Maya Hanoomanjee (ancienne speaker) : « Je suis entièrement satisfaite de mon bilan comme Speaker »

Notre invitée de ce dimanche est Maya Hanoomanjee, ex-haut fonctionnaire, ex-députée et ministre et, surtout, première femme à avoir occupé le poste de Speaker. Dans l’interview qu’elle nous a accordée jeudi dernier à son domicile de Flic-en-Flac, elle fait le bilan de ses cinq ans au poste de Speaker et répond à des questions sur son avenir sur le ton auquel elle nous avait habitués.

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Ne regrettez-vous pas de ne pas faire partie de la rentrée du Parlement mauricien dont on a dit que parfois les membres se comportaient comme des élèves déchaînés face à une maîtresse d’école en colère, avec le rotin bazar ?
J’ai dirigé le Parlement pendant cinq ans et je suis entièrement satisfaite de mon bilan, malgré tout ce qu’on a pu dire et écrire sur moi avec la phrase « I order you out ! » L’image de la maîtresse d’école est une perception que l’opposition a voulu créer pour dire que je ne méritais pas le poste, que je ne savais pas faire le travail. J’ai démontré que ce n’était pas le cas.

Maintenant que vous n’êtes plus au Parlement, est-ce que vous ne reconnaissez pas d’avoir été quelques fois autoritaire, cassante, avec une tendance à vouloir privilégier les députés de la majorité ? Paul Bérenger avait résumé votre attitude par une phrase « Madam-la trouv enn sel koté lizié ek li ékouté avek enn sel zorey » !
Paul Bérenger voulait créer la perception que je ne voyais que d’un œil et n’entendais que d’une oreille ! Que j’étais biased. Ce n’était pas vrai du tout. L’opposition n’avait qu’un seul but : challenge mon autorité de Speaker je ne sais pour quelle raison

Pour l’opposition, vous étiez là pour défendre le gouvernement. Les membres de l’opposition ont aussi souligné que vous étiez une candidate battue aux élections
D’abord, je ne défendais pas le gouvernement et, ensuite, je n’étais pas la première candidate battue à avoir exercé cette fonction. Avant moi, il y a eu comme Speaker Kailash Purryag qui était un candidat battu, tout comme Razack Peeroo, qui, lui, avait posé sa candidature aux élections après avoir été Speaker. Et ça ne semblait pas poser problème à qui que ce soit.

Il y a eu aussi l’affaire des biscuits fabriqués par une de vos filles et celle de la nomination d’une autre à Landscope qui ont suscité pas mal de critiques contre vous
Tout cela c’était de la fabrication pure et simple de politiciens pour essayer de porter atteinte à mon image. Pour les biscuits, ma cadette a toujours eu l’esprit d’entrepreneuriat et a fait plusieurs business. Je n’ai eu rien à faire, par principe, avec son business, mais on m’a accusée de tous les maux. Mais il y a plusieurs ministres et personnalités dont les enfants font du business sans susciter la moindre critique. Le poste à Landscope de mon autre fille n’était pas celui d’une nominée politique. Elle a été choisie par un comité du secteur privé parce qu’elle a les diplômes voulus et a travaillé pendant 20 ans en Grande-Bretagne. Et d’ailleurs, je n’étais pas au courant parce que j’avais demandé à mes enfants de ne pas revenir à Maurice. On — surtout le leader de l’opposition de l’époque — a voulu se servir de ces “affaires” pour essayer d’abîmer mon image, sans succès une fois de plus.

Avez-vous le sentiment qu’on ne vous a pas fait de cadeau parce que vous êtes une femme présidant une Assemblée d’hommes ?
Je suis très bien dans ma peau de femme. Mais quand vous occupez des postes de responsabilité, vous devez mettre de côté votre féminité et deliver the goods. Si des parlementaires ont pensé que parce que je suis une femme j’allais danser sur leur musique, ils se sont lourdement trompés. J’avais l’impression que l’opposition d’alors voulait que je parte et elle avait des raisons pour ça.

Une de ces raisons était le fait que vous êtes la cousine de Sarojini Jugnauth, l’épouse du précédent Premier ministre et la tante du suivant, et tout cela était traité comme une affaire de famille…
Laissez-moi vous dire une chose. Je suis entrée dans la fonction publique au bas de l’échelle. Quand, au fur et à mesure, j’ai gravi les échelons pour finir comme Permanent Secretary, on ne m’a nommée parce que j’étais la cousine de Sarojini Jugnauth ? Qu’est-ce que Sarojini Jugnauth a à faire avec mon parcours dans la fonction publique ? Allez demander aux ministres avec qui j’ai travaillé, de Sheila Bappoo à Arvin Boolell, en passant par sir Anerood et Pravind Jugnauth, si mon parcours avait à voir avec le fait que je suis la cousine de Sarojini Jugnauth !

Vous n’avez pas dit si vous ne regrettez de ne pas faire partie du nouveau Parlement…
Je n’ai rien à regretter. Je suis en vacances pour le moment. Moi, je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut savoir faire la place aux jeunes, pour la relève. Il faut savoir se dire qu’en politique on occupe un siège, un poste de façon temporaire, pas permanente.

Vous savez mieux que nous qu’en politique ceux qui sont en place ne veulent pas partir. Il faut littéralement les pousser dehors pour qu’ils fassent de la place à la relève…
Ce n’est pas mon cas. Ça fait plus de quarante ans que j’ai travaillé, pendant 33 ans dans la fonction publique et 15 ans en politique. Je crois avoir fait ce que j’avais à faire et estime n’avoir rien de plus à prouver. Mais si toutefois on me demande d’occuper

On va arriver sur le si on vous demande. Vous avez fait, comme vous venez de le souligner, un long parcours dans la fonction publique. Pourquoi ne pas avoir dormi sur vos lauriers pour grimper sur les caisses de savon et vous lancer dans la politique active en 2005 ?
À l’époque, tous les partis politiques cherchaient des femmes comme candidates pour les élections. Mais déjà avant, quand j’étais dans la fonction publique, on m’avait proposé un ticket que j’avais refusé. Cela se passait en 1995.

Quel parti vous avait proposé un ticket pour les élections de 1995 ?
Le Parti travailliste.

La cousine de Sarojini Jugnauth avait eu proposition de ticket du PTr en 1995 ! Pourquoi avez-vous refusé cette proposition ?
À l’époque, j’avais des engagements familiaux. Mes enfants faisaient encore leurs études et je n’étais pas indépendante financièrement.
l Avez-vous été tentée par cette proposition ?
Oui, je l’ai été. Mais j’ai pesé le pour et le contre, et j’ai décidé qu’à ce moment-là je ne pouvais pas me permettre de m’aventurer en politique.

Vous aviez bien compris qu’on vous faisait cette proposition parce que vous étiez la cousine de Sarojini Jugnauth…
On m’avait dit que la proposition m’avait été faite à cause de mon parcours dans la fonction publique. Mais après, quand j’ai quitté la fonction publique, que je connaissais sur le bout des doigts, et que les partis cherchaient des femmes avec de l’expérience, je me suis dit : pourquoi pas ? Pourquoi continuer à écrire des discours, imaginer des politiques ou répondre à des questions pour les ministres ? Mes filles avaient terminé leurs études, je n’avais plus d’engagement et je suis donc entrée en politique. J’aimerais vous signaler que je suis entrée dans la politique en 2005 en pleine bataille dans l’alliance MSM-MMM et que la majeure partie des candidats n’ont pas été élus, alors que moi, je l’ai été. Et quand je suis entrée au Parlement, j’ai joué mon rôle de parlementaire comme il le faut en respectant le Speaker et les règlements en faisant mes interventions viva voce et non pas en lisant des papiers préparés d’avance. Et tout ça, je l’ai fait grâce à mon expérience et mes connaissances, et non pas parce que j’étais la cousine de Sarojini Jugnauth !

Décidément, vous êtes sensible à l’évocation de ces liens familiaux !
C’est vous qui avez lancé le sujet, non ? Puis, quand en 2010 je me suis fait réélire au N°14 dans l’alliance PTr-MSM, Navin Ramgoolam, alors Premier ministre, m’a proposé le ministère de la Santé, il me l’a offert sur mes mérites, pas en raison de mes liens de parenté avec Sarojini Jugnauth. J’insiste sur ce point pour dissiper une perception que l’opposition a tenté de créer. J’ai fait mon travail comme il le fallait au ministère de la Santé et je regrette de ne pas avoir pu terminer ce que j’avais commencé à cause de l’affaire MedPoint.

C’est une affaire dans laquelle l’opposition — et par la suite le PTr — avait allégué que vous aviez favorisé votre neveu Pravind, le fils de Sarojini Jugnauth, qui était alors ministre des Finances…
Jamais de la vie ! Est-ce que vous pouvez croire qu’une ex-fonctionnaire chevronnée comme moi, qui connaît tous les rouages du service civil, aurait essayé de favoriser un ministre ? Je vous rappelle qu’après l’affaire MedPoint, je m’étais retrouvée avec le MSM dans l’opposition. Vous pensez que si le gouvernement PTr-PMSD avait trouvé quelque chose contre moi dans l’affaire MedPoint il m’aurait épargnée ? D’ailleurs, même le DPP n’a rien trouvé à redire de mon comportement professionnel dans le dossier MedPoint.

Qu’avez-vous préféré en politique : être députée ou ministre ?
La période de ministre a été formidable.

Mais vous avez été critiquée pour certaines décisions et déclarations…
On dirait que la presse ne voit que le négatif, jamais les choses positives qui sont faites. Zot rod tou kalité lay pou tiré. La presse est là pour critiquer, trop et trop systématiquement à mon avis, et moi, je fais mon travail. Je le redis : le fait d’être la cousine ou la tante de quelqu’un ne m’a rien apporté dans ma réussite professionnelle. C’est mon travail qui m’a fait grimper les échelons. Je regrette de ne pas avoir pu terminer le travail commencé à la Santé. J’avais commencé à mettre de l’ordre dans les hôpitaux, avec le personnel et les syndicats dans la manière de recevoir les patients, les longues files d’attente, entre autres.

Avez-vous regardé les premiers pas de votre successeur au Parlement jeudi dernier ?
Pour vous dire franchement, je n’ai pas regardé le direct parce que je n’étais pas chez moi. J’ai regardé le résumé dans les informations de la télévision, c’est trop court pour juger une personne et je ne suis pas là pour le faire.

Du haut de vos cinq ans de présidence, quel est le conseil que vous donneriez à votre successeur ?
Il doit être à l’écoute de tous, être dans les paramètres de ce qu’il a le droit de faire et ne pas avoir de parti pris.

La presse de ce vendredi évoque les photos des Speakers que vous fait installer dans la galerie du trône, dont la vôtre. Est-ce pour laisser une trace, une empreinte de vous au Parlement ?
Voilà une autre critique facile. Cette galerie comporte les photos de tous les Speakers depuis l’indépendance et il y a d’autres photographies de tous les visiteurs étrangers qui ont visité le Parlement. Tout cela s’inscrit dans le cadre du projet du musée pour retracer l’histoire du Parlement que je n’ai pas eu le temps de mener à terme. Maintenant, dites-moi pourquoi est-ce que je n’aurais pas dû mettre ma photo dans la galerie des Speakers ? Qu’on le veuille ou non, j’ai été la première femme à occuper le poste de Speaker à Maurice et je mérite ma place dans cette galerie. Tout au long de ma carrière, je me suis battue pour que la femme ait la place qui lui revient dans les institutions.

En tout cas, le nombre de femmes a diminué dans le nouveau Parlement…
Ça, c’est aux leaders des partis politiques qui donnent les tickets de prendre leurs responsabilités. Mais quand je présidais le Parlement, j’ai établi le Parliamentary Gender Caucus, qui est devenu permanent, parce que je pense qu’il y a un combat à mener pour réduire l’écart entre femmes et hommes au Parlement, surtout dans un pays où les femmes représentent 52% de la population. Un combat qui, je tiens à le souligner, ne doit pas être contre les hommes, mais avec leur entière collaboration.

Qu’est-ce que vous auriez aimé laisser comme bilan au poste de Speaker ?
Je dirais d’abord que partout où j’ai travaillé j’ai laissé un bilan positif. J’ai aidé à améliorer le sort des femmes au ministère du même nom, créé le système VRS à l’agriculture, la MRA aux Finances, entre autres. Au Parlement, j’ai créé un bureau pour le leader de l’opposition qui, avant, faisait son travail dans les couloirs de l’assemblée avec ses dossiers sous les bras. J’ai établi la diplomatie parlementaire, créé des protocoles d’accord avec d’autres pays et surtout la retransmission en direct des débats parlementaires. Certes, c’est le Premier ministre qui avait pris la décision et fait voter une motion à cet effet, mais c’est moi qui l’ai mise à exécution en créant un studio ultra moderne et en formant les compétences. Aujourd’hui, cette retransmission est une réalité et permet à tous les Mauriciens de suivre les débats parlementaires et de savoir ce que font leurs représentants. C’est un plus pour la démocratie parlementaire.

Si la technique est effectivement haut de gamme, on ne peut pas en dire autant de tous les “acteurs” que l’on voit sur la chaîne parlementaire…
C’est un autre débat. Moi, j’ai exécuté le projet, je ne suis pas responsable de ce que font et disent les “acteurs”. Quant aux caricatures et aux bouffonnades que l’on a fait de moi avec mes « I order you out !», je m’en moque, puisque je n’ai fait que faire mon travail. Je rappelle que tant que Xavier-Luc Duval était en alliance avec le MSM, tout se passait bien au Parlement, son fils était mon adjoint. Mais dès qu’il est entré dans l’opposition, rien n’allait plus et il s’est même permis, ce qui lui a valu une suspension, de déclarer qu’il n’avait pas de respect pour moi. Est-ce que j’aurais pu tolérer de telles déclarations contre mon intégrité sans prendre des sanctions ?

C’est vrai que vous avez « ordered out » beaucoup de parlementaires, surtout ceux de l’opposition, dont vos préférés, Shakeel Mohamed et Rajesh Bhagwan…
– Tous ceux qui ont cru qu’ils pouvaient venir me marcher sur les pieds et défier mon autorité ont compris que ce n’était pas le cas. Je n’ai pas toléré ceux qui ont voulu créer du désordre pour essayer d’empêcher le Parlement de fonctionner. Pas seulement ceux de l’opposition. N’oubliez pas que j’ai déjà expulsé Ravi Rutnah, Mahen Jhugroo et que j’ai déjà fait sir Anerood Jugnauth et Pravind retirer des mots qu’ils n’avaient pas le droit de prononcer. J’ai toujours fait mon travail comme il le fallait et je suis extrêmement fière de mon bilan.

Un regret dans ce bilan ?
Le musée du Parlement dont nous avons parlé et que je n’ai pas pu terminer. Je voulais créer un lieu pour raconter son histoire et son évolution afin que la jeune génération en soit informée. J’espère que mon successeur va prendre la suite.

Avec ce bilan, vous n’êtes pas un peu chagrinée, blessée que le gouvernement ne vous ait pas demandé de continuer à présider le Parlement ?
Je n’ai aucun regret. Comme je vous l’ai déjà dit : je pense qu’il faut savoir laisser la place aux autres. J’ai eu la chance d’être Speaker et j’estime avoir bien fait le travail, et je suis ravie d’être là où je suis. Il est peut-être temps que je m’occupe plus de mon mari, de mes enfants et de mes petits-enfants que j’ai négligés ces dernières années.

Vous êtes une femme ambitieuse, on le sait. Estimez-vous que votre cheminement professionnel s’arrête là et que vous allez prendre votre retraite ?
Je sais que l’expérience professionnelle que j’ai, que ce soit comme haut fonctionnaire, comme parlementaire, comme ministre et comme Speaker est énorme et je suis encore capable de le mettre au service du pays.

On s’est laissé dire que vous pourriez mettre cette expérience au service du pays au Réduit ou dans une ambassade
Tout cela n’est pas de mon ressort, mais de celui du Premier ministre. C’est à lui de voir s’il veut utiliser mon expérience. Mais je dois vous dire qu’il m’a fait une proposition dont je ne peux parler pour l’instant.

Vous allez au Réduit ?
Ce n’est pas le cas.

Vous n’êtes pas intéressée par cette autre présidence ?
J’aurais été intéressée, mais je sais que je ne suis pas sur la liste. Je vous le dis pour mettre fin aux rumeurs. On m’a fait une proposition sur laquelle je suis en train de réfléchir. C’est tout ce que je peux vous dire.

Malgré ce que vous avez subi, vous auriez encouragé les femmes à faire de la politique active ?
Ah oui ! Non seulement il y a de la place pour la femme en politique, mais quand elle en fait, on sent tout de suite la différence. Il y a quand même des différences. À l’époque où j’étais parlementaire, les femmes faisaient leur travail, mais tout en s’assurant qu’elles avaient un comportement de membres honorables. Mais dans la dernière législature, j’ai vu des parlementaires femmes avoir un comportement qui laissait à désirer. Mais malgré tout ça, il faut qu’il y ait plus de femmes en politique.

Que voulez-vous dire pour terminer cette interview ?
Que j’ai une somme d’expérience que je suis disposée à mettre au service du pays si on me le demande.

C’est un message que vous envoyez en vue d’obtenir un poste ?
Je n’ai aucun message à envoyer. Surtout que, comme je vous l’ai dit, on m’a déjà fait une proposition.

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