Accueil Actualités Economie l’Entrepreneur de l’année 2018 – Steeve Thomas fait rimer esthétique et efficacité

l’Entrepreneur de l’année 2018 – Steeve Thomas fait rimer esthétique et efficacité

0
l’Entrepreneur de l’année 2018 – Steeve Thomas  fait rimer esthétique  et efficacité

La concentration est maximale tandis que le crayon à papier HB noir glisse sur la feuille. Le visage est fermé. Les traits rapides s’enchaînent. Steeve Thomas s’empare d’un feutre rouge puis d’un noir et peu à peu le dessin prend forme. Il est temps de le « rentrer » dans l’ordinateur avec AutoCAD, le logiciel de dessin assisté par ordinateur le plus répandu dans le monde. Rapidement la réplique modélisée apparaît. « La touche finale », exulte le directeur de New Capricorn Services Ltd, en dévoilant l’animation 3D sur l’ordinateur.

Difficile à croire que le dessin a été pour lui une vocation tardive ! Et drôle de parcours que celui de ce Beau-Bassinois de 57 ans, père de deux enfants, à la tête d’une des entreprises leaders à Maurice dans la création et l’aménagement de bureaux et de salles de réunion. Officiellement créée en 2004, l’histoire de sa société est intrinsèquement liée à celle du groupe Rogers. « C’a été mon université ! »,
explique-t-il en éclatant de rire. Pourtant derrière ce sourire et cette allure contractée (chemise blanche, lunettes de soleil sur le front et jeans) se cache une grande pudeur : il avoue qu’il est toujours un peu compliqué de parler de soi.

« Avant de créer mon entreprise, j’étais employé de Rogers. Avec mon équipe, nous étions chargés de développer un certain nombre de projets de maintenance et d’assurer l’entretien du parc immobilier du groupe. » L’activité devient si importante que Rogers décide de créer, en 1987, une entité spécialisée : Capricorn Services Ltd. « Pourquoi Capricorn ? C’est Jean Ribet, l’ancien directeur général de Rogers Properties, qui a choisi ce nom pour rappeler que nous nous situons au nord du tropique du Capricorne», se souvient Steeve Thomas.

L’expérience australienne

Lors de ses missions, il est amené à travailler pour l’ambassade américaine et la Haute-Commission australienne, l’équivalent d’une ambassade dans les pays du Commonweath. « Dans le cadre de ce travail, j’ai tissé des liens amicaux. Au point où un haut diplomate m’a demandé si j’étais intéressé pour aller étudier en Australie. » Après un (long) moment de réflexion, Steeve Thomas décide d’accepter l’offre et de s’installer là-bas avec sa famille. En 1989, il présente sa démission à Rogers. Mais coup de théâtre, Derek Taylor, patron du groupe et incidemment son mentor, lui propose une bourse d’études… à condition de rentrer à Maurice à l’issue de la formation. C’est ainsi qu’il va étudier dans une école de design à Sidney de 1990 à 1993. « C’est là que j’ai appris à dessiner », reconnaît-il. Il est vrai que sa formation initiale le destinait plutôt à l’électronique. Respectant la parole donnée, il rentre à Maurice en 1993 et ouvre un bureau de design au sein du groupe Rogers, effectuant des travaux d’aménagement et des fabrications de meubles.

Notre homme décide de sauter le pas en 2004, en créant sa propre entreprise. Il y investit 100 000 roupies (2 500 euros) et choisit New Capricorn Services comme nom, clin d’œil à son histoire commune avec Rogers. Il se focalise sur la création et l’aménagement de bureaux et de salles de réunion, mais également sur les espaces d’accueil. « Ces lieux sont les premiers points d’entrée des clients. Ils se doivent d’être confortables et esthétiques, transmettre un message fort et refléter l’identité de l’entreprise. C’est la vitrine de l’entreprise. »

Riche d’influences culturelles variées depuis sa plus tendre enfance, Steeve Thomas a su bâtir son style sur le métissage et le mélange des genres, du plus baroque au plus dépouillé. Et très vite, le bouche-à-oreille fait son œuvre. Les sociétés affluent (et reviennent) pour demander à Steeve et à ses équipes de créer leurs salles de réunion et d’accueil. C’est le cas de la Swan, du cabinet comptable PwC, des banques AfrAsia, Barclays et Bank One, du cabinet d’affaires Abax, de différents centres d’appels.

Des environnements à forte identité

« Travailler dans un environnement optimisé, bien éclairé et accueillant contribue à l’efficacité des employés, cela permet aux réunions de se passer de la meilleure façon », témoigne Marie Christine Liu, directrice du départment Retail Banking de la Barclays.

New Capricorn Services a aussi exporté son savoir-faire. Elle a ainsi rénové les bureaux du géant de l’importation et de la distribution de produits pétroliers à Madagascar, le groupe Galana, aujourd’hui filiale du groupe français Rubis.

Les résultats sont au rendez-vous et le chiffre d’affaires connaît une hausse constante pour atteindre 132 millions de roupies (3,3 millions d’euros) en 2017.

La réussite de New Capricorn Services s’explique avant tout par l’approche « cinématographique » de Steeve Thomas. « Mon métier n’est pas très loin du cinéma. Je vois chaque espace à traiter comme un scénario, une histoire à raconter. » Et à défaut d’Oscars, c’est le prix Arabia & Africa du Best Office Interior Mauritius qu’il reçoit à Dubaï, en 2013. Ces bons résultats s’appuient sur l’intégration de différents métiers dans un seul bâtiment. Aujourd’hui, l’entreprise compte 48 employés. Outre des graphistes, des architectes et des comptables, on trouve au rez-de-chaussée une équipe de menuisiers. Ils s’affèrent pour créer aux dimensions les plus exactes les différents éléments choisis par les clients. Et pour aménager ces espaces, l’entreprise importe également toute une gamme de mobiliers et équipements de bureau, des chaises aux luminaires, en passant par les étagères. « Cela représente d’ailleurs 40 % de notre chiffre d’affaires. Nous proposons une offre clé en main de A à Z », fait valoir Steeve Thomas.

Au fait des dernières tendances, New Capricorn Services a conçu les premiers bureaux « open space » de Maurice… pour le Groupe Rogers.  Mais l’entrepreneur compte étoffer son offre de services en développant une «offre green » et en créant un département paysagiste. Pas la peine de vous faire un dessin !


questions…

« Nous sommes en train de perdre nos artisans »

Que représente pour vous cette nomination au Tecoma Award ?

Pour moi, cette nomination représente surtout des années de sacrifices personnels et de travail avec une équipe qui est toujours restée à mes côtés. On peut dire que c’est le fruit de tout ce que j’ai pu semer pendant des années. Cette nomination, c’est aussi une manière de remercier ma famille, qui m’a toujours soutenu durant mon long parcours,

Selon l’adage, « l’habit ne fait pas le moine ». Mais selon vous, la décoration fait-elle l’âme de l’entreprise ?

Pour moi, l’âme d’une entreprise, ça reste les employés. Et pour aider cette âme à s’épanouir, il faut écouter ce que les employés ont à dire, à partager. Et cela se transmet notamment au travers de l’aménagement d’un bureau. D’ailleurs, j’aime faire un exercice particulier lorsque je dois réaménager un espace bureau. Je demande à parler à un groupe d’employés, à les accompagner dans la salle de déjeuner et je les écoute. Je m’empreins alors de leurs besoins, que je retransmets dans la décoration et le réaménagement du bureau. Il est important de pouvoir retransmettre les valeurs d’une entreprise et des personnes qui y travaillent dans son espace.

Pourquoi les entreprises investissent-elles plus dans l’aménagement de leur espace de travail ?

Vous savez, les gens voyagent beaucoup maintenant. Je travaille pour des banques, des compagnies “offshore”, et ces gens-là voient ce qui se fait ailleurs. Donc, ils exportent cette tendance à Maurice. Et puis, l’entreprise a tout à gagner en embellissant un espace bureau, d’une part pour leurs clients et d’autre part pour leurs employés eux-mêmes. C’est quelque chose que j’ai noté durant ces dernières années, c’est-à-dire que les employeurs mettent beaucoup l’accent sur le bien-être de leurs employés. Et c’est d’ailleurs cela la clé de la réussite d’une entreprise.

Parlez-nous de cette “offre green”. Y a-t-il réellement une demande des clients pour retrouver un espace plus vert, plus naturel ?

Oui, et j’y tiens beaucoup personnellement. D’ailleurs, j’insiste sur la luminosité naturelle des espaces que je réaménage. C’est un choix. Nous travaillons, mon fils – de formation paysagiste – et moi sur de nouveaux concepts pour aider les gens à respirer mieux au travers d’un système de ventilation écologique mais aussi grâce à des plantes. Il est important de recréer ces espaces verts. Par ailleurs, la “green attitude” est désormais dans notre culture. Donc, il y a cette volonté de vouloir tendre vers tout ce qui est “eco-friendly”.

Quel est l’avenir de ce secteur à Maurice ?

C’est un secteur qui paie. Mon gros chagrin, c’est de voir des jeunes sans emploi et qui ne veulent pas travailler dans ce domaine. Pourtant, nous manquons de personnes qui soient capables de travailler avec du bois, poser du carrelage, etc. Alors qu’attendent nos jeunes ? C’est dommage. J’ai des menuisiers qui travaillent avec moi depuis 20 ans et qui vont bientôt partir sans avoir eu l’occasion de transmettre leur savoir. Nous sommes en train de perdre nos artisans et c’est chagrinant. Pourquoi ces métiers sont-ils valorisés ailleurs et pas ici ? Ce secteur grandit de jour en jour. Il y a de l’avenir pour nos jeunes.