La leçon de Calvinia

La station nationale de météorologie a-t-elle réellement bien géré la situation lors du passage auprès de Maurice, la semaine dernière, de la forte tempête Calvinia ? Les avis sont partagés après que, à peine deux heures après avoir émis un avertissement de cyclone de classe 2 faisant obligation à la population de se rendre au travail, la station est passée en alerte 3. Bien que, selon le protocole, l’alerte à ce niveau relevé signifie que les gens disposent d’environ six heures de lumière du jour pour se mettre à l’abri — ce que nombre de Mauriciens semblent ne pas avoir encore suffisamment compris —, la décision de la station a créé une belle panique et suscité beaucoup de grogne. Selon un ancien météorologue qui souhaite conserver l’anonymat, si la station nationale s’est retrouvée sous le feu des critiques, elle ne devrait s’en prendre qu’à elle-même. D’après ce météorologue qui en a vu d’autres, « l’erreur fondamentale de la station aura été d’avoir négligé le principe que tant qu’une tempête, encore plus une forte tempête quand ce n’est pas un cyclone, n’a pas suffisamment dépassé la latitude de Maurice (20° Sud), il n’est jamais prudent de ne pas émettre l’alerte numéro 3, surtout si le phénomène se trouve trop près de nos côtes. »

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Toujours selon notre interlocuteur, lorsque l’alerte de classe 2 a été lancée à 4 h du matin, la forte tempête Calvinia était toujours localisée à moins de 100 kilomètres presque à l’est de Mahébourg. Qui plus est, elle était, d’après la station elle-même, presque stationnaire et avait tendance à s’intensifier. Or, nombre d’heures bien avant, tous les sites d’observation internationale qui suivaient son évolution, dont parmi le site Windy, le Joint Typhoon Warning Center japonais et le Centre régional spécialisé cyclones de l’océan Indien (CMRS de la Réunion) avaient prévenu que lorsqu’elle arriverait à l’est-sud-est de Maurice, Calvinia allait recurver vers l’ouest, ramenant ainsi son œil et ses vents les plus violents plus près de notre île. Cette trajectoire devait s’imposer en raison de la présence au sud des Mascareignes d’un fort anticyclone qui obstruerait le déplacement de Calvinia vers le sud. C’est ce qui s’est exactement passé. Or, toujours selon l’ancien météorologue, il y avait plusieurs précautions à prendre en considération dans un tel cas de figure :

— d’abord, il y avait le grand risque que, avec le lent déplacement de l’anticyclone vers l’est, Calvinia se renforce et bouge à une vitesse accélérée beaucoup plus à l’ouest que prévu, augmentant ainsi gravement le danger

— ensuite, il faut savoir qu’une tempête tropicale reprend souvent de l’énergie en étant restée stationnaire. Elle ne suit pas, alors, tout le temps une trajectoire rectiligne — c’est-à-dire en ligne droite —, mais elle fait des boucles sur elle-même. Ce pour quoi aussi les météorologues s’accordent toujours sur une marge d’erreur d’au moins 50 kilomètres — voire 100 kilomètres — dans leurs prévisions lorsqu’il s’agit de localiser la position exacte d’une tempête.

Qui plus est, certains observateurs réunionnais passionnés de cyclone, dont d’anciens météorologues eux-mêmes, qui, eux également, appréhendaient un rapprochement vers l’ouest, jugeaient « très préoccupante » la proximité de Calvinia avec les côtes mauriciennes. Qu’est qui a pu donc justifier la décision de la station nationale de ne se contenter que d’une alerte de classe 2 seulement, pour ensuite se raviser aussi rapidement et rehausser le niveau de l’alerte dans une pagaille générale ?

Beaucoup de Mauriciens pensent, à tort ou à raison, que la station de Vacoas se laisse influencer par des pesanteurs politiques, économiques sinon sociales. Si quelque pression politique devait s’avérer, ce ne serait pas tout à fait étonnant quand on sait que, depuis un certain temps, il paraît manifeste que les politiques ont aussi leur mot à dire dans l’émission des alertes. Qu’il ait pu y avoir des pressions des milieux économiques, cela non plus plus ne devrait pas étonner lorsqu’on a pu constater dans le passé la rapidité avec laquelle l’alerte de classe 4 est enlevée aussitôt un cyclone passé afin de répondre aux exigences de certains employeurs qui se soucient beaucoup plus de la reprise des activités de leurs entreprises que de la sécurité de leurs employés. Les cars de ramassage de ces pauvres employés passent alors les prendre avant qu’ils n’aient eu le moindre moment pour évacuer l’eau qui a inondé leurs maisons. Économie oblige !

Toutefois, dans le cas précis de Calvinia, beaucoup pensent plutôt, encore une fois à tort ou à raison, que la station nationale aurait pu avoir cédé à la pesanteur sociale, soit à la tentation de ne pas bousculer la tradition de la population de se ruer vers les magasins pour leurs achats du réveillon de la St Sylvestre. Cependant, si tel a été le critère qui a primé pour n’émettre qu’une alerte de classe 2 alors que l’évidence imposait la classe supérieure, le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’était pas une sage décision. Elle aura même été dangereuse. Or, la station nationale a déjà fait l’expérience de pareil mauvais calcul dans un passé pas trop lointain. Ce fut quand, faisant fi de toute mesure de prudence, elle s’était retenue de décréter l’alerte de classe 3 afin de permettre à des centaines de pèlerins d’entamer leur pèlerinage de Maha Shivaratree vers le lac de Grand Bassin. Fort heureusement, à l’époque, il y avait eu tout le dévouement de la Special Mobile Force, commandé alors par Raj Dayal, qui permit d’évacuer d’urgence par camions ces pèlerins imprudents, certes, mais surtout mal avisés.

La station doit retenir la leçon de Calvinia, d’autant qu’on est à peine au début de la saison cyclonique 2020.

Henri Marimootoo

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