Manque de courtoisie au volant : Pas de frein aux dérapages

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Refus de priorité, gestes obscènes, coups de klaxon, bras d’honneur, queues de poisson : la route est parfois un espace impitoyable. Alors que la courtoisie au volant devrait aller de pair avec le respect du code de la route, les acteurs de la sécurité routière à Maurice dénoncent des manquements à ce niveau. Et déplorent que cet incivisme sombre parfois dans la violence. Car il arrive que pour des banalités, insultes et menaces se transforment en coups.

Dans le cadre de la Semaine internationale de la courtoisie au volant, observée du 16 au 24 mars, Scope fait le point.

En août 2018, le recordman de natation Bradley Vincent a été sauvagement agressé à Phoenix par un chauffeur de van scolaire. La semaine dernière, Raffick Mountah a connu une fin tragique. En voulant porter secours à sa fille qui se faisait insulter après un accident de la route à Pailles, il a été roué de coups par le fils du motocycliste et est décédé d’une insuffisance cardiaque. “Ces quelques cas de violence ne représentent qu’une infime partie des agressions. Beaucoup d’autres ne sont pas rapportés aux autorités. Il devient dangereux de conduire à Maurice”, constate Eddy Parmessur, qui est sur nos routes depuis quarante ans.

Sur un passage clouté, des automobilistes rechignent parfois à céder le passage

Insultes et violence.

À moins d’être chanceux, “un conducteur a dû être victime, auteur ou témoin de ce genre de comportement agressif sur la route”, confie Ashley Carver, 30 ans. Ce dernier se souvient du calvaire qu’il a vécu, il y a trois mois. Une virée familiale avec sa femme et ses deux enfants a failli tourner mal. “Nous étions en route pour un célèbre parc d’attractions de l’ouest. Au rond-point de Pierrefonds, j’ai débouché rapidement, ne respectant pas la priorité. J’ai tout de suite mis les clignotants pour m’excuser et remercier le conducteur derrière moi.” Mais à grands coups de klaxons, ce dernier lui a fait signe de se garer sur le côté. Il a obtempéré et a vu sortir de la voiture deux hommes munis d’outils. Ces derniers l’ont insulté et se sont défoulés sur sa voiture. “Bien que je m’excusais et les suppliais d’arrêter car j’étais avec mes enfants, ils ont continué à s’acharner sur la voiture en me lançant des gros mots. Mes enfants sont encore traumatisés par ce qui s’est passé.”

L’inspecteur Vijay Bahadoor de la Traffic Branch se dit attristé que l’on puisse s’insulter et qu’on arrive parfois aux mains pour de simples fausses manœuvres. Et que l’on s’emporte à propos de fautes qui pourraient être gérées à l’amiable. “Mettre son flasher au dernier moment, ne pas démarrer assez vite aux feux de signalisation une fois que le feu passe au vert, un piéton qui traverse hors d’un passage clouté : autant de sources d’irritations pour certains conducteurs.”

Pressés et stressés.

Selon Alain Jeannot, président de l’ONG PRAT (Prévention Routière Avant Tout), il n’est pas normal que des automobilistes se laissent aller dans de tels excès. “Certains Mauriciens arrivent mal à gérer leurs émotions. La dimension psychologique est importante sur la route. Il faut apprendre à développer la tolérance, la compassion, la patience et le respect de la loi. Personne n’a le droit de prendre la loi dans ses mains.” Alors que les projets de développement du secteur routier avancent lentement, “le volume de véhicules augmente de 4% chaque année. Avec plus de risques de vivre des situations stressantes comme les embouteillages”.

Anne Aurélien, 34 ans, conduit depuis sept ans. “Je constate qu’il y a sur nos routes beaucoup trop de gens mal élevés qui manquent de courtoisie. Tout le monde est pressé et stressé. Les gens s’emportent pour un rien. Bien que je sois de nature calme, j’ai dû m’adapter à ce type de comportement pour pouvoir survivre dans cette jungle. Je ne laisse plus passer les insultes à mon encontre.”

Grossiers personnages.

D’après Alain Jeannot, les automobilistes sont un peu plus sensibilisés qu’il y a cinq ans, mais ils sont encore nombreux à faire preuve d’indiscipline. Se basant sur des chiffres, il avance que toutes les deux minutes, une personne est verbalisée par la police pour une entorse au code de la route. Ce taux augmente de 3% par an.

La courtoisie au volant va de pair avec le respect du code de la route, souligne le président de PRAT. “Elle implique le respect des règles du comportement. Quand vous ne respectez pas le code de la route, vous êtes un grossier personnage, car ces règles ont été établies pour le partage de la route dans la civilité, la sécurité et la légalité.”

Eddy Parmessur est, lui, catégorique : “Dans les villes ou les villages, que les conducteurs soient riches ou pauvres et peu importe son sexe, le manque de courtoisie est partout présent.” Iqbal Aubdool, moniteur d’auto-école, affirme que la courtoisie au volant fait partie de l’enseignement dispensé aux futurs conducteurs, mais constate qu’une fois leur permis en poche, ils oublient vite ces règles de base.

Iqbal Aubdool, moniteur d’auto-école

“Manque d’éducation sur la sécurité routière”

“Les Mauriciens font preuve d’incivisme au volant. C’est le résultat d’un manque d’éducation sur la sécurité routière. La procédure des examens de conduite est archaïque et ne suit pas l’évolution. Il faut faire prendre conscience aux conducteurs des dangers qui les attendent et comment ils doivent se comporter au volant. En tant que moniteur d’auto-école, je suis témoin chaque jour du manque de courtoisie des chauffeurs envers les apprenants. Tout le monde est pressé et stressé; certains doublent la voiture en passant des commentaires désobligeants. Ce type de comportement exerce une pression supplémentaire sur les apprenants et les déstabilise.

“Une femme au volant”

Le cliché de la “femme au volant” perdure. Des commentaires peu élogieux et sexistes envers la gente féminine sont toujours d’actualité. Selon Alain Jeannot, “les femmes constituent plus de 30% des chauffeurs mais ne représentent que 5% des personnes impliquées dans les accidents où il y a des morts ou des blessés”.

Des femmes conduisent parfois mieux que les hommes, affirme pour sa part Eddy Parmessur.

Utilisation abusive du klaxon

Utiliser le klaxon de façon abusive constitue une offense. Dans la Road Traffic Act (2010), il est clairement stipulé qu’il est interdit d’utiliser un instrument ou un appareil d’avertissement sonore à moins de cent mètres d’une institution secondaire, d’un lieu de culte, d’un hôpital, d’un tribunal ou de l’Assemblée nationale, sauf pour empêcher une collision ou sauver une vie, précise l’inspecteur Vijay Bahadoor. Ce dispositif électronique doit normalement être utilisé pour avertir d’autres usagers de la route d’un danger imminent ou pour signaler sa présence. “À Maurice, le klaxon est un moyen pour certains de se défouler sur les manœuvres jugées incorrectes d’autres automobilistes.”

Bus individuels

Ils font la pluie et le beau temps

“Zot pase ler zot anvi. Ou gagn feb atann zot pase parfwa dan soley midi.” Marie-Michèle Labonne, 54 ans, effectue souvent le trajet Palma-La Gaulette pour aller rendre visite à ses proches. À chaque fois, elle est obligée de s’armer de patience. “En plus du manque de ponctualité et de courtoisie envers les passagers, ils roulent n’importe comment sur la route. Tantôt à presque 30 km/h, tantôt frisant les 100 km/h. Si un autobus d’une compagnie concurrente est dans les parages, il vaut mieux bien vous accrocher, surtout quand les autobus s’engagent sur un rond-point.”

Au mépris de la sécurité routière, les chauffeurs de ces autobus accélèrent de façon outrancière pour récupérer le maximum de passagers sur les arrêts. “Ils s’arrêtent où ils veulent et font le transfert de passagers vers un autre autobus quand ça leur chante, par exemple sur le trajet Port-Louis-Grand-Baie”, confie Eddy Parmessur, habitant Poudre d’Or.

Ces pratiques sont dénoncées depuis des années, “mais aucune sanction concrète n’a été prise par les autorités”. Selon un préposé de la Traffic Branch, toute plainte doit être rapportée à la NTA si la conduite du chauffeur transgresse le code de la route. Il faut savoir qu’un bus stop n’est pas une gare et s’y arrêter dix minutes est interdit. Il en va de même pour les autobus qui ralentissent le trafic sur les gares, une offense connue sous l’appellation Hindering Traffic.