Le prétendu modernisme

AVINASH RAMESSUR

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AVINASH RAMESSUR
AVINASH RAMESSUR

La beauté de la mort, c’est la présence. Présence inexprimable des âmes aimées, souriant à nos yeux en larmes. L’être pleuré est disparu, non parti. Nous n’apercevons plus son doux visage; nous nous sentons sous ses ailes. Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents. (Victor Hugo)

Le départ récent d’un proche pour d’autres cieux et l’expérience qui s’en est ensuivi me pousse à soulever ces quelques questions : Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Et comment quittera-t-on ce monde ? Vaste sujet et il ne s’agit pas de le considérer du point de vue des textes religieux; d’autres sont bien mieux placés que moi pour le faire et les textes sont par ailleurs explicites pour certains. Mon but est de me demander, de façon modeste et pratique, si le train de vie que nous avons embrassé élève notre niveau d’humanité ou pas.

Il est indéniable que l’ère dans laquelle nous vivons nous procure un confort matériel sans égal par rapport aux générations précédentes. Nous vivons plus longtemps et mieux pour beaucoup d’entre nous. Mais ce confort matériel a un prix, celui de la marchandisation à l’extrême y compris 1.) la marchandisation de notre déchéance lorsqu’il nous manquera des forces pour assurer notre propre hygiène et notre propre dignité et 2.) la marchandisation de notre dépouille parce que nos proches seront trop occupés à besogner dans la prison intellectuelle dans laquelle ils se trouvent pour trouver le temps de remplir leur devoir de parents.

Ce modernisme qui nous accapare, nous infantilise et qui, d’une certaine façon, nous amène à considérer nos relations uniquement d’un point de vue transactionnel (le mot d’usage est « win-win »), nous transforme en des gens asservis d’un système où la seule valeur reconnue et acceptée est celle de l’argent et du profit. En y succombant, nous vivons comme s’il n’y aura pas de lendemain et comme si ce ne sera jamais notre tour de subir la décrépitude qui est pourtant le propre de toute espèce vivante sur cette terre quel que soit le niveau de son compte en banque.

Cette vie de cigale qui nous fait manquer à notre devoir de faire partir nos proches dans la dignité nécessaire, ce prétendu modernisme où c’est désormais à la mode de cacher nos vieux dans des mouroirs joliment appelés « care home » afin de nous débarrasser de toute distraction qui pourrait nous empêcher de toujours danser alors que l’automne s’approche aussi de nos jours, c’est le recul d’une humanité qui ne sait plus définir ses valeurs par rapport à un système capitaliste qui en veut toujours plus, même s’il s’agit de retourner à la barbarie.

Des « care homes » représentent le sommet de l’hypocrisie du système de marchandisation avec pour but principal d’assécher les dernières réserves de ceux destinés à l’au-delà en procurant un service froid, déshumanisant et minimal du fait de pratiques comptables et par obligation de maximiser les profits. Pendant ce temps, nous nous contentons de nous prélasser en nous abreuvant du flot d’informations continu de notre monde connecté soit pour nous indigner du malheur des autres (jamais chez nous) soit pour nous dire que le ciel est bleu et que les oiseaux chantent à la télé dans la douce béatitude que nous procure ce prétendu modernisme.

« Les oies ne sont jamais aussi contentes que lorsqu’elles sont gavées sans se douter que c’est le fer froid du couteau dans la main du boucher qui les attend en fin de compte. »

Ces deux hyperliens suivants nous donnent une idée des pratiques et des maux qui affligent les vieux dans des pays dits développés. Il nous faut frissonner si de tels maux affligent aussi nos vieux dans notre pays, car l’absence de contrôle et de régulation (voulue ?) notoire ici ne pourrait que renforcer ces mauvais traitements.

– https://www.nouvelobs.com/sante/20190509.OBS12691/scandale-des-ehpad-le-recit-poignant-de-hella-kherief-aide-soignante.html

– https://blogs.mediapart.fr/groucho-vert/blog/210918/ehpad-prives-encore-une-fois-un-scandale-tres-profitable

Au final, il nous faut choisir si nous sommes humains (et définir le sens de ce terme) ou sauvages. Nous devons comprendre que la façon dont on traite nos personnes âgées est représentative du niveau de nos valeurs et de la fabrique de notre tissu social. Il nous faut aussi comprendre que la même fatalité nous attend tous et que l’égoïsme (voulu par un système que nous refusons de combattre), que nous affichons aujourd’hui, ne garantit nullement que nous ne serons pas les oies de demain.

PS : à noter que les supposés sauvages des siècles précédents traitaient bien mieux leurs vieux et leurs morts, car ils avaient compris que les liens émotionnels et affectifs intergénérationnels se construisent ainsi.

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