LES CLASSES LABORIEUSES À L’ÎLE MAURICE AU DÉBUT DU 20E SIÈCLE OU L’UNION SYNDICALE DES TRAVAILLEURS ET OUVRIERS DE 1908 : Commission d’Enquête sur le Chômage en 1908

En mars 1908 une Commission d’enquête fut instituée sous la présidence du Dr E. Laurent (26).  La Commission se réunit 20 fois et 69 témoins vinrent déposer ou furent assignés. Parmi on relève 3 forgerons, 7 charpentiers, 6 peintres de maison, 3 assembleurs, 4 tailleurs, 16 typographes (27), 1 constructeur naval et stevedore, 1 ex-marchand, 2 laboureurs, 1 tonnelier, 7 mécaniciens. 1 chaudronnier, 2 ferblantiers. Presque tous étaient des créoles à l’exception d’un certain Masjid Cader, qui  prêta serment en tant que musulman (28).
Comme le souligne le rapport de la Commission, les témoignages révèlent que nous sommes en présence d’une aristocratie du travail. Dans la bonne saison, les artisans touchaient entre 1 et 3  roupies par jour, les gages étant payés à la semaine ou deux fois par mois. Certains percevaient jusqu’à Rs 60-Rs 70 roupies par mois et avec les extra les gages pouvaient doubler (29).
Cependant,  la majorité était des locataires et payait une location qui variait entre 3 et 14 roupies mensuellement. Certains, par contre, à l’instar de William Adolphe, étaient propriétaires de leur résidence, dans ce cas, évaluée à Rs 1270, ce qui leur donnait le droit de vote aux élections municipales, voire générales (30).
D’ailleurs dans une déclaration au gouverneur, le Dr Laurent se plaignait qu’il était sous une terrible pression car la classe des artisans au chômage était ses mandants (31).
Autre fait à noter : même au chômage les artisans ne s’aventuraient pas à pratiquer un autre métier, ou à s’essayer comme laboureur. Le rapport de la Commission confirme l’extrême répugnance au travail de la terre qui leur rappelait l’esclavage. Certains témoignages confirment les propos de William Adolphe au gouverneur selon lesquels leurs ancêtres ayant abandonné le travail de la terre, il ne pouvait y retourner (32). Par contre, certains témoins précisaient qu’ils ne sauraient exercer un autre métier de peur de rendre un travail mal fait (33).
La Commission souligna les préjugés tenaces et leur grand souci de préserver leur statut social. Ainsi les maçons ne travailleraient pas pour moins d’une roupie par jour. Ils préféraient rester au chômage que d’accepter 60-70 sous la journée.
La grande majorité était des hommes mariés mais ils n’étaient guère aidés par leurs épouses par ces temps difficiles. Ces dernières ne travaillaient pas ou n’exerçaient que comme couturières. Elles refusaient de s’engager comme domestiques bien que, selon le rapport, elles auraient pu aspirer à un statut chez leur employeur comme dame de confiance (34).
De même, on ne rencontrait point de jardiniers ou de cuisiniers créoles. Cette classe avait complètement disparu, les créoles préférant s’adonner aux métiers. Ainsi les enfants en général entreprenaient de longues études, restaient sur les bancs de  l’école jusqu’à l’âge de 15, 16 ou 17 ans dans l’espoir de devenir des moniteurs ou des monitrices. D’autres s’engageaient comme apprentis dans les ateliers.
Mais ces préjugés travaillaient contre le groupe. Selon la Commission il y avait un manque de jardiniers à Maurice. La majorité était des Indiens et ils touchaient entre 20 et 30 roupies mensuellement, logés, blanchis et nourris. Ils pouvaient ainsi économiser et s’offrir par la suite un terrain pour cultiver.
Mais le créole ne s’aventurait pas hors des sentiers battus des métiers qui, il est vrai, leur procurait un  statut dans la société insulaire et les moyens d’un certain confort matériel. Néanmoins, la très grande majorité n’avait pu économiser durant la période opulente (35). La Commission déplorait qu’il dépensait son salaire aussitôt qu’il le percevait. Le goût du luxe et de la parure était une tentation à laquelle tant les hommes que les femmes ne pouvaient résister. Ou sinon les revenus étaient dépensés dans les tavernes de Port Louis. Heureusement que le thé commençait à remplacer le rhum et que les ‘hôtels de thé’ concurrençaient les tavernes.
Témoignages
Quant à la pétition, la lecture des dépositions démontre qu’il y avait unanimité que le prix du riz était exorbitant, que le gouvernement devait soulager le public et contrer les exactions des marchands arabes. Pour une grande majorité de témoins, le riz de Saïgon n’avait rien à voir avec le béribéri. Il demandait à ce que le gouvernement en fasse importer pour le revendre au prix de revient.
Ferdinand Marie et William Adolphe  firent ressortir que dans les colonies françaises de la Réunion et de Madagascar, les autorités intervenaient pour fixer le prix des denrées de base (36). Cela était contre les principes économiques britanniques mais certains maintenaient que la situation exigeait des mesures exceptionnelles (37).
Dans leur rapport, les commissaires recommandaient l’introduction du riz de Saïgon qui se vendait à  meilleur marché car selon eux il n’était guère prouvé que le riz de Saïgon causait le béribéri; plusieurs établissements sucriers l’ayant servi aux laboureurs  indiens engagés et aucun cas de béribéri n’avait été détecté (38).
Les artisans reprochaient aussi au gouvernement la concurrence déloyale et certains usages et pratiques des ateliers du gouvernement qui accroissaient le chômage chez certaines catégories d’artisans.
Ils déploraient ainsi l’utilisation des détenus de la prison centrale pour la confection, de produits en rattan wares et de meubles, y compris pour les nouveaux mariés. Un certain Elie Malliaté, maître artisan, avait déjà pétitionné le gouverneur contre cet état de choses, et les autorités avaient alors imposé une surcharge de 20% sur les marchandises confectionnées à la Prison centrale. Mais les artisans avançaient que c’était de la concurrence déloyale car les prisonniers travaillaient sous la supervision d’un maître artisan qui n’était pas un détenu.
En outre, ils ne payaient ni la taxe ni la “licence” et ils étaient blanchis, logés et nourris. Les témoins avançaient que le gouvernement devrait se limiter à confectionner des meubles pour les départements du service civil et non pour les particuliers (39).
Dans leur  rapport, les commissaires approuvèrent cette demande mais concédaient que s’il s’avérait impossible aux autorités d’appliquer cette mesure, elles devraient augmenter de 20 % la surcharge sur les meubles produits à la prison centrale.
De leur côté, les tailleurs se plaignaient du travail des dames employées par l’atelier du Storekeeper General  à la confection des uniformes pour le service des douanes, des garde-côtes, de la police et de la literie pour la commission des pauvres. Le département employait une soixantaine de dames qui étaient mises au chômage technique quand il n’avait pas d’ouvrage. Les tailleurs avançaient que cela leur enlevait du travail. Mais les commissaires firent ressortir que le travail était de bonne facture et amenait un net avantage à la trésorerie et que si cette tâche leur était enlevée, les dames se retrouveraient à la commission des pauvres.
Par contre, au sujet de la confection de bottes, le rapport de la Commission soulignait que bien qu’il est vrai que les bottes importées de l’Inde ou d’Angleterre coûtaient deux roupies moins que celles fabriquées localement, ces dernières étaient plus durables et qu’en outre le surplus effectué par le trésor serait bien employé car il procurerait du travail (40).
Les typographes se plaignaient de la nouvelle politique du gouvernement de ne plus recourir aux contracteurs privés, tel E. Coignet, pour se fier uniquement à l’imprimerie du  gouvernement. Cela, disaient-ils, avait grandement contribué au chômage des typographes. En outre, l’imprimerie du gouvernement  ne recrutait pas et laissait les travaux à la traîne (41).
Les commissaires soulignaient cependant que le  nouveau système avait ses avantages car le Storekeeper recrutait un grand nombre de typographes à 1 roupie 75 cs, à deux roupies par jour ; ce qui était  supérieur aux gages  offerts dans le privé.
Il faut noter  que la Commission entendit à la fois des employés et le directeur des travaux publics. Ils confirmèrent que le problème n’était pas si aigu. Et que les unskilled workers n’étaient guère affectés (42). Cependant les artisans témoignèrent  au contraire qu’à Port Louis, Beau Bassin et dans les campagnes la situation était dramatique (43).
Une des recommandations majeures du rapport était que le gouvernement encourage les artisans à se regrouper en « guildes » – des sociétés de secours mutuel. Ils paieraient alors une cotisation mensuelle et la somme retenue servirait à les aider en des temps difficiles selon leur contribution.
Et ces « guildes » seraient aussi des lieux de rencontres sociales où des livres à leur portée seraient disponibles. Ce qui selon les commissaires rehausserait le statut de l’artisan dans la société. Les commissaires recommandaient que le gouvernement  leur offre une subvention financière au début de leur opération (44).
FIN DE LA 2 PARTIE. À SUIVRE : “Rejet des Recommandations”.

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