Literatir san frontier 1 de Dev Virahsawmy : “C’est ma façon de dire au revoir”

Dev Virahsawmy sort Literatir san frontier 1, première publication d’une série en huit volumes composées de poèmes, de pièces de théâtre et de nouvelles en kreol qui sortiront chaque deux mois environ. En parallèle, l’ardent défenseur de la langue kreol sortira une autre série de livres intitulée Later 7 kouler où paraîtront ses oeuvres originales. Ces deux séries de livres se posent comme le testament de l’auteur. Rencontré dans sa demeure à Beau-Bassin il nous parle du kreol et des autres sujets qui lui tiennent à coeur.

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Propos recueillis par Thierry Runghen

Qu’est-ce que Literatir san frontier 1?

J’ai écrit entre 2 000 à 3 000 poèmes, 40 pièces de théâtre, 20 nouvelles entre autres créations. Une partie seulement a été publiée parce que la publication coûte trop chère alors que les Mauriciens n’achètent pas beaucoup de livres. J’ai traduit 9 pièces de Shakespeare, des œuvres de Molière et de Prévert. J’ai également traduit la Bhagavad Gita, certains chapitres  de l’ancien testament, le nouveau testament et le Coran. J’ai mis tout mon travail sur mon site boukiebanane.com et c’est accessible gratuitement. Mais sachant qu’on n’est pas à l’abri d’un bug, j’ai décidé d’en mettre certains sur papier pour protéger mon travail. Je suis arrivé à la fin de ma vie, je dois protéger une partie de mes œuvres. Literatir san frontier présente des œuvres que j’ai traduits en kreol ou des œuvres inspirés des classiques que j’ai traduits. À titre d’exemple, vous y verrez la traduction de King Lear de Shakespeare aussi bien que la pièce de théâtre Tabisman Lir qui reprend l’idée principale de King Lear. L’ensemble du projet comprendra 8 volumes de 200 à 300 pages. En parallèle, il y aura la série de livre que j’ai appelé Later 7 kouler qui se composera de mes créations originales. J’essaie de mettre autant de créations que possible sur papier. Je suis aidé d’un ami qui possède une imprimerie réalise une production de petits tirages de 50 exemplaires. Les droits d’auteurs ont été cédés à l’Institut Cardinal Jean Margéot qui s’occupe de la distribution. À ce sujet, je tiens à faire ressortir que le Cardinal Jean Margéot a été d’un grand soutien pour moi après le décès de ma mère. Il a beaucoup fait pour moi mais aussi pour le pays notamment après l’accession à l’indépendance.

Ces livres sont quelque part votre testament ?

Oui, c’est un peu çà. C’est ma façon de dire au revoir. Je suis vieux et malade. J’ai 78 ans et j’ai un problème que bien peu de gens ont : le post-polio syndrome. C’est une maladie qui affecte les personnes ayant eu la polio étant enfant. Je l’avais contracté quand j’avais 3 ans, ce qui m’a coûté ma main gauche. Quand vous devenez vieux, vous devenez vulnérable et la maladie attaque d’autres parties de votre corps. C’est une façon de dire au revoir aux gens à travers les œuvres que j’ai écrits. Ça ne veut pas dire que je vais arrêter d’écrire, mais je ne pourrais plus écrire avec la même intensité que je l’ai fait pendant 50 ans. Ce premier volume, Literatir san frontier 1, se compose de 3 parties. 5 siek jalog kiltirel est une sélection d’une cinquantaine de poèmes qui racontent l’histoire poétique anglaise du 16e siècle au 20e siècle traduits en kreol. Je le termine avec un poète que j’admire, W.H. Auden qui a écrit Funeral Blues. Il était homosexuel et avait écrit cela pour son défunt partenaire. Pour moi c’est le plus beau poème d’amour. L’idée derrière était de montrer la force de notre langue qui arrive à traduire 5 siècles de poésie de la langue anglaise, qui est une des langues les plus puissantes au monde. Quant à Lerwa Lir, c’est la pièce la plus tragique que le monde ait connu. C’est un symbole de perfection de la littérature. La troisième est Tabisman Lir qui est inspirée de King Lear mais qui est une pièce tragi-comique.

Vous avez été un ardent défenseur du Kreol mauricien durant toutes ces années, comment voyez-vous l’évolution de la langue aujourd’hui ?

Le combat pour la reconnaissance de la langue kreol a commencé en 1966 quand j’ai écrit ma première thèse à l’université d’Edimbourg. Depuis ce jour, j’ai demandé à ce qu’on l’appelle le morisien et pas le kreol. Parce que beaucoup de personnes à Maurice pensent que le kreol n’est pas une langue comme je le souligne dans la préface de Literatir san frontier 1. J’écris aussi que ma seconde langue est l’anglais qui est également une langue créole. Le kreol est une famille de langues. L’anglais est né il y a 1 200 ans environ quand les Vikings ont envahi l’Angleterre. Résultat, il y a eu deux peuples sur le même territoire. Petit à petit, une nouvelle langue est née mais boudée par l’aristocratie qui parlait le français. Des grands écrivains comme Chaucer et Shakespeare l’ont porté en avant. La langue s’est développée pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Quand on fait une étude sur la grammaire anglaise, on réalise qu’elle est similaire à la grammaire kreol. Mais ici nous boudons le kreol.

Pourquoi avons-nous toujours ce blocage pour que le kreol?

Beaucoup ne savent pas ce qu’est la langue kreol. Ils pensent que c’est du patois et ils ne savent même pas ce que c’est qu’un patois. Un patois est une langue, mais une langue parlée par une minorité qui doit changer de langue quand elle s’adresse à une majorité. Prenons, par exemple, une famille francophone qui parle le français chez elle. Si le père de famille veut être candidat aux élections, il ne pourra pas s’exprimer en français lors des meetings. Il parlera kreol. Dans ce sens là, le français est un patois à Maurice. Sauf qu’ici, on se réfère au kreol comme un patois. Or, 90 % de personnes à Maurice parlent kreol. Nous avons des préjugés qui reposent sur l’ignorance. Cette série de livres que je publie, je la fais dans l’espoir que les gens verront à quel point le kreol est fort. Il est certes entré à l’école primaire comme une matière, mais pas comme médium d’enseignement. Elle devrait être la langue qu’on utilise pour apprendre à lire et à écrire et à apprendre les sciences, les mathématiques, l’histoire, la géographie, entre autres et aussi pour prendre part aux les examens. C’est ce que préconisait le MMM à ses débuts. Les autres parties en ont aussi parlé mais n’ont jamais été jusqu’au bout.

Que pensez-vous du système éducatif actuel ?

Pour moi, le système éducatif est catastrophique. Depuis 1954, l’éducation primaire est gratuite. En 1977, l’éducation secondaire devint gratuite. Depuis tout ce temps qu’a pu produire notre système éducatif ? Un nombre de personne ne sait ni lire ni écrire. Vous en voulez une preuve ; si la population savait lire et écrire, il ne serait plus utile d’inscrire les symboles politiques sur les ballot papers. Ça démontre que nous sommes une nation analphabète. Nous enseignons à lire et écrire aux enfants en trois langues étrangères alors que leur langue maternelle est absente. Anglais, français, hindi ou anglais, français, urdu ou anglais, français, télugu ainsi de suite. C’est pour cela qu’après 10 à 12 ans à l’école, les enfants ne savent pas lire. De même comparez le nombre d’enfants qui passent la CPE est ceux qui passent la HSC. Moins d’un tiers. Qui plus est, il y a un souci avec les papiers d’examens. Sans connaître les réponses, vous pouvez pik poul et arriver à 25 % des points dans les questionnaires de Multiple Choice. C’est une question de probabilité.

Une fois de plus l’entrée du kreol au Parlement fait débat. Quelle est votre opinion sur la question ?

Il y a un courant désormais à Maurice qui soutient le hindi pour combattre le kreol. Il y a même une députée qui a prononcé une partie de son discours en hindi. Là, il y a un gros problème. Vous pouvez utiliser le hindi au Parlement uniquement lorsque vous faites une citation. Or, elle a parlé en hindi entre 1 à 2 minutes. Ni le Speaker, ni le leader de l’opposition ne l’ont arrêtée. Cela nous empêche de nous développer comme une nation. Nous avons plus de 50 ans d’indépendance mais nous ne sommes toujours pas une nation. Nous avons une langue nationale mais nous ne savons pas l’utiliser. Les gens disent qu’il faut l’utiliser au Parlement, et je n’y vois aucune objection à condition qu’il y ait un travail de préparation. La première chose est de le reconnaitre comme la langue nationale. Deuxièmement, elle doit devenir la langue d’enseignement dans les écoles. Ensuite, il y a le souci que beaucoup de politiciens ne savent pas la parler correctement. Il faut aussi savoir l’écrire. Sinon comment les discours seront-ils classés dans les Hansard? Le secrétariat de l’Assemblée est-il prêt pour cela?

Pourquoi dites vous que Maurice peine à devenir une nation après plus de 50 ans d’indépendance?

Pour qu’on devienne une nation, il faut un certain nombre de choses. Une histoire commune, une langue commune, une culture commune. Nous avons tout çà. Maurice est une île créole comme il y en a très peu dans le monde. Dans le sens où ces îles avaient une faune et flore propres à elles mais qui ont été transformées en étant peuplées par des immigrants qui viennent d’un peu partout dans le monde. Ensuite, il y a notre façon de manger qui est unique au monde. Le dal puri est une création mauricienne, les min qu’on mange sont différentes de celles qui sont préparées en Chine et les curry sont aussi différents de ceux de l’Inde. Les bouyon bred qu’on prépare viennent d’Afrique. Nous en mangeons tous. Nous avons une culture créole dont nous avons honte, ce qui nous empêche de nous développer en une nation.

Qu’avez-vous pensé de la prestation du Speaker de l’Assemblée Nationale lors de l’avant dernière session parlementaire?

J’ai eu l’occasion de parler à des gens qui ont déjà siégé au Parlement, ils m’ont dit qu’ils n’ont jamais vu çà. Il y en a qui commencent à regretter Maya Hanoomanjee, vous imaginez ? Mais bien plus rave, un Speaker se doit de conserver de la neutralité. Celui-là fait du party politics au Parlement. Il remet en question la séparation des pouvoirs. Je suis franchement inquiet pour Maurice. Une des bases de la démocratie est la séparation de pouvoirs qui sont le pouvoir législatif du Parlement dont le chef est le Speaker, le pouvoir exécutif dont le chef est le Premier ministre et le pouvoir du judiciaire dont le chef est le Chef Juge. Pour le moment, le pouvoir législatif et et le pouvoir exécutif ne font plus qu’un. Quand le Premier ministre n’est pas au pays, le Parlement ne siège pas. Mais le chef du Parlement est le Speaker et non pas le Premier ministre.

De l’autre côté, même Dulthamun a commencé à dire que Pravind Jugnauth est un peu le Modi mauricien. Est ce que les gens savent qui est Modi ? C’est un fasciste, son programme est basé sur celui de Hitler. Il est de l’extrême droite. Aujourd’hui, à cause de Modi, le Cashmire est devenu une prison pour les musulmans. Il a pris le contrôle du Cashmire et l’a encerclé avec l’armée indienne. Pravind Jugnauth et Modi ont une armée de personnes qui utilisent internet comme un appareil de propagande. Il y a aussi les gunda. Avan nou ti apel sa taper, aster nou dir bouncer. Ces deux armées essayent de terroriser les gens à Maurice. Tout cela arrive petit à petit. Si nous ne prenons pas garde, nous nous casserons la figure.

Est ce que la démocratie est respectée à Maurice ?

Une démocratie repose sur des valeurs fondamentales. La définition de la démocratie est ‘Government of the people, by the people, for the people’. Où est la langue du peuple ? Elle repose aussi sur la séparation des pouvoirs comme je viens d’expliquer. La démocratie est en danger.

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