Les dangers cachés du Safe City Project : We are «being watched »

Person of Interest. Si cela ne vous dit rien, c’est le titre d’une série télévisée qui est citée comme étant une des meilleures séries de science-fiction actuellement diffusées. Person of Interest s’inscrit dans une thématique réelle, notamment depuis les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance globale mise en place par les États-Unis, et soulève de nombreuses questions quant au respect de la vie privée.

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Chaque épisode est précédé d’une accroche d’ouverture sans équivoque : « You are being watched. The government has a secret system: a machine that spies on you every hour of every day » Cette fiction est déjà une réalité en Chine (voir en hors texte). Elle est en passe de le devenir dans notre pays, car les citoyens mauriciens seront bientôt soumis à l’œil impitoyable d’obscures entités à travers le projet nommé Safe City dont l’opacité fait craindre le pire quant à l’utilisation qu’on pourrait en faire. Evidemment, c’est sous le prétexte de la sécurité que ce projet a été élaboré. Cette décision avait été annoncée le 15 décembre 2017 après le Conseil des ministres et se déclinait sur des généralités qui cachent ses réelles visées : « Cabinet has agreed to the signing of the Contract Agreement between the Police Department, on behalf of the Ministry of Defence, and Mauritius Telecom Ltd for the implementation of the Safe City Project.

The project that aims at enhancing the security and safety of the public, comprises a CCTV Smart Camera Surveillance System, a Multimedia Radio Trunking System, a Central Watch and Management System, an Integrated Emergency Response Management System and an Intelligent Command System, to enable the Police Department to obtain better intelligence with a view to optimising response. »

Depuis, peu des détails ont transpiré, car aussi bien à la police, au gouvernement et ’à Mauritius Telecom, c’est motus et bouche cousue. Ce que nous savons pour l’heure c’est que la police de Maurice, qui dépend du ministre de l’Intérieur, SAJ, le ministre mentor, a attribué le contrat à Mauritius Telecom. Le projet repose sur un réseau de 4000 nouvelles caméras intelligentes qui seront installées sur 2000 points stratégiques à travers le pays.
Le choix de Mauritius Telecom dans ce projet est dans la philosophie du maillage du pouvoir politique de contrôler l’ensemble des dispositifs sensibles du pays qui peut influencer son avenir.

La grande proximité de son CEO, Sherry Singh, et les tenanciers de l’Hôtel du gouvernement actuel et de lakwizin en font un soldat fiable et sûr. Sous sa dénomination privée, alors que l’Etat en est un des plus gros actionnaires, MT est prémunie de toute interrogation embarrassante et est immunisée de tout questionnement qui pourrait provenir du Parlement. Ainsi, un faramineux contrat d’installation de fibre optique à domicile a été octroyé à des proches de la direction de MT sans appel d’offres dans une opacité qui en dit long sur le fonctionnement nébuleux de cette compagnie devenue une vraie machine à sous pour tous ceux qui tournent dans la sphère du pouvoir.
Big business for big brothers

Ceux qui sont derrière ce projet n’ont en effet pas négligé le volet affairiste de cette transaction. C’est un pactole de 20 milliards de roupies qui devrait être récolté sur les vingt ans à venir par MT dans ce projet étatique, mais qui sera élaboré sur le circuit privé pour n’avoir point de compte à rendre à quiconque, sauf à ses actionnaires, dont ceux des Français d’Orange, bien consentants. En effet, le gouvernement va verser chaque année, pendant 20 ans, une somme moyenne d’environ 1 milliard de roupies aux caisses de MT pour l’installation et l’exploitation de ce système de surveillance. Ainsi, un emprunt tournant autour de Rs 45O millions de dollars a déjà été contracté auprès de l’Export Bank of China (EXIM) dès le contrat octroyé par la police. Avec comme garant, le gouvernement mauricien qui expose le contribuable mauricien dans une dette et transaction d’ordre privé qui pourrait aussi lui être néfaste sur le plan personnel.

Le choix de la Chine comme partenaire financier de ce projet repose sur deux axes propres à tout ce qui est brumeux. D’abord, les Chinois ont une forte capacité à s’adapter aux demandes d’entorses aux règles de transparence et de bonne gouvernance de pays amis et demandeurs de faveurs. Ensuite, le partenaire technologique privé, sélectionné par MT dans ce projet, est l’opérateur de téléphonie chinoise, Huawei, qui est déjà étroitement lié à un projet de surveillance controversé dans son pays à Xinjiang. Il est bien entendu que d’autres entreprises locales bénéficieront aussi de contrats annexes juteux et ce sont évidemment des proches de MT et du pouvoir politique aux affaires qui en seront les heureux bénéficiaires et nous n’en saurons rien officiellement.

La révolution numérique a transformé la surveillance électronique et intelligente dans une telle magnitude qu’elle permet aujourd’hui de collecter et d’analyser des données à une échelle sans précédent. Les smartphones, les navigateurs Web et les opérateurs d’internet et de messageries fournissent des quantités d’informations que les gouvernements peuvent collecter, voire pirater.  Les centres de données leur permettent de les stocker indéfiniment et de les utiliser quand cela sert leurs intérêts.
Atteinte à la vie privée

Dans les démocraties occidentales, il est pompeusement annoncé que la police et les agences de renseignement utilisent ces caméras de surveillance pour résoudre et prévenir les crimes et le terrorisme. Les régimes totalitaires, comme la Chine, utilisent clairement l’intelligence artificielle et la surveillance de masse par caméras pour imposer un contrôle total sur une partie de leur population hostile au régime. Les deux régimes — démocratique et totalitaire — utilisent la même technologie et ont un objectif commun, mais l’un se veut vertueux, alors que l’autre ne s’en cache pas. Les résultats sont en tout cas les mêmes. Ils sont très efficaces contre le crime et pour la surveillance de citoyens normaux, et cela est profondément inquiétant.

La question centrale est donc de savoir si et comment Maurice va utiliser l’intelligence artificielle avec ses nouvelles caméras de surveillance. Avec les derniers développements en reconnaissance faciale et intelligence artificielle, il est devenu possible d’identifier des individus grâce aux caméras de surveillance et être informé en temps réel des déplacements de tout un chacun. Il est donc possible pour des personnes qui contrôlent ces systèmes de tout connaître sur nos déplacements publics et privés, pour peu que ces caméras de surveillance aient enregistré nos visages et puissent être couplées à une base de données biométriques des citoyens pour un matching.

Avec les photos biométriques de chaque Mauricien que l’Etat s’est procurées dans le processus d’émission des nouvelles cartes d’identité, cette perspective d’espionnage de tous nos faits et gestes privés est une réalité. En principe, suite aux dispositions du jugement de la Cour suprême du 25 mars 2015 dans l’affaire Madhewoo v/s State of Mauritius and Anor, il avait été établi que les empreintes digitales ne seraient plus conservées dans une base de données, mais uniquement sur le contenu dans la puce de la carte d’identité. Par contre, même si ce jugement préconisait que « the Storage and retention of fingerprints and other personnal biometric data collected for the purpose  of the biometric card are unconstitutionnal », rien n’a jusqu’ici été précisé ce qu’il est advenu des photos biométriques des Mauriciens.

Aucun des contestataires connus de la nouvelle carte d’identité biométrique, parmi lesquels figuraient au départ en bonne place les locataires actuels du gouvernement, n’est en mesure d’infirmer que ces photos biométriques sont toujours là et n’ont jamais été détruites. Même, concernant les empreintes digitales, le doute subsiste, car personne n’est en mesure de confirmer de façon formelle que la banque de données a été vraiment détruite après le jugement de la Cour suprême. Personne ne peut aussi affirmer que l’opération initiale de destruction des empreintes digitales ait été poursuivie dans le délai maximum de sept jours comme prévu par le gouvernement conformément à l’esprit de la décision juridique. Personne ne peut garantir non plus qu’il n’y ait pas d’autres copies soigneusement gardées secrètement, ici, ou à Singapour.

Il faut savoir qu’en l’absence de photos biométriques, ce nouveau système de surveillance intelligent n’aurait pas de sens. La nécessité du partenaire chinois de MT, qui a une expérience et une expertise reconnues en la matière, aurait été caduque.
L’autre sujet d’inquiétude est la possible exploitation des données de citoyens, que l’Etat s’est octroyées pour ses besoins d’administration, par des entreprises ou groupuscules privés à des fins de surveillance, d’espionnage, voire commerciale. Cela est contraire aux lois existantes et à l’éthique et ne saurait être accepté. D’autant que ces tiers sont pour la plupart du temps des laquais des pouvoirs politiques en place.

L’Etat mauricien sera donc doté d’outils ultra-performants susceptibles de contrôler les déplacements passés — à partir du moment de la mise en marche des nouvelles caméras intelligentes — et en temps réel de tout individu. Autant dire que les opposants politiques, les fonctionnaires récalcitrants, et les journalistes indépendants et accessoirement les criminels seront suivis à la trace. Certes, c’est déjà le cas à travers les écoutes téléphoniques et les filatures, mais ces moyens sont vraiment rudimentaires comparés aux possibilités actuelles des caméras intelligentes. Il suffira d’intégrer dans le système de surveillance 4.0 les données biométriques existantes et faire les recherches nécessaires avec les reconnaissances faciales des images en direct ou enregistrées des nouvelles caméras de surveillance. Il en sera de même pour les déplacements des véhicules. Avec les données de la National transport Authority, le matching pour la reconnaissance des plaques numérologiques des individus ciblés n’est qu’un jeu d’enfant pour déterminer le déplacement de chaque véhicule dans le pays.

Faiblesses des protections légales
Les lois évoluent moins vite que la technologie au point que le dispositif légal pour la protection intrinsèque des citoyens est aujourd’hui insuffisant. Le postulat fondamental qui contraignait le système étatique à obtenir a priori le consentement des citoyens s’est érodé au fil du temps. En matière de surveillance, le respect des lois et des règles, pour limiter le champ d’action des personnes qui recueillent et traitent l’information, est aujourd’hui invérifiable et peu digne de confiance.

Ainsi, dans la conjoncture de l’arrivée du Safe City Project et des probables utilisations abusives de la nouvelle technologie et de l’intelligence artificielle, il est indispensable de renforcer la législation contre l’atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles. A cet effet, les provisions actuelles de la NIC Act et de la Data Protection Act, pour prémunir les citoyens mauriciens des atteintes à leur vie privée et à leurs libertés individuelles, sont quasi nulles pour ce qui est de la surveillance par caméras intelligentes. Quant aux institutions de surveillance et de protection de l’individu, elles sont tellement gangrénées par la corruption et instillées par les agents politiques proches du gouvernement, que nul ne peut compter sur elles.

Maurice, qui est signataire de nombreux accords internationaux sur ces questions de vie privée et libertés individuelles en matière du numérique, devra prêter une attention particulière aux touristes – européens surtout – qui nous visitent et dont ces éventuelles menaces d’atteinte à leur vie privée pourraient influer sur le choix de leur destination. En effet, depuis le 25 mai dernier, les lois de l’Union européenne imposent un certain nombre de contraintes et restrictions à tous ceux susceptibles de détenir des informations sur les citoyens de l’UE et un nouvel outil de surveillance, appelé le Règlement général pour la protection des données (RGPD), a été mis en place à cet effet. On ne sait actuellement dans quelle mesure ces nouvelles dispositions légales et réglementaires dans le monde affectent Maurice ou pas, mais nous ne pourrons l’ignorer indéfiniment si l’on veut éviter de porter préjudice à l’image du pays et à celle de l’industrie touristique locale.

L’inquiétude a gagné les rangs de la population et l’opposition s’en fait l’écho, timidement pour l’heure, concernant ce projet opaque de Safe City. Si le volet sécuritaire est toujours souhaitable, par contre, il ne doit pas être la courroie pour l’autre volet, celui des atteintes aux droits fondamentaux des individus. Cela est carrément inadmissible dans une démocratie. Le temps de tout savoir est arrivé.

Le gouvernement ne pourra continuer à se réfugier derrière le secret de ce projet. La population a besoin de savoir. Il est urgent que les contours de ce projet soient publiquement dévoilés et que des garanties soient données pour qu’elles soient vérifiables et contrôlables à tout moment par des instances indépendantes et appropriées. La liberté individuelle et le droit à la vie privée n’ont pas de prix et elles ne sont pas négociables.

L’intelligence artificielle au service de l’Etat policier chinois
En Chine, 176 millions de caméras surveillent la population. Selon l’institut de recherches IHS Market, leur nombre passera à 626 millions d’ici 2020. Nouveauté dans le pays : une partie des caméras est équipée d’un logiciel de “reconnaissance faciale” qui permet d’identifier les individus.

L’organisation de défense des droits humains Amnesty international s’inquiète de cette tendance qui permettra un suivi, quasiment en temps réel, des déplacements d’un citoyen.
L’identification se fera par reconnaissance faciale pour prendre le train, le métro, entrer dans un immeuble, pour payer dans un restaurant, retirer de l’argent. Il y a aussi un nombre très important de caméras de surveillance qui quadrillent les villes, et même dans certains cas la campagne, dans les zones que le gouvernement juge sensibles, comme les zones ethniques tibétaines ou ouïghoures.

Traduction d’extraits d’un texte de The Economist en date du 31 mai 2018 — Technologie et surveillance — « Perfectionnées en Chine, une menace en Occident »

Sous un gouvernement autoritaire comme celui de la Chine, la surveillance numérique transforme un Etat policier désagréable en un Etat terrifiant et omniscient. Surtout dans la région occidentale du Xinjiang, la Chine utilise l’intelligence artificielle et la surveillance de masse pour créer un panoptique du 21e siècle et imposer un contrôle total sur des millions d’Ouïghours, une minorité musulmane de langue turque ( )

Le Xinjiang est l’extrême cauchemar que la nouvelle technologie rend possible : un Etat policier raciste. Craignant l’insurrection et le séparatisme, les dirigeants chinois ont renforcé les techniques de contrôle totalitaire – y compris la détention massive des Ouïghours pour la rééducation – avec la technologie numérique. Dans certaines parties de la province, les rues ont des perches hérissées de caméras de vidéosurveillance tous les 100-200 mètres.

Ils enregistrent le visage de chaque conducteur qui passe et la plaque d’immatriculation des voitures. Les téléphones mobiles des Ouïgours doivent exécuter des logiciels espions émis par le gouvernement. Les données associées à leurs cartes d’identité incluent non seulement le nom, le sexe et la profession, mais peuvent contenir les détails des parents, les empreintes digitales, le groupe sanguin, les informations ADN, le dossier de détention et le «statut de fiabilité ». Tout cela et plus encore est alimenté par la plate-forme d’opérations interarmées intégrées (IJOP), un système alimenté par l’IA pour générer des listes de suspects pour la détention.

Le totalitarisme à l’échelle du Xinjiang peut être difficile à reproduire, même dans la majeure partie de la Chine. Réprimer une minorité identifiable est plus facile que d’assurer un contrôle absolu sur des populations entières. Mais des éléments du modèle de surveillance de la Chine inspireront sûrement d’autres autocraties auxquelles le matériel nécessaire sera heureusement vendu. Les États libéraux ont l’obligation d’exposer et de réprimander cette exportation d’oppression, même s’ils limitent leurs outils de persuasion.
L’Occident doit aussi se regarder. ( ) Les agents peuvent installer des tours téléphoniques bidons pour suivre les mouvements et les contacts des personnes. Les données provenant des lecteurs de plaque d’immatriculation peuvent suivre les mouvements d’une personne pendant des années.

Certaines villes américaines ont des programmes de police prédictive similaires à IJOP qui analysent les crimes passés pour prédire les crimes futurs. Tout ceci permet de surveiller les attaquants potentiels, mais le potentiel d’abus est grand. On sait que des centaines de policiers américains ont utilisé des bases de données confidentielles pour fouiller les journalistes, ex petites amies et autres.

La vigilance et la transparence doivent être les mots d’ordre. Elles peuvent améliorer l’efficacité de la technologie : le port régulier de caméras de surveillance par la police, par exemple, semble réduire les plaintes du public. La consultation compte aussi. Un projet de loi récemment proposé en Californie obligerait les services de police à divulguer leurs équipements de surveillance, à publier des données sur leur utilisation et à demander l’avis du public avant d’en acheter davantage. Si cela rend la progression plus lente, soit. La police surveille à juste titre les citoyens pour les garder en sécurité. Les citoyens doivent veiller à ce que la police reste libre.

SAJ prend Ramgoolam comme référence sur les caméras CCTV

Le Minister Menor Sir Anerood Jugnauth intervenant sur le budget, a pris fait et cause en faveur du Safe City Project. Qui plus est, il s’est appuyé sur des explications précédentes de l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam, pour atténuer les craintes et appréhensions au sein et hors de l’hémicycle

. Des extraits de relatifs : « He (Navin Ramgoolam) defended the installation of those cameras and even said, I quote: « In the UK, they want to put microphones with the CCTV so that they can listen to what people are saying. Giving me good idea!» In March 2011, answering a PQ from then MP Seeruttun, the former Prime Minister said, I quote – “The CCTV surveillance system is a very effective tool in the fight against crime. The use of CCTV surveillance system fits in the overall vision of the Government for a safer Mauritius.

« They (the opposition) do not like to see Mauritius become safer because we are here! Therefore, the accusations levelled against us do not hold ground, do not hold water. I do not see any danger for public life if this Government is going ahead with the Safe City project, which I have been supporting myself fully. »
Et en conclusion Sir Anerood ajoute: « I will end by saying that only those who contravene the laws of the land need to worry, because they will be surely c aught and brought to justice, which we hope will happen.

I have been to Singapore recently and it is amazing how effectively the Singapore authorities deal with law and order situations through the use of smart intelligent cameras. With the problems we are facing on the law and order front in our country, the  solutions lie in the utilisation of appropriate technological tools and surely the installation of smart intelligent cameras will be of great use. I wish the demagogy of the opposition stops. At least, let us agree that security is not a political issue. It is a national issue and we need to join hands in making our country safer ».

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