Les samedis noirs de la France

DAVINA ITTOO

De la Province jusqu’à Paris, la brûlure se propage. La fumée noire qui s’y dégage est insupportable pour les uns, nécessaire pour les autres et inévitable pour certains. Le IVème acte d’un drame sanglant s’est déroulé le 8 décembre dans un climat de haute tension.

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Le peuple attend la parole du Président. Le Premier ministre, envoyé au premier front ne fait pas bonne figure. Certains y voient déjà un Jean-Baptiste esseulé dont la tête sera bientôt servie au peuple sur un plateau. Entre gilets jaunes pacifistes et gilets rouges syndicaux, entre manifestants outrés et jeunesse récalcitrante, entre casseurs professionnels et pilleurs d’occasion, entre partisans d’extrême-droite et d’extrême gauche, où va la France ? Est-elle aux portes d’une guerre civile ? D’une fracture politique et institutionnelle irrémédiable ?

Terrain privilégié de la révolte, les Champs-Elysées, emblème de grandeur à la française, ont été investis par des bombes lacrymogènes, de matraques braquées, de masques à gaz, de tentatives de lynchage et autres agissements violents. Des radars ont été mis hors-service et des préfectures ont été la cible d’attaques répétitives. D’autres grandes villes ont subi le même sort durant les samedis noirs.

Halls d’immeubles, brasseries, restaurants, magasins et voitures de luxe ont été incendiés et pillés. Des affiches dans les rues dénoncent la bourgeoisie. Les grilles du Jardin des Tuileries ont été arrachées, les pointes dorées des extrémités utilisées comme flèches contre les CRS. Sous l’Arc de Triomphe, une moulure de la Marianne a été partiellement démolie. En s’attaquant aux emblèmes de la richesse, les manifestants attaquent Macron, perçu comme étant trop éloigné des réalités quotidiennes du peuple qui s’écroule sous le poids d’une fiscalité grandissante. Dans la perception populaire, le « Président des riches » ne comprend pas les difficultés à boucler les fins de mois ou à faire le plein d’essence.

La police semble être le dernier rempart contre l’anarchie. Si le 1er décembre, sur les Champs-Elysées, les forces de l’ordre étaient incapables de contenir les manifestants, vu leur nombre insuffisant, ils étaient présents en force le 8 décembre. Il a plu des coups de matraque et des arrestations, des gardes à vue et des cassages. Le 1er décembre, les policiers avaient été obligés de se replier. Certains groupes étaient à court de munitions. D’où le coup de gueule du syndicat de la Police nationale qui avait dénoncé de véritables manquements au niveau des équipements et armatures nécessaires pour contrer la foule hostile. D’autres s’interrogeaient sur ces bastions entiers de CRS qui au lieu d’aider leurs confrères sur le terrain, ont dû faire partie de la garde statique, celle qui doit protéger les hautes institutions de l’État. L’image d’un CRS à terre, entortillé entre des gens qui le lynchaient et ceux qui l’aidaient est révélatrice de l’antagonisme entre les deux camps. La révolte s’étend désormais jusqu’aux lycéens. Les forces de l’ordre réclament la mise en place de l’État d’urgence, ce qui leur conférerait une plus grande liberté. Les perquisitions et les interpellations seraient plus permissibles, étant encadrées par un arsenal juridique. Or même si l’état d’urgence n’a pas été décrété, le bras de la Police n’a pas été retenu d’une étreinte aussi serrée qu’elle l’était le 1er décembre en ce 8 décembre.

Comment mettre fin à la crise ? Certains comme Marine Le Pen prônent la politique du pire en réclamant la dissolution de l’Assemblée nationale et un retour devant les urnes. D’autres parlent de nouvelle Constitution à établir ou d’un référendum à venir. Les plus avisés revendiquent la tenue d’un moratoire, c’est-à-dire, une mise en parenthèse des réformes envisagées par le gouvernement jusqu’à nouvel ordre. C’est ce qu’a entrepris l’exécutif mais les slogans anti-Macron perdurent. L’État se doit de tendre la main vers cette détresse qui se manifeste aussi tragiquement. Des gestes d’apaisement sont nécessaires. Mais comme les actants du gouvernement le soulignent fort justement, difficile d’entamer des négociations lorsque le mouvement adverse n’a pas de réel représentant. En effet, les gilets jaunes n’ont pas de représentant officiel et leurs plaintes restent diffuses, ce qui freine considérablement toute tentative de dialogue. À l’origine, les gilets jaunes ne sont pas des militants politiques aguerris, habitués aux pourparlers. Leurs luttes ne sont pas clairement identifiables, d’où le chaos qui en résulte.

Avec une économie bloquée à la veille de Noël, des cassages et des pillages qui nécessiteront des reconstructions, une image dégradante sur la scène internationale, la France est désormais agenouillée devant une Marianne en sang qui ne brandit plus fièrement le drapeau de la République. Recroquevillée sous la menace d’une baisse de croissance et d’insurrection civile, la France est contrainte à faire preuve de lucidité, celle qui consiste à reconnaître les nombreuses failles de son système de gouvernance et sa politique fiscale.

Des médias étrangers ont parlé d’une vision d’Armageddon aux Champs-Elysées. Or, l’Armageddon n’est pas une apocalypse brutale. Elle arrive progressivement. L’Armageddon, c’est la peur qui inonde les cœurs des citoyens au fil du temps. La France n’est pas sous le joug de l’anarchie. La situation ne mérite pas que l’on crie à l’Armageddon ou encore que l’on se bombe le torse en proclamant que c’est la résurrection de la Révolution Française, comme le fait Mélenchon qui n’hésite pas à comparer les gilets jaunes aux sans-culottes. Les tentatives de récupération politique de toute part, n’aideront sûrement pas le pays à surmonter cette crise.  La flamme qui veille sur le soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe s’est désormais métamorphosée en torchon brûlant, défigurant le visage d’une France souffrante….

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