Les sirènes du Gondwana

JEAN CLEMENT CANGY

Pour les avoir un jour aperçues, Camille, Nina, Jade, et Yaël, quatre sœurs auxquelles un village de la côte est du pays fait référence, savent que les sirènes, ces créatures immortelles mi-femme, mi-poisson, ne sont pas originaires de la Sicile comme Homère l’avait indiqué et encore moins de la Scandinavie, mais bien du Gondwana.

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Elles sont quatre sirènes, Katania, Mesa, Palea, Roda, nées quand le Gondwana s’est mis en colère et pris de convulsions s’est divisé en plusieurs morceaux. Le Gondwana, racontant les quatre sirènes qui sont aussi belles que la mer émeraude avec des yeux d’un noir profond en amande, était ce supercontinent qui a existé il y a 160 millions d’années. Mais ce jour-là, on ne sait pour quelles raisons, le Gondwana, traversé par des tiraillements et des tourments, a fini par se disloquer, provoquant la séparation du continent africain, berceau de l’humanité, de Madagascar et de l’Inde, cette dernière entrant alors en collision contre l’Asie. Cette collision donna naissance à la chaîne de montagnes de l’Himalaya avec pour toit du monde, le Chomolungma, l’Everest en népalais, qui culmine à 8 848m. Au sud de la péninsule indienne, près de l’équateur, se trouve l’archipel des Seychelles, ensemble d’îles granitiques qui se sont séparées également de l’Afrique en raison des convulsions du Gondwana. Les Seychellois, davantage que tout autre peuple de cette partie du monde, se souviennent particulièrement du Gondwana et ne ratent pas une occasion pour en parler : dépliants touristiques et événements culturels annuels hauts en couleur en font mémoire. Et le soir au coucher pour perpétuer la mémoire du Gondwana les parents racontent à leurs enfants les histoires des quatre sirènes.

Katania, Mesa, Palea, et Roda ont pour habitat les eaux chaudes des Mascareignes, (ce groupe d’îles tient son nom de Pedro de Mascarenhas, navigateur et explorateur portugais) plus précisément les petites îles entre la côte nord de Madagascar et les Comores. Des marins racontent même les avoir croisées de nos jours. Quand elles se prélassent sur des bancs de sable de ces îles, elles ont le regard tourné vers cette côte nord malgache qui bénéficie d’une végétation dense et luxuriante et réputée pour abriter une faune très riche dont des lémuriens (makis pour les malgaches), primates qui nous viennent de la préhistoire. Il existe plusieurs familles de lémuriens dont la plus connue est l’aye-aye.

Au lieu d’attirer par leurs bobres, (instruments de musique africains toujours présents dans nos îles et qu’utilisent chanteurs de maloya et de séga) et par leurs chants mélodieux les marins et les bateaux sur des écueils et des récifs, nos sirènes les en éloignent et les avertissent des dangers surtout par temps de cyclones fréquents dans cette région du sud-ouest de l’océan Indien. C’est ainsi qu’elles ont sauvé nombre de marins et ont évité que leurs bateaux ne se fracassent sur des hauts-fonds et des récifs.

Dans les eaux qui séparent Madagascar des Comores vivent aussi les cœlacanthes, poissons préhistoriques, amis des sirènes dont des populations vivaient déjà il y a des dizaines de millions d’années. Outre les Comores, des cœlacanthes sont présents également aujourd’hui dans les eaux de l’Afrique du Sud, de la Tanzanie et de l’Indonésie. Le cœlacanthe est devenu le poisson emblématique des Comores et nos sirènes veillent scrupuleusement à ce que les cœlacanthes, qui vivent pourtant à de grandes profondeurs, ne s’accrochent pas aux hameçons des pêcheurs. Et à chaque fois qu’un cœlacanthe est accroché, il est vite délivré par nos sirènes.

Katania, Mesa, Palea, et Roda sont des virtuoses du bobre et du chant et donnent des concerts pour leurs amis les poissons et les mammifères marins. Leurs voix mélodieuses attirent à chaque fois qu’elles se mettent à chanter Capitaines, Rougets, Cordonniers, Chirurgiens, Cordonniers, Cateaux, poisson-lune et poissons-clown qui sont toujours aux premières loges. Katania, la plus douée des quatre sirènes, est aussi danseuse-étoile et a mis au point des chorégraphies très au point pour les poissons les plus assidus. Répétitions et spectacles se succèdent pour le plus grand plaisir de tous, qui se mettent à taper des nageoires et à esquisser quelques mouvements selon les danses apprises.

Mesa, Palea, et Roda qui aiment dessiner animent des ateliers de dessin. Elles ont croqué la plupart des habitants de cette partie de l’océan Indien. Elles procèdent également et régulièrement à des recensements de tous les poissons, mammifères, et crustacés vivant dans leurs eaux. Ces recherches ont permis la constitution de registres et la confection de calendriers annuels.

Quotidiennement, Katania, Mesa, Palea, et Roda ont des tâches beaucoup plus ardues à accomplir, celle entre autres de dérouter les bateaux de pêche trop gourmands et trop enclins à des pillages en règle des ressources en poissons de cette partie de l’océan Indien. Sans comprendre comment, les capitaines de ces bateaux de pêche se retrouvent dans un ailleurs qu’ils ne connaissent pas. Et c’est au prix de maints calculs à partir d’observations des étoiles qu’ils réussissent enfin à retrouver leur chemin, leurs boussoles n’étant d’aucune utilité.

Quand trop fatiguées par leurs responsabilités quotidiennes, nos quatre sirènes viennent parfois se reposer chez nous, à l’île Maurice, à Rodrigues et à La Réunion. Elles ne manquent jamais une occasion pour venir se prélasser sur la plage de Flic-en-Flac. C’est aussi l’occasion pour elles de retrouver cette population mauricienne, mosaïque de peuples, de cultures, de religions, de métissages humains et culturels qui préfigurent l’humanité de demain.

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