de Rye Joorawon qui marque de son empreinte ce début de saison. La belle performance du Mauricien n’est que le reflet de la nette domination des jockeys mauriciens lors des trois premières journées de compétition. Des 22 courses disputées jusqu’ici, les local boys se sont adjugés 19 victoires contre seulement 3 aux étrangers. Ils sont six déjà à avoir inscrit leurs noms au tableau des vainqueurs. Par rapport à la période correspondante en 2015, on constate que les Mauriciens ont doublé de leur efficacité (voir tableau plus loin). Qu’est-ce qui explique cette domination sans partage des locaux? Pourront-ils maintenir la cadence tout au long de la saison? Turf Magazine a sondé plusieurs acteurs du circuit qui, à travers leurs témoignages, apportent quelques éléments de réponse.
La domination des Mauriciens est-elle aussi tranchante qu’on pourrait le penser? Un simple coup d’oeil aux forces en présence nous démontrent que cette suprématie découle d’une certaine logique en ce sens que les Mauriciens sont plus nombreux que leurs homologues étrangers. Déjà, au coup d’envoi de la saison, ils n’étaient que trois en action, Donavan Mansour n’étant pas autorisé à prêter main forte à Peter Hall, Derreck David et Mark Neisius en raison des contraintes administratives. Des différentes personnes interrogées, tous s’accordent à dire que les Mauriciens étaient bien mieux représentés dans les différentes épreuves, ce qui explique leur taux de réussite élevé. Toutefois, André Bungaroo, turfiste de longue date, va plus loin dans son analyse et évoque aussi le facteur chance qui est très important dans la quête d’une victoire. « Si on prend le cas de Derreck David par exemple, on s’apercevra que le jockey champion en titre a joué de beaucoup de malchance dans quelques épreuves. Je pense ici aux deuxièmes places d’Everest, Canadian Dollar, Nothing Compares et Parado qui ont tous flirté avec la victoire. En revanche, on constate que la chance semble être du côté des garçons comme Rye Joorawon et Kevin Ghunowa et ils ont su en tirer profit. Par le facteur chance, je veux dire des conditions de courses favorables et des chevaux présentés au meilleur de leur forme. Ajouter à cela, il vous faut aussi ce soupçon de réussite en course pour faire pencher la balance en votre faveur, ce qui n’est pas le cas de David actuellement.»  
Pour Samraj Mahadia, ancien cavalier et aujourd’hui Stipendiary Steward, au-delà du facteur chance, c’est surtout la qualité des montes qui font que les Mauriciens brillent en ce début de saison. « Comme le dit ce vieil adage, good horses make good jockeys. Depuis le début de la saison, les locaux bénéficient de très bonnes montes et ils ont démontré que given the proper tools, they can deliver the goods. »
« Rs 150 000 par mois pour un jockey étranger »
La faible représentation de cavaliers étrangers s’explique principalement par le coup exorbitant que peut représenter leur venue à Maurice. Subiraj Gujadhur, assistant-entraîneur à l’entraînement Rameshwar Gujadhur, n’est pas passé par quatre chemins pour nous faire part des contraintes budgétaires entourant l’embauche d’un cavalier étranger.
« En sus des formalités concernant son permis de travail, il y a aussi d’autres frais à considérer. Au minimum, il vous faut Rs 150 000 mensuellement pour couvrir les frais d’un stable jockey. Ce coût englobe son salaire, ses frais de déplacement, son logement et tous les frais annexes. C’est vous dire qu’un jockey étranger peut coûter les yeux de la tête à une écurie. Heureusement qu’au sein de la nôtre, on peut compter sur la solidarité de nos membres qui, à travers leurs cotisations, nous ont permis de nous attacher les services d’une cravache étrangère.»
Il faut aussi compter avec les directives on ne peut plus rigides de la Gambling Regulatory Authority (GRA), concernant l’embauche des jockeys étrangers. La nouvelle donne veut que les entraîneurs n’embauche que des cavaliers provenant des pays avec qui Maurice a un traité d’extradition. Ce qui fait que les entraîneurs peinent à trouver l’oiseau rare. L’affaire Ségeon qui a fait couler beaucoup d’encre l’année dernière et qui avait débouché sur une interdiction to departure pesant sur le Français n’est pas non plus pour arranger les choses. Ce qui a accru davantage la difficulté des entraîneurs, la destination mauricienne n’étant plus aussi attractive qu’elle ne l’était auparavant. On se souvient encore de la cinglante réplique de cette fine cravache étrangère contactée au beau milieu de la saison dernière par une grosse cylindrée, qui avait fini par décliner l’offre, pourtant alléchante, au motif qu’il avait des craintes de ne pas pouvoir rentrer chez lui à la fin de la saison. « Can you guarantee me that I will be home with my  family for Christmas? », avait-il lancé de façon lapidaire.
La progression des jockeys mauriciens
Autre facteur à prendre en ligne de compte est la constante progression des cavaliers mauriciens au cours des dernières années. À ce sujet, Subiraj Gujadhur attire l’attention sur le fait que désormais les jockeys mauriciens ne dorment plus sur leurs lauriers pendant l’intersaison.
« Certains, à l’image de Rye Joorawon qui avait tenté l’expérience malaisienne dans un passé récent et Niven Marday qui a représenté Maurice dans des compétitions internationales, ont beaucoup bénéficié de ce frottement pour s’aguerrir. Le dernier en date est Jeanot Bardottier qui se trouve actuellement en Australie. »  
Samraj Mahadia estime, pour sa part, que le fait d’avoir de bons chevaux à monter en compétition, a grandement contribué à la progression de nos compatriotes. « Plus un cavalier obtient de bonnes montes, plus il gagne en assurance et développe de bons réflexes. Ses prestations en course font que les entraîneurs n’hésitent pas à lui faire de plus en plus confiance. C’est un peu ce qui se passe  actuellement avec les Mauriciens. Auparavant on nous confiait que des chevaux qui n’avaient pratiquemment aucune chance. Tel n’est pas nécessairement le cas de nos jours. »  
Ravi Rawa, ancien jockey et ex-Riding Master, voit lui les choses différemment. « Contrairement à ce que les gens peuvent penser, le cavaliers mauriciens n’ont pas autant progressé. Kevin Ghunowa était déjà très professionnel dans son approche mais ne bénéficiait pas de montes valables. Yashin Emamdee, Vijay Anand Bundhoo, Dinesh Sooful, Swapneel Rama et Sunil Busssunt ont, pour eux, l’expérience tandis que Rye Joorawon, recordman de victoire au Champ de Mars, est un natural-born rider et a prouvé qu’il était l’un des meilleurs cavaliers que le pays ait produit. Le fait qu’ils se mesurent principalement à d’autres Mauriciens font que ce sont eux qui se taillent la part du lion. »
S’il est vrai que les Mauriciens ont enlevé 86% des courses disputées jusqu’ici, soit 19,19% de réussite comparée à 6,25% à leurs homologues étrangers (voir tableau plus loin), force est de constater que nous n’en sommes qu’à la troisième journée de la saison et que la tendance devrait irrémédiablement s’inverser à mesure qu’on avance dans la saison. C’est du reste ce que s’accordent à dire nos différents interlocuteurs.
« Il n’est pas impossible que les formations qui peuvent s’offrir les services d’un jockey étranger attendent que leurs pensionnaires atteignent leur meilleure forme pour signer une cravache étrangère », prédit Subiraj Gujadhur. Et à Samraj Mahadia de nuancer. « Je pense que Noel Callow qui n’est sur place que depuis quelques jours, ne connaît pas encore bien tous ses chevaux alors que les compétiteurs de Rousset ne me semblent pas encore tout à fait prêts. Au fur et à mesure qu’on progressera dans la saison, on devrait voir le réveil des étrangers. »
André Bungaroo, pour sa part, estime que certains jockeys ont besoin d’un temps d’adaption vu la complexité du Champ de Mars. « Peter Hall par exemple a pris un certain temps pour (re)prendre ses repères sur notre piste circulaire. Il a souvent fait l’arrivée mais il lui a manqué un petit «plus» pour faire la différence. Sans vouloir être anti-patriotique, je pense que la tendance devrait s’inverser d’ici quelque semaines, surtout avec l’arrivée imminente d’autres cavaliers étrangers.»
Justement avec la venue prochaine de Daniel Moor du côté de l’entraînement Allet, les jockeys étrangers seront six, soit pratiquement le même nombre que la saison dernière. Décrocher de bonnes montes sera alors plus compliqué pour nos compatriotes. Ce qui, en conséquence, devrait inverser la tendance. Mais gageons que les Mauriciens sauront tenir la dragée haute à leurs homologues étrangers dès que les entraîneurs feront appel à eux.

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