ME AHMINE : « Pravind Jugnauth savait qu’il avait un intérêt »

Pour le représentant du Bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), Me. Rashid Ahmine, l’interprétation de la section 13 (2) de la Prevention of Corruption Act (POCA) doit être la plus large qui soit afin que l’objectif même de cette loi soit atteinte. « Il s’agit, a-t-il martelé, de soustraire le fonctionnaire, l’officier public à des tentations dangereuses, de le mettre à l’abri d’actes de sa part qui pourraient le rendre suspicieux et faire perdre aux citoyens la confiance dans les institutions ». La section exige de l’État de simplement démontrer qu’un défendeur est (i) un officier public ; (ii) qu’il a participé dans le processus de prise de décision d’un corps public et ; (iii) que lui-même, ou un proche, possède un intérêt personnel dans la décision qui a été prise. Il faut que l’État prouve que le défendeur était au courant de ces trois éléments (conduct elements) qui mènent au délit de conflit d’intérêt. La Cour intermédiaire a déclaré Pravind Jugnauth coupable de ce délit et l’a condamné. La tache du représentant de l’État devant la Cour d’appel est de soutenir que le jugement des magistrats de la Cour intermédiaire est correct et la sentence méritée.
Pour Me. Rashid Ahmine, la POCA avait été l’émanation d’un comité d’élite de l’Assemblée nationale en 2001 qui comprenait des professionnels de calibre tels Ivan Collendavelloo (qui agissait en tant que président), Anil Gayan et l’ancien DPP devenu Attorney General de l’époque, Emmanuel Leung Shing. Sur les recommandations, les législateurs ont ensuite délibérément voulu que l’expression « intérêt personnel » ne soit pas limitée ou définie de quelque manière afin de permettre une interprétation suffisamment flexible qui puisse englober tout intérêt qui, raisonnablement, pourrait influencer l’officier public dans l’exercice de ses fonctions et encourager la corruption. La loi répondait donc à « une nécessité sociale » et c’est pourquoi elle a aussi imposé une « strict liability » (une responsabilité criminelle) sur les éventuels contrevenants allant jusqu’à l’emprisonnement.
Certes, a dit Me. Ahmine, si la section 13 (2) ne devrait pas s’étendre jusqu’à l’intérêt direct et également indirect dans propriété de l’officier public (ou de son proche) dans une compagnie limitée, le dessein de cette section n’aboutirait totalement à rien. Cela signifierait alors qu’au lieu de se disqualifier et être disqualifié, l’officier public qui détient (ou dont le proche) possède 100% d’actions dans une compagnie limitée pourrait être libre de prendre part dans toute décision d’un corps public qui touche à ses intérêts.
Pour l’État, qu’un proche d’un officier public qui détient des actions significatives dans une compagnie limitée affectées par une décision d’un corps public possède un « intérêt personnel » dans la décision alors que la loi impose un interdit absolu (a statutory prohibition) aux officiers publics, cela donne lieu à un conflit d’intérêt. Pour l’État, Pravind Jugnauth savait qu’il était un officier public, que sa soeur était actionnaire de MedPoint et qu’en signant le document qui approuvait la réallocation de fonds pour la mise sur pied d’un hôpital gériatrique – dont il savait aussi que la clinique MedPoint était acheté afin d’abriter cet établissement de santé -, il se mettait dans une situation de conflit d’intérêt.
Or, la section 13 de la POCA est claire. L’officier public dont un proche a un intérêt engagé dans la décision qu’il va prendre ne doit participer à aucun processus de cette prise de décision. Me. Ahmine a fait ressortir aux juges que cela n’équivalait à absolument rien que Pravind Jugnauth se soit retiré de la réunion du Conseil des ministres, le 18 juin 2010, lorsque la question d’hôpital gériatrique fut évoquée, pour venir ensuite le 23 décembre de la même année approuver un document crucial se rapportant au même projet d’hôpital gériatrique en prétendant, cette fois, ignorer qu’il s’agissait de MedPoint !
Impossibilité d’invoquer la bonne foi
Le 18 juin, Pravind Jugnauth, alors ministre des Finances, se retire temporairement de la réunion du Conseil des ministres parce que, déclare-t-il, « il ne veut pas être impliqué dans la mise sur pied de l’hôpital en raison d’un potentiel conflit d’intérêt ». Le représentant de la poursuite a rappelé que la Cour intermédiaire a relevé que l’appelant avait « adopté la même attitude au moment où il avait été mis en présence d’une lettre datée du 9 juillet émanant du ministre de la Santé d’alors, Maya Hanoomanjee, qui faisait référence à l’hôpital gériatrique ».
En fait, quand on considère le contenu de cette lettre, on découvre qu’il n’y est faite aucune mention de MedPoint Ltd. La lettre évoquait des sources de financement à partir du Loto Lottery Scheme pour certains projets incluant l’hôpital gériatrique national sans aucune mention de MedPoint. Encore une fois, l’accusé (Pravind Jugnauth) reconnut que lorsque cette lettre avait été portée à son attention, il a donné l’ordre à son conseiller M.S. Dowarkasing de s’en occuper en lui disant que, lui, il ne voulait rien avoir à faire with the process and with the setting up of NGH (National Geriatric Hospital).
La Cour intermédiaire a noté que, une fois encore, quand Pavind Jugnauth avait reçu une lettre du ministre de la Santé qui traitait des arrangements financiers pour le projet d’hôpital gériatrique national sans que mention ne soit faite de MedPoint, il avait également donné l’ordre à son conseiller M. Ramchurn de ne pas l’impliquer dans les arrangements pour la mise sur pied de cet hopital. Quand la question lui fut posée pourquoi il s’était retiré lors des discussions du Coneil des ministres sur l’hôpital gériatrique, Pravind Jugnauth répondit que c’était parce que sa soeur est un actionnaire de MedPoint et que son beau-frère dirigeait la compagnie.
Malgré ces explications, Pravind Jugnauth a donné son accord à un procès-verbal (Minute n°6) sur lequel il a signé son nom et est écrit « approved », et qui était en lien direct avec le projet de mise sur pied de l’hôpital, bien que le nom de MedPoint n’y était pas. Il s’est défendu en affirmant qu’il n’avait aucune connaissance d’une connexion de ce procès-verbal avec MedPoint et qu’il n’avait pas non plus lu d’autres procès-verbaux qui étaient inclus dans le même fichier et qui, eux, faisaient référence spécifiquement à MedPoint. La Cour intermédiaire avait trouvé le raisonnement de Pravind Jugnauth vide de toute substance.
Pour l’État, les magistrats ont raison dans la mesure où (i) l’appelant savait que sa soeur possédait un intérêt dans la compagnie MedPoint et ; (ii) il savait que la décision qu’il prenait le 23 décembre 2010 pour autoriser la réallocation de fonds afin de permettre l’acquisition de l’hôpital gériatrique national était lié à un paiement fait à MedPoint. « Et on ne parle pas là d’un paiement de Rs 100 millions comme initialement prévu, mais d’une réallocation de fonds de Rs 144,7 millions inexpliquée qui a affecté la situation économique de la compagnie MedPoint dans laquelle son proche a un intérêt ». Selon le représentant du DPP, « la connaissance établie qu’avait Pravind Jugnauth de la connexion avec MedPoint est déjà suffisante pour que l’État n’ait rien à prouver et pour que sa condamnation soit maintenue ».
Pravind Jugnauth ayant affirmé dans ses raisons d’appel que l’acte d’accusation lui a attribué l’intention délibérée de commettre un délit (wilfully), il fallait à l’État d’établir qu’il existait réellement chez lui cet « an additionnal mental element ». Me. Ahmine a répliqué qu’il n’a pas lieu. L’information contenue dans l’acte d’accusation n’a causé aucun préjudice à l’accusé. Devant les magistrats, il a soutenu qu’il ne savait pas que le procès-verbal qu’il avait approuvé concernait MedPoint. Les magistrats ont rejeté cette défense et, qui plus est, il n’a pas dit qu’il avait agi de bonne foi ni non plus qu’il fut conscient qu’il y avait conflit d’intérêt.
Pour le représentant du DPP, il n’existe d’ailleurs dans le cas présent aucune possibilité d’invoquer quelque bonne foi. L’homme de loi a, à ce stade, cité un cas dans lequel, le 18 février 1987, la Cour de Cassation de France avait débouté un ancien maire. Celui-ci avait été trouvé coupable du délit d’ingérence malgré qu’il n’était pas au courant d’un conflit d’intérêt et bien que la Cour de Cassation avait aussi conclu qu’il avait agi en toute bonne foi.
Conflit d’intérêt actuel et apparent
Pravind Jugnauth a argué que les magistrats de la Cour intermédiaire ont été « wrong to hold that the section 13 (2) encompassed a situation in which the public official would appear to a reasonable and well-informed person to possess a conflict of interest ». Pour le représentant du DPP, la référence de la Cour intermédiaire au conflit d’intérêt doit être vue en conformité avec la définition qu’en donne l’OECD depuis 2005 dans le texte intitulé Conflict of interest policies & practices in nine EU member states « A comparative review » (Sigma Papers no. 36) :
« An apparent conflict of interest refers to a situation where there is a personal interest that might reasonably be considered by others to influence the public official’s duties, even though in fact there is no such undue influence or there may not be such influence. The potential for doubt as to the official’s integrity and/or the integrity of the official’s organisation makes it obligatory to consider an apparent conflict of interest as a situation that should be avoided « 
Quelle que soit la définition qui est retenue, la connaissance de Pravind Jugnauth que sa soeur possède une part dans MedPoint et que la décision de donner son accord pour que des fonds économisés par le ministère de la Santé faciliterait le paiement rapide d’une très forte somme d’argent public à cette compagnie était suffisante pour lui d’être influencé dans ses fonctions publiques par ce conflit et donc pour lui de comprendre qu’il fallait s’autodisqualifier dans le processus de décision.
L’intérêt de sa soeur était si tant raisonnable que cela exigeait de lui qu’il se disqualifie de lui-même. Les faits de l’affaire démontrent donc qu’il n’y a pas seulement d’apparence de conflit, mais aussi conflit réel (actual conflict). Tout ce dont la loi exige, c’est que la connaissance des faits qu’à l’officier public lui-même impose le devoir (duty) qu’il se disqualifie. Si ce devoir est ignoré, le délit commis.
Le but de rendre de tels comportements punissables est d’obliger l’officier public de s’abstenir « from relevant involvement », de l’empêcher de s’engager dans tout comportement qui peut raisonnablement permettre la suspicion d’une mauvaise conduite de sa part sinon des doutes sur son impartialité. Si l’officier public savait ou été censé savoir que les faits le plaçait dans une position où ses intérêts était en conflit apparent ou actuel avec ses fonctions publiques, il sera coupable.
De Rs 100 millions à Rs 144,7 millions
À l’insistance de la défense de Pravind Jugnauth, il a été beaucoup question de l’importance de l’intérêt de la soeur de l’appelant dans la compagnie MedPoint. Me. Clare Montgomery a affirmé que 23% d’actionnariat n’étaient pas suffisants pour rendre Pravind Jugnauth coupable. Sur ce point, Me. Ahmine a répondu que « l’intensité de l’intérêt, fusse-t-elle faible ou forte, ne doit pas être un facteur déterminant dans un jugement de culpabilité, d’autant que la POCA précise que 10% suffisent pour que l’officier public ne participe à aucun processus de prise de décision ».
Sur le point avancé par Pravind Jugnauth qu’en donnant son accord au projet d’hôpital gériatrique après que le projet a déjà été approuvé par toutes les institutions concernés (ministère de la Santé, Central Procurement Board, quatre hauts responsables du ministère des Finances, dont le secrétaire financier), il n’a fait que prendre une mesure administrative, le représentant du DPP a fait ressortir que « la POCA insiste qu’il ne devrait prendre part à aucun processus, même si, selon les officiers de son ministère, son accord était jugé crucial pour que la réallocation des fonds puisse se faire ».
« Or, Pravind Jugnauth avait la possibilité de déléguer ses pouvoirs. Il ne l’a pas fait. Or, la mesure administrative qu’il a prise a eu pour conséquence de permettre à MedPoint et à sa soeur d’améliorer leur situation économique. On parle là de Rs 144,7 millions alors que, initialement, le projet d’hôpital gériatrique ne devait coûter que 100 millions !  » Qui plus est, toujours selon le représentant du DPP, rien n’obligeait Pravind Jugnauth, en tant que ministre des Finances, à faire le paiement à la compagnie MedPoint le jour même où il devait signer le document qui l’a finalement incriminé.
Il faut signaler que, à un certain moment dans son réquisitoire, Me. Ahmine s’est demandé en passant si en réalité l’appelant n’avait pas déjà transgressé la loi quand il n’avait pas déclaré ses intérêts dans MedPoint par écrit dès la première réunion du Conseil des ministres où le projet d’hôpital gériatrique avait été évoqué au lieu de se contenter de seulement quitter la réunion.

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