Me Gavin Glover : « Le système électoral mauricien est archaïque ! »

Notre invité de ce dimanche est Me Gavin Glover, le Leading Counsel de l’équipe légale qui présente la pétition électorale des trois partis de l’opposition. Dans cette interview réalisée jeudi dernier, Me Glover expose les raisons qui ont poussé les partis de l’opposition à se lancer dans cette action visant à demander l’invalidation de certains résultats des dernières élections générales.

- Publicité -

C’est la première fois dans l’histoire électorale de Maurice qu’il y a autant de pétitions contestant une élection, en plus des trois partis de l’opposition qui font cause commune dans des plaintes et qui utilisent des termes forts : « bribery, treating, undue influence and illegal practice », et j’en passe. Est-ce que les élections de novembre 2019 ont été aussi « unfair » et « unfree » que cela ?

– Faisons une simple comparaison. En décembre 2014, des semaines avant les élections, on savait que l’alliance MSM/PMSD/ML allait les remporter. C’était écrit sur les murs, dans les discussions, dans les foules aux meetings et sur le Net grâce au clip « Viré Mam ». La victoire attendue n’a pas été contestée et a été suivie d’une grande jubilation de la part de ceux qui avaient gagné. Même ceux qui n’avaient pas gagné, mais qui avaient rejoint le camp des vainqueurs ! En novembre 2019, la situation était totalement différente : l’Alliance Morysien était loin d’être donnée gagnante et même certains de ses candidats le laissaient entendre. Ce qui explique que beaucoup de députés sortants n’ont pas eu de tickets, que d’autres ont été déménagés de circonscriptions à quelques jours des élections. Ce que le public sentait, ce n’était pas une grande victoire de l’Alliance Morysien, comme en 2014. Aucune jubilation des vainqueurs n’a suivi les résultats des élections. Tout le monde semblait étonné des résultats, à commencer par les gagnants. C’est ce qui explique que ces résultats ont surpris, semé des soupçons et des doutes.

Mais il y a toujours eu de soupçons et des doutes au lendemain des élections. Des soupçons venant surtout de ceux qui n’ont pas été élus et qui attribuent leur échec, non à une mauvaise performance ou à un refus de l’électorat, mais à un sombre complot contre leur personne.

– Je le redis : on a vu après les élections de 2014 la jubilation de ceux qui avaient gagné. Cette fois-ci c’était le calme plat avec des interrogations, les unes plus graves que les autres, et on se demandait : qu’est-ce qui s’était passé ? Il y a eu des choses et des résultats peu compréhensibles. Je ne suis pas politologue, mais selon les politiciens à qui j’ai parlé dans le cadre de la préparation de cette pétition électorale, il est clair qu’il y a des résultats qui sont indigérables, si je puis m’exprimer ainsi, dans certaines circonscriptions. Il y a eu des circonscriptions qui ont été ciblées. Nous n’allons pas formuiler des contestations dans les circonscriptions où il y a eu des différences énormes. Il y a eu d’autres circonscriptions où il fallait quand même faire la demande de recomptage, comme au No 9 où même le commissaire électoral a, dans une certaine mesure, a concédé qu’il y a eu des erreurs sur le nombre total d’électeurs. Trois ou quatre chiffres officiels différents donnés démontrent clairement qu’il y a eu un problème quelque part, donc le recomptage des votes est une nécessité. Dans d’autres circonscriptions, nous avons de petits écarts, mais d’autres plus importants, comme au No 10 où Navin Ramgoolam est battu par 680 voix, mais où il y a eu une série de ce que je pense avoir été des irrégularités, qui peuvent laisser croire que lors d’un recount on pourrait avoir des surprises.

Entrons dans le détail de votre action légale. Votre pétition comprend huit demandes de recomptage, deux demandes d’invalidation et trois contestations des résultats. Mais ne suffirait-il pas qu’une seule de ces demandes soit acceptée par la Cour pour que la totalité des résultats élections soient annulée ?

– Nous avons deux contestations au No 8 qui sont extrêmement importantes.

La circonscription No 8 est celle de Moka/Quartier-Militaire où a été élu l’actuel Premier ministre, Pravind Jugnauth…

– C’est la circonscription où ont été élus trois ministres, et non des moindres, de l’actuel gouvernement. La première pétition a été lancée par Suren Dayal, un candidat perdant, et nous avons aussi une pétition qui a été initiée par un électeur. Ces deux pétitions contiennent des faits incontestés et la question posée est : est-ce que ces faits peuvent donner lieu à un ordre d’annulation des élections ?

Quels sont ces faits que vous dites incontestés ?

– Tout ce qui s’est passé avant les élections. Toutes les promesses, tout ce que le gouvernement sortant a fait avant même le début de la campagne électorale, dont les multiples inaugurations. Par exemple, le grand meeting électoral du 3 novembre destiné au troisième âge au cours duquel l’augmentation de la pension de vieillesse a été annoncée. Comme tous les autres faits dans la pétition, il est indéniable. La pétition de Suren Dayal, qui est légèrement différente, contient d’autres faits. Je reviens à votre question : si jamais l’élection du Premier ministre, leader de l’alliance qui a gagné les élections, est invalidée pour la raison évoquée, avec l’effet domino, nous irions vers de nouvelles élections générales. Je ne pense pas que, si cela était avéré, Pravind Jugnauth ne se rendrait pas compte que la légitimité de l’élection ayant été remise en cause, il serait de son devoir de retourner devant le peuple.

Vous venez de me donner une interprétation sur des faits contenus dans la pétition. Mais, du point de vue légal, ce que vous venez de me dire est-il justifié ?

– Nous pensons que oui. Nous pensons fermement que les deux pétitions au No 8 ont une bonne chance d’être reçues positivement par la Cour suprême.

Plus que la pétition concernant la circonscription No 10, celle où Navin Ramgoolam n’a pas été élu ?

– Ce sont deux choses différentes. C’est la même procédure, mais les angles sont différents. Dans les deux pétitions du No 8, la cible c’est l’élection du Premier ministre actuel, et par ricochet, celle de ses deux colistiers.

Vous dites que l’élection du Premier ministre n’a pas été faite dans les bonnes conditions…

– Nous n’avons pas dit cela. Nous disons qu’au No 8 le résultat de l’élection doit être invalidé parce qu’elle a été tronquée par ce qui s’est passé avant.

Et que dites-vous dans la pétition en ce qui concerne la non-élection de Navin Ramgoolam ?

– Nous disons que l’élection au No 10 a été tronquée par ce qui s’est passé pendant les élections et le comptage des voix. C’est là que se situe la différence.

Qu’avez-vous dans votre dossier à charge pour la circonscription No 10 ?

– Premièrement, le fait, tout à fait extraordinaire, que les résultats ont été proclamés à trois heures et demie du matin, le lendemain du jour du dépouillement ! Déjà, cela démontre qu’il y a eu quelque chose qui n’a pas marché le jour de l’élection et du counting !

Mais est-ce que ce retard n’est pas dû au fait, comme cela a été dit, que votre client a demandé des contrôles et des recomptages, ce qui a ralenti les procédures ?

– C’est tout à fait faux. Ce n’est pas ce qui s’est passé. D’ailleurs, Navin Ramgoolam a demandé un nouveau dépouillement à trois heures du matin, le lendemain, mais on le lui a refusé parce que, précisément, il n’avait pas fait de plaintes pendant le comptage! Il y a eu pendant l’élection générale de 2019 quelque chose de tout à fait nouveau : le commissaire électoral a cru bon d’essayer l’informatisation du dépouillement du scrutin pour, je le pense, essayer d’avoir des résultats un peu plus vite. Mais force est de constater que cela n’a pas marché et, en fait, cela a été une entrave à la procédure établie. Sans pointer le doigt vers qui que ce soit, nous avons relevé nombre de failles et d’irrégularités qui démontrent clairement qu’il y a eu manquement dans la procédure avec l’informatisation.

Le nouveau système introduit par la Commission électorale n’a-t-il pas été présenté aux candidats et accepté par eux pendant les réunions de préparation des élections ?

– Jamais. Ne pas informer les candidats du nouveau système et garder tout dans le secret ne pouvait que créer des doutes dans la tête de tout un chacun. Et quand on voit les écarts dans certaines circonscriptions où des candidats qui menaient depuis le début se font battre par seulement quelques votes Dans toutes les circonscriptions, il existait un « computer room » qui se trouvait dans un endroit « out of bounds » pour les candidats et leurs agents. Il y avait des personnes qui travaillaient dans ces « computer rooms » et nous pensons que c’étaient des employés de la State Informatics Ltd, qui avait créé le programme, comme l’indique la page web de la Commission électorale. A partir d’un moment du dépouillement, nous n’avons pas eu la transparence et le contrôle voulu sur les votes et sur les résultats.

l A un moment ou pendant toute l’opération de dépouillement ?

– Pendant toute l’opération, en fait. Les candidats et leurs agents devraient pouvoir suivre les bulletins dépouillés et les chiffres à tout moment pendant le dépouillement. Mais dès que les chiffres sont sortis du « counting room » pour aller vers le « computer room », les candidats et leurs agents ont perdu le contrôle. C’est, selon nous, ce manquement qui est extrêmement grave. Nous comprenons aujourd’hui que les données étaient remises au SIL, qu’elles étaient envoyées à la Commission électorale et compilées là-bas avant d’être renvoyées au Returning Officer, ce qui a créé un cafouillage pas possible.

Selon vous, quelle était la logique de cet envoi et de ce renvoi de données ?

– Si logique il y a, je ne l’ai jamais comprise ! Toute la procédure était nébuleuse. Dans certaines circonscriptions, les candidats ont fait comprendre que le système ne fonctionnait pas. Dans d’autres, les candidats, qui ont toujours eu confiance dans le système, n’ont pas protesté. C’est bien après qu’on s’est rendu compte du problème qui a empêché d’avoir des résultats partiels, comme avant. Si ce nouveau système ne pouvait permettre d’avoir les résultats partiels pendant le dépouillement, comment peut-on venir affirmer que les résultats finaux sont bons ? Nous ajoutons à cela le fait que dans plusieurs circonscriptions les écoles ont été envahies de partisans bien avant la fin du dépouillement, ce qui a perturbé les opérations. Nous avons aussi eu des circonscriptions où les candidats ont eu à quitter les lieux par peur pour leur sécurité. Certains n’ont pas pu demander de recomptage à cause de ça. Navin Navin Ramgoolam a dû faire appel à la SSU pour pouvoir entrer et sortir du centre de vote quand il est venu demander un nouveau comptage à 3h du matin ! C’est inacceptable !

Si je vous ai bien suivi, vous êtes en train de dire qu’il y aurait eu une grosse opération générale pour modifier les résultats des élections ?

– Je ne voudrais pas faire un commentaire politique. Je m’en tiendrai à tout ce que nous avons obtenu comme informations et comme preuves et qui sont présentées dans les pétitions électorales. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il ne faut pas en rire. Comprenne qui pourra.

On dirait que c’est une réponse au commentaire fait par le Premier ministre sur les pétitions électorales de l’opposition.

– Je dis simplement qu’il ne faut pas en rire.

Sans vouloir rire de qui que ce soit, je suis quand même surpris que Navin Ramgoolam déclare dans sa pétition qu’il a des informations selon lesquelles les bulletins de vote n’ont pas été imprimés à l’imprimerie du gouvernement, mais par une imprimerie privée !

– Précision, il n’a pas dit que tous les bulletins n’avaient pas été imprimés par l’imprimerie du gouvernement. Il a dit qu’il a des preuves que certains bulletins ont été imprimés en dehors de l’imprimerie du gouvernement. Cette information est détenue par plusieurs personnes et nous pensons qu’il existe assez de preuves à montrer à la Cour.

Avez-vous vu ces preuves ?

– Je peux simplement vous dire que mon client a assez d’éléments pour que cela figure dans la pétition.

Quel est le parcours légal que doit suivre une pétition électorale ?

– C’est la même procédure que celle d’une affaire en Cour suprême. Elle a été présentée devant un juge en chambre qui a référé l’affaire devant la Cour suprême qui sera présidée par le chef juge lundi prochain, le 9 décembre. A partir de là, les procédures normales vont commencer et les défenseurs et codéfendeurs auront à présenter une défense et la Cour entendra les témoignages au cours du procès et rendra son verdict.

Cette pétition, qui remet en cause l’existence même du gouvernement, pourrait-elle lui faire bénéficier d’une procédure accélérée ?

– Le dernier cas important de contestation électorale, qui a été celui d’Ashok Jugnauth, a pris trois ans avant d’arriver au Privy Council. On peut donc estimer que l’affaire sera terminée dans dix-huit mois au maximum. Cela va prendre son temps, mais je suppose que la Cour suprême va accorder une certaine priorité à ce dossier. Nous sommes en démocratie et je crois qu’il est important que le peuple sache si les pétitionnaires ont raison ou tort.

Certaines personnes ont posé la question suivante : comment est-ce que l’opposition peut présenter des pétitions électorales alors que ses élus ont prêté serment comme membres de l’Assemblée nationale ?

– Il faut bien faire la différence entre les pétitionnaires et les candidats élus. Ce sont les candidats battus qui contestent les résultats des élections dans les différentes circonscriptions, pas les élus de l’opposition.

Il y a aussi eu des électeurs qui ont été, à l’insu de leur propre gré, « deregistered » de la liste électorale. C’est un fait que vous avez utilisé dans les pétitions ?

– Ce n’est pas un argument pour les pétitions électorales, mais c’est un cas à faire en Cour pour demander si rayer le nom d’un électeur n’est pas en violation avec le droit de vote qui figure dans la Constitution. Ce n’est pas possible que des gens qui habitent la même maison depuis trente-cinq ans ont leur nom subitement rayés de la liste électorale parce que, selon des officiers de la commission électorale, le facteur aurait dit que la personne avait déménagé. Je trouve un peu léger d’enlever un droit constitutionnel à un citoyen sur la supposée parole d’un individu !

l Le fait que cette affaire puisse apporter une « révolution » dans la vie politique mauricienne ne vous inquiète pas ?

– Vous savez, je me contente de faire mon travail au mieux de mes possibilités. Il ne m’appartient pas de faire un commentaire sur l’aspect ou les éventuelles répercussions politiques de cette affaire.

Le fait qu’on a retrouvé quatre bulletins de vote depuis les élections apporte-t-il de l’eau au moulin des pétitionnaires ?

– Absolument. Ce sont de vrais bulletins qui ont été émis par le bureau du commissaire électoral, utilisés le jour des élections et comptabilisés le jour du dépouillement. Tous les électeurs savent qu’il est impossible de faire sortir un bulletin d’une salle de vote le jour des élections sous les regards des officiers et des agents. Comment expliquer que ces bulletins se retrouvent dans la nature, sinon qu’ils ont été sortis d’une urne qui est supposée être sous haute surveillance pendant et après les élections. Toutes les pétitions soulignent qu’il y a eu des problèmes en ce qui concerne le transport des urnes, faites parfois dans des minibus au lieu des camions de la SMF ! Il y a eu un cafouillage général pendant ces élections qui ont engendré des résultats que les pétitionnaires trouvent non conformes avec l’expression du vote de l’électorat.

En filigrane, ces pétitionnaires affirment que le système électoral mauricien ne fonctionne pas, pour ne pas dire dysfonctionne…

– Force est de constater, avec ce que nous avons vécu en novembre 2019, qu’il faut repenser tout le système. C’est un système électoral archaïque. On a essayé de le moderniser un tout petit peu en y ajoutant un peu d’électronique qui a donné de plus mauvais résultats encore. Il est clair qu’il faut revoir le système et comptabiliser les bulletins là où se trouvent les urnes immédiatement après la fermeture des bureaux de vote, comme cela se fait dans le monde entier.

Comment vous êtes-vous retrouvé Leading Counsel de l’équipe légale qui a préparé cette pétition politique ?

– Je fais le lien entre les avocats des trois partis politiques pour faire cause commune, pour qu’on ait une ossature dans les différentes pétitions et qu’on aille tous dans la même direction, sans nous tirer dans les pattes. Ça a marché et nous avons pu mettre en place ce que nous voulions faire.

Qu’est-ce qui vous a déterminé à accepter la responsabilité de ce dossier ?

– Comme vous le savez, j’ai défendu Navin Ramgoolam depuis février 2015 et, naturellement, lorsque les problèmes ont surgi pendant les élections, il m’a demandé de regarder son dossier au No 10. C’est par la suite que sont venues se greffer les autres circonscriptions et qu’a été créé le front commun des avocats des trois partis politiques de l’opposition.

Peut-on dire, pour terminer cette interview, qu’il y a suffisamment d’éléments troublants, inquiétants, qui ont justifié l’action des trois partis de l’opposition ?

– Les éléments troublants ne suffisent pas pour la Cour suprême. Il faut des faits avérés graves qui ont eu pour conséquence l’altération des résultats des élections. Il va falloir se battre devant la Cour pour les établir.

Avez-vous suffisamment de faits avérés pour défendre votre dossier.

– Oui, nous en avons assez.

Donc, selon cette logique, nous allons vers une annulation des élections du 7 novembre 2019…

– On sait que je suis conservateur dans ma manière de penser et d’agir. Si je ne pensais pas que nous avions un cas sérieux, certainement ni moi ni mes collègues avocats et avoués n’aurions soutenu cette pétition. As far as I am concerned, it is a genuine case.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour