L’OIF et le Mauricien—PRIX DES CINQ CONTINENTS: Nos mères d’Antoine Wauters

« Grand-père vient de perdre un nouveau kilo. Et il en a perdu dix ou douze comme ça depuis le début de sa maladie, ce qui fait qu’il est maintenant un peu comme un os, barrant, dans la longueur, le matelas où nos mères l’ont couché. Un os à moelle, bon à être bientôt catapulté dans la terre des morts, mais qui est le seul à se représenter la grotte telle qu’elle est vraiment, avec ses biefs, ses cascades d’eau chaude et ses fontaines qui ne souillent pas.
Avec grand-père en dessous de nous, lance Charbel, qui fond jour après jour, et nos mères en dessous de grand-père, qui fument et chantent sur la terrasse des airs de Marie Keyrouz, et avec papa, bien en dessous de tout ça encore, séché comme une croûte de caramel durci au soleil, papa, dans les rues du quartier d’Achrafieh où les milices l’ont arrêté, fouillé et torturé, bref, avec tout ça conclut Charbel, ces empilements de corps à bonne distance et qui ne se touchent plus, nous pourrions être brisés. Vraiment brisés, dit-il. Anéantis, même, ajoutons-nous en choeur.
Mais voilà. Depuis le temps que ça dure nous nous sommes renforcés, avons appris à ne plus écouter quand nos mères, par exemple, foncent dans les murs avec leur voix. Hurlent et foncent dans les murs de la maison. Hurlent et dégueulent l’eau des gâchis, des départs.
{… si heureux dans la maison jaune… si heureux ton père là et grand-père avec nous… si joyeux dans la maison avec la pluie, le sable, le khamsin et le soleil partout… si heureux sous le vol des oiseaux et tous les quatre à la maison… si heureux tous les quatre dans ce maudit pays…}

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