La perte d’un record mauricien de plus de vingt ans…

Le 17 juin dernier, à Sotheby’s, la célèbre salle des ventes new-yorkaise de Manhattan, un record mondial de vente est tombé. Un timbre, unique au monde, le célèbre British Guiana one cent magenta, a été acquis par un acheteur anonyme, au prix phénoménal de 9 480 000 $, soit environ 285 millions de Rs (MRU) établissant un prix record jamais atteint par un timbre lors d’une vente aux enchères. Le précédent record était détenu par le fameux Bordeaux Cover, célèbre enveloppe sur laquelle figurent ensemble nos deux fabuleux Mauritius Post Office, bleu et rouge. La vente de cette enveloppe eut lieu en 1994 à Zürich, au prix déjà faramineux de 4 millions de $.
Ce 17 juin, pour le Guiana Magenta 1c, après une mise à prix de 4.5 millions de $, il ne s’en est fallu que de deux petites minutes pour emballer la salle, faire vibrer des centaines de téléphones de correspondants et enfiévrer l’assistance comme jamais sans doute. Ce timbre est si rare qu’il ne fait pas partie de la célèbre collection philatélique de la famille royale d’Angleterre, à la différence du Mauritius Post Office rouge d’1 penny qui fut acquis par le futur Roi George V au commencement du XXe siècle. C’est dire s’il suscite à lui-seul les convoitises !
La Guyane, colonie britannique, dépendait de l’Angleterre pour son approvisionnement en timbres postaux, mais suite à un retard dans l’acheminement maritime, en 1856, le Postmaster de l’époque, E.T.E. Dalton, confronté à une pénurie certes momentanée, mais des plus regrettable, décida de passer commande d’un nombre limité de timbres locaux, dont ce British Guiana one cent Magenta se trouve être aujourd’hui, l’unique descendant survivant !
Ce n’est en fait qu’en 1873, soit 17 ans après avoir été émis, que L. Vernon Vaughan, un gamin écossais de douze ans seulement, établi avec toute sa famille en Guyane anglaise, découvrit au fond d’un tiroir le spécimen en question parmi de vieux papiers de famille. Il s’empressa de l’ajouter à sa modeste collection d’alors, mais comme il ne figurait dans aucun de ses catalogues, il se résolut bien vite à le revendre à un autre collectionneur pour la somme ridicule de six shillings ! Après quoi, le timbre gagna la Grande Bretagne en 1878, année où il fut alors acheté par le Comte Philippe La Renotière von Ferrary, Français qui fut sans doute le plus grand collectionneur de timbres de tous les temps. Il en fit don au célèbre Musée de Berlin, aujourd’hui Musée des Télécommunications, mais peu de personnes savent que la France, au lendemain de la 1ère guerre mondiale, saisit cette collection et s’en empara comme réparations pour dommages de guerre…
Grand mal lui en prit, car, apparemment peu portée sur la philatélie, la France de la IIIe République commit l’irréparable et s’empressa de revendre officiellement le Guyana en 1922, lors d’une vente publique, à un magnat du textile new-yorkais, Arthur Hind, qui le paya déjà au prix record de 35 000 $. Il remporta encore un record de vente en 1970, 280 000$, puis fut revendu en 1980 à un milliardaire américain, Du Pont de Nemours, pour 935 000$. Ce dernier tourna mal puisqu’il fut condamné à la prison ferme en 2010, coupable du meurtre d’un champion olympique de lutte libre, médaillé d’or, Dave Schultz. Du Pont finit par décéder lui-même en prison… Comme quoi, la philatélie est souvent beaucoup plus romanesque qu’on l’imagine !
C’est le consortium en charge des affaires de Du Pont de Nemours qui décida après sa mort, de passer ce timbre en vente. Pour ce faire, ce dernier fut exposé à Londres, Hong-Kong et New-York.
Il est remarquable de constater que, parmi les timbres les plus rares et les plus recherchés au monde, figurent nombre de timbres des anciennes colonies, tels que les fameux Mauritius Post Office de 1847 ou le Guiana de 1856 ou encore, ce timbre d’Hawaï de 1851 ou celui de Gold-Coast  (actuellement le Ghana) à l’effigie d’Edouard VII, etc.
Ce sont souvent les circonstances historiques ou leurs situations géographiques et juridiques qui nécessitèrent, dans l’improvisation ou avec les matériaux et artistes locaux voire de passage, de créer des émissions limitées et pour des marchés très restreints, augmentant par là incidemment et du même coup, leurs risques de rareté.
C’est ainsi qu’on retrouve, dans les circonstances évènementielles ou anecdotiques de l’impression de ces timbres, des parallèles qui s’expliquent par le caractère d’isolement dans lequel étaient ces pays à cette époque et l’impérieuse et paradoxale nécessité dans laquelle ils se trouvaient de communiquer avec leurs métropoles ou l’Europe en général. Par leurs sujets, profils de rois ou de reines, profils de navires, c’est une thématique historique représentative d’une époque et symbolique de la situation coloniale de ces pays.
En effet, il est facile de se rendre compte que la plupart des raretés philatéliques des pays d’Europe ou d’Amérique, à peu d’exceptions près, résultent, de manière fort différente, d’anomalies, de variétés  ou d’erreurs. C’est le cas des célèbres Inverted Jenny américain de 24 cents représentant l’avion à l’envers de ce qui aurait dû advenir… , faisant faire au biplan Curtiss un looping pour le moins imprévu et dont il ne s’est pas remis à ce jour. C’est aussi pour un problème technique non élucidé que le fameux timbre suédois Tre skilling jaune a été émis. Non seulement l’erreur ne semble pas avoir été remarquée à l’imprimerie, mais le nombre de 3 skilling jaune imprimés est complètement inconnu. Malgré d’intensives recherches à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, aucun autre exemplaire ne fut découvert.
Dans les cas spécifiques aux colonies, les nécessités de l’acheminement postal ont en quelque sorte obligé un Postmaster local (Dalton pour le Guiana, Brownrigg pour Maurice) à improviser face à une situation d’urgence et à tenter d’innover en créant son propre timbre localement. Dans tous les cas coloniaux également, on eut recours à un graveur ou un imprimeur résidant sur place et recruté localement afin de réaliser au plus vite l’objet philatélique dans les plus brefs délais. Dans les deux cas également, le Postmaster ne fut paraît-il, ou selon la légende, pas satisfait du travail accompli. Dans le cas du Guyana de 1c, l’initiative des graveurs concernant le dessin d’un navire ne fut guère du goût de Dalton, qui décida, pour authentifier l’affranchissement, de faire apposer de manière supplémentaire, la signature de l’employé des postes.
En tout cas, étant donné le prix exorbitant atteint ce 17 juin dernier par ce timbre, on peut affirmer sans aucun risque d’être contredit, qu’il peut porter fièrement la devise qu’il arbore en évidence depuis 1856, à savoir, Damus Petimus Que Vicissim, « Nous donnons et attendons en retour ». Nul doute que l’heureux propriétaire actuel aura su se montrer sensible à pareil argument…
Quant au fameux Bordeaux Cover qui affiche depuis 167 ans nos deux Post Office mauriciens rouge et bleu, son record de prix de vente vient enfin de tomber après vingt ans, mais qui pourrait dire aujourd’hui ce que serait son prix si d’aventure la fameuse enveloppe revenait sur le marché…Ce qui ne manquera pas d’advenir…  Les jours de record du Guiana 1c Magenta seraient peut-être alors comptés…
Ce n’est que partie remise pour nos joyaux mauriciens de la philatélie mondiale.

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