MA FILLE PIÉGÉE MALGRÉ ELLE: Mes préoccupations en tant que parent d’élève

J’ai une fille de cinq ans qui sera en cycle primaire l’année prochaine. Quand j’y pense, une grande tristesse m’envahit pour diverses raisons – je la trouve piégée… trop tôt.
À compter de 2016, je la vois hélas ! condamnée à porter un sac trop gros pour son petit dos. Elle risque de s’exposer à des problèmes de santé. Au fait, il s’agit d’une histoire toute tracée qui n’est pas inconnue des autres parents d’élèves. Dès qu’elle sera en Std 5, elle s’inscrira dans une spirale jusqu’à ses dix-huit ans. Elle devra prendre des leçons particulières. Pour moi, cela est inéluctable. Une fatalité ! Je serai donc contrainte de l’envoyer prendre des leçons avec son instituteur de peur de la voir reléguée à l’arrière de la classe ou de la savoir ‘le vilain petit canard’de la bande. Maintenant, si l’envie me prend de procéder comme les autres parents, je chercherai un second ‘bon’professeur en vue de meilleurs résultats. Donc, ses après-midi, y compris les week-ends, seront exclusivement réservés aux leçons particulières même si je ne parviens pas à saisir cette pratique matérialiste ; les professeurs sont très bien rémunérés par l’État pour éduquer ses enfants mais les parents se retrouvent dans la quasi-obligation de les payer aussi pour la même raison – enseigner à ses enfants…. « pou pa mor kouyon ».
Je ne peux que songer à mes années du cycle primaire. Au fait, je prenais des leçons particulières quand je travaillais mal dans une matière ou au mieux mon professeur me pourvoyait en cours supplémentaires dans les matières où j’étais la moins performante. Mais aujourd’hui, le conditionnement des parents quant aux cours particuliers prend le dessus ; c’est comme si cela faisait partie de notre paysage culturel et éducatif. Pour résumer le parcours de mon enfant à partir de la Std 5, ce sera le va-et-vient entre les leçons particulières, les devoirs et l’église ; elle n’aura, bien entendu, pas le temps de faire autre chose.
J’espère que l’instituteur de ma fille accomplira son devoir avec dignité et amour ; qu’il s’assurera que tous ses élèves comprennent ses explications ; qu’il les aimera sans distinction aucune et qu’il veillera sur eux ; et surtout qu’il saura se faire respecter par sa classe pour son épanouissement personnel.
Abordons maintenant la question de la conscience professionnelle ; je dirais que très peu en savent l’exacte signification. Dans la force policière on use toujours de l’expression « brebis galeuses » entre autres, mais dans le professorat, il faudrait inventer un autre terme pour désigner ces enseignants qui ne font pas honneur à leur métier mais qui sont les premiers à sourire à la fin du mois grâce aux leçons particulières… Question : si un élève passe au moins 25 heures par semaine à l’école, pourra-t-il rattraper tout ce qu’il n’a pas retenu durant les leçons particulières qui durent au moins une heure par session ? Pour le cycle secondaire, est-ce vraiment nécessaire de donner des cours particuliers de « pratique » pour des matières scientifiques s’il existe déjà des laboratoires au collège ?
Bien souvent je constate que certains responsables des institutions scolaires ne s’appliquent pas assez face aux dérapages et cela donne même l’impression qu’ils cautionnent certains abus de la part des professeurs. Il y a trop de laisser-aller ; l’école ou le collège perd ses repères et ceux-ci ne savent pas où commencer pour plus de cohérence dans le fonctionnement.
La situation dans nos institutions scolaires est grave. On est en train de jouer avec l’avenir du pays. Je n’irai pas jusqu’à qualifier cela de « crime contre l’humanité » quoique je le vis comme un drame. Plus tard quand ma fille sera au collège, dois-je la laisser se rendre les samedis soir aux leçons particulières, et ce tout en songeant que des jeunes se retrouvent dans les campements ou des fêtes organisées pour eux durant la journée ? Comme quoi les leçons particulières ne ramènent pas que de bonnes notes, elles contribuent à autre chose aussi. Et cela cause du mal à la société. Récemment j’ai constaté qu’un syndicat a haussé le ton sur des « situations chaotiques » dans certains collèges. J’en profite pour le féliciter mais en même temps : devrait-on en arriver là ? Qu’ont fait ces responsables ? Y a-t-il un ras-le-bol face au silence des autorités ?
Je me demande s’il n’est pas trop tard pour prendre les taureaux par les cornes. Les autorités ne pourront outrepasser cette spirale – « lizinn leson » ou la gourmandise de certains professeurs d’accueillir en une session une trentaine d’élèves. Les autorités ont déjà tenté de lutter contre le phénomène des cours particuliers en augmentant le salaire des enseignants et en jugulant le taux d’absentéisme, mais cela ne fonctionne pas et en plus les parents les encouragent même s’ils se plaignent. De nos jours, les étudiants ne trouvent pas le temps de lire à cause des leçons et on attend d’eux qu’ils excellent en anglais et en francais… Quelle ironie du sort ! Le plaisir de lire un bon livre se fait rare. Comment pourront-ils écrire des phrases bien structurées et lourdes de sens dans leurs rédactions ? Maintenant les élèves ont aussi adopté cette culture de ‘copy-paste’par le biais d’Internet, et de bonnes notes leur sont attribuées le plus naturellement du monde…
Je suis persuadée que si instituteurs et enseignants s’appliquent en classe, la plupart des élèves n’auront pas à prendre des leçons particulières. Ainsi, ils auront plus de temps à consacrer à la famille et à d’autres activités.
Cela dit, quand je pense que mon enfant quittera son berceau pour l’école primaire, je ne peux m’empêcher de constater la décadence dans le comportement des enfants et des adolescents, y compris des étudiants de l’université. Je suis un parent parmi tant d’autres qui fait tout pour élever son enfant dans le respect en vue de son épanouissement. Mais quand je vois tout ce qui se passe dans les rues, à la gare, dans les autobus, j’ai peur que ma fille perde ses repères.
Malgré tout, je suis consciente que mon enfant doit grandir et qu’elle doit apprendre à voguer contre vents et marées. Quand elle sera en eaux troubles, j’espère que je serai en mesure de l’épauler pour qu’elle arrive à bon port. L’avenir me dira si j’ai eu raison de m’inquiéter de la sorte…

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