MGR SAMOELA JOANA RANARIVELO (évêque d’Antananarivo) : « Les Malgaches en ont assez des crises politiques ! »

Quelles sont vos responsabilités spécifiques au sein de l’Église anglicane à Madagascar ?
D’abord je salue le peuple mauricien et tous les membres de la communion anglicane. Je suis évêque du diocèse d’Antananarivo. Étant donné qu’il a six diocèses chez nous, l’Église a mis en place depuis plusieurs années une structure au niveau national qui regroupe l’ensemble de ces diocèses et je suis le président en exercice de cette instance nationale. Mais tout en étant organisé au niveau national, l’Église anglicane à Madagascar est sous la supervision de la Province de l’océan Indien.
D’où ma présence à Maurice depuis une semaine en compagnie des autres évêques malgaches pour participer au Synode de la Province. Nous sommes une trentaine de personnes au total venant de plusieurs pays à participer aux travaux de ce synode, qui prend fin dimanche. Je voudrais aussi ajouter que l’Église anglicane à Madagascar participe pleinement aux activités tendant vers l’oecuménisme dans l’île et elle est membre de la Fédération des Églises chrétiennes, qui comprend les catholiques, les anglicans, les luthériens et les protestants.
Dans quel état d’esprit les Malgaches ont-ils célébré le 57e anniversaire de l’indépendance ?
En général, les Malgaches sont fiers de célébrer cet anniversaire. Mais en même temps je constate qu’il y a une certaine dichotomie dans la perception des habitants par rapport à ces célébrations nationales. Pour des raisons de sécurité, le gouvernement a mobilisé les militaires et les gendarmes, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’élan de réjouissances.
De par vos fonctions, vous êtes bien placé pour évaluer la situation à Madagascar. En êtes-vous satisfaits maintenant qu’il y a une certaine accalmie au plan politique ?
Ce n’est pas possible d’atteindre la satisfaction totale mais pour moi, l’essentiel est qu’on avance. C’est une évolution plutôt positive, même si elle est encore très lente. Par exemple, au niveau international, Madagascar est mieux perçue et il y a ici et là certains efforts au plan du développement de l’économie malgré les difficultés auxquelles on fait face dans ce secteur et les problèmes d’insécurité.
Les étrangers qui visitent Madagascar régulièrement constatent que la pauvreté a augmenté et d’après la BM, 90% de la population vit dans la pauvreté. Les gouvernants sont-ils conscients de l’étendue du problème ?
Je ne nie pas les observations des uns et des autres sur cette question car il est un fait que le pays fait face à un sérieux problème. Sortir de la pauvreté n’est pas le combat d’une seule catégorie de personnes. Une nouvelle éthique politique est nécessaire. Je m’explique : jusqu’à quel niveau et dans quelle mesure nos politiciens sont-ils capables de se donner la main sur certains aspects qui touchent directement la vie de gens et cela de manière objective. Nous avons suffisamment de ressources naturelles pour surmonter nos problèmes et subvenir à nos besoins de base, mais est-ce que ces richesses naturelles sont distribuées équitablement ?
Le Malgache sent-il qu’on s’occupe de lui et voit-il des actions concrètes pour une amélioration de ses conditions de vie ? Le jeune entrevoit-il un avenir meilleur dans son pays ?
Madagascar n’a pas connu qu’une période de crise politique, mais plusieurs crises successives. Je le dis sincèrement : reconstruire le pays après ces différentes crises n’est pas une tâche facile, mais n’est pas impossible. Cela prendra du temps pour redresser la situation dans n’importe quel domaine. N’empêche, il y a des efforts à déployer par le gouvernement dans tous les secteurs. La mise en place des infrastructures pour une meilleure qualité de vie est quelque chose de primordial. Certes de tels travaux prendront du temps mais, au final, ce sont les Malgaches qui en bénéficieront. Nous sommes tous responsables pour faire développer ce pays. Il y a aussi la responsabilité citoyenne pour relever certains défis de la vie quotidienne. Il faut créer des espaces pour éduquer les gens et leur dire qu’ils ont aussi un rôle à jouer pour améliorer leur situation et comment gérer certains problèmes de la vie quotidienne au lieu de s’en prendre aux autorités systématiquement.
Qu’est-ce qui empêche d’avancer dans la reconstruction de l’île ?
Il y a trop d’interférences politiques dans différents domaines de la vie de notre nation. Je n’ai pas de vision négative de la politique, mais c’est la manière de faire des politiciens qui freine les bonnes intentions. C’est pour cette raison que je voudrais faire appel à la conscience des responsables en politique pour mettre en priorité le bien commun de la nation. Les cataclysmes naturels ont beaucoup affecté le pays mais cela ne doit pas être une excuse aux décideurs politiques pour ignorer les besoins immédiats de la population. Les choses concrètes doivent être mises en place.
Justement, quelle est l’urgence sur laquelle il ne faut plus tergiverser et à laquelle on doit apporter des réponses concrètes et immédiates ?
N’ayons pas peur de le dire : il a des Malgaches qui sont dans l’extrême pauvreté et qui ne mangent pas à leur faim tous les jours. Il faudrait donc s’assurer que tous les Malgaches aient de quoi à manger chaque jour. L’insécurité est un problème aggravant et devrait interpeller les acteurs de la vie sociale, économique et politiques, de même que les responsables des différentes Églises chrétiennes. Ces personnes doivent se mettre ensemble pour discuter de ce problème, qui a un impact sur la vie socio-économique du pays.
La notion de coopération régionale revient dans tous les discours politiques. À votre avis, quels domaines dans le cadre d’un partenariat bilatéral ou multilatéral seraient bénéfiques aux besoins de Madagascar ?
Du côté des ressources naturelles et humaines, nous en avons, mais c’est la manière de gérer ces ressources qu’il faut améliorer. Il devrait donc avoir des échanges à ce niveau et c’est un domaine que les décideurs politiques et économiques de la région pourraient exploiter. L’âge de la population malgache est assez jeune et les gens ont besoin de travail. La mise en place des usines pourrait leur donner de l’emploi tout en n’oubliant pas que la population malgache est plutôt dans le domaine agricole et dans la pêche.
En même temps, il y a nécessité de revoir le type de coopération régionale. Il y a beaucoup de bonnes intentions entre les pays mais plusieurs d’entre elles ne donnent pas les résultats attendus. À titre d’exemple, au niveau de l’exportation de leurs produits, les Malgaches font face à beaucoup d’obstacles et à beaucoup de tracasseries. On dit qu’ils ne respecteraient pas les normes et du coup, leurs produits leur restent sur les bras. Ces mêmes personnes qui vous bloquent quand ils viennent chez nous consomment ce qu’on nous empêche d’exporter sans poser de questions car ils connaissent la qualité et le goût original de nos produits. La pratique commerciale entre les pays doit être faite d’une manière nouvelle afin qu’elle soit bénéfique aux partenaires.
Êtes-vous au courant que bon nombre de travailleurs malgaches se trouvent à Maurice, surtout dans des usines ?
Je suis au courant qu’il y a pas mal de travailleurs malgaches ici mais je n’ai pas eu l’occasion de les rencontrer personnellement pour discuter. Il y a des fidèles anglicans parmi eux et qui sont en contact avec la communion anglicane à Maurice.
Abordons le volet de la réconciliation nationale. Y a-t-il une réelle volonté politique dans cette direction ou est-ce des initiatives de façade ?
La réconciliation n’est pas quelque chose qu’on peut atteindre en une journée ou en un an. C’est un long processus auquel il faut s’accrocher avec conviction. La démarche évolue malgré les réticences. Il est bon que tous les dirigeants politiques aient exprimé une volonté d’aller dans cette direction et le résultat de cette acceptation de dialogue à tous les niveaux est la loi sur la Réconciliation nationale, votée en décembre dernier à l’Assemblée nationale. C’est un pas en avant. Nous en sommes au stade de la mise en place d’une structure pour la mise en pratique des objectifs énoncés dans cette loi visant à concrétiser ce désir de réconciliation. Cette loi mentionne la mise en place d’un Conseil de réconciliation nationale, qui sera composé de 33 membres, soit 22 représentants des régions à Madagascar et 11 nominés par le président. Il y a eu un appel à candidatures concernant les représentants des régions et un comité ad hoc comprenant neuf personnes a été nommé pour la sélection de ces 22 personnes.
Ce comité ne tardera pas à faire connaître son choix et, ensuite, le conseil national commencera ses travaux. Cette instance devra entre autres examiner les demandes en réparation des préjudices causés aux victimes des faits liés aux événements politiques durant la période 2002-2014. Ce conseil travaillera dans un cadre bien précis en tenant compte de quatre points fondamentaux, soit la repentance – c’est-à-dire reconnaître chacun sa part de responsabilité –, le pardon mutuel, l’aspect justice & vérité, et enfin la réconciliation.
Ce processus de réconciliation ne risque-t-il pas de ralentir avec les procédures administratives ?
Le processus a évolué un certain temps et puis on a eu l’impression que les choses ne bougeaient plus. Avec la loi votée, le processus est bel est bien en marche, mais au sein de la population on perçoit les choses différemment et les Malgaches ont la perception qu’on avance lentement. L’essentiel, pour moi, est qu’on avance dans cette voie de réconciliation.
De quelle manière l’Église participe-t-elle à la reconstruction de Madagascar ?
L’Église ne reste pas passive devant ce qui se vit dans le pays et devant la détresse des Malgaches. L’Église a participé à un certain niveau de médiation, qui vise à la réconciliation, et elle est engagée dans ce chemin depuis 2009. Nous sommes engagés au niveau de l’éducation et de la santé ainsi que dans l’aide sociale. Notre voix est toujours entendue car les autorités nous demandent souvent notre avis et sollicitent notre collaboration sur certains projets dans l’intérêt de la population.
Cette étroite collaboration ne risque-t-elle de faire dévier chacun de ses fonctions respectives ?
Chaque partie connaît ses priorités et reste dans son rôle. Il a un respect mutuel dans cette collaboration. L’Église n’est pas faite pour servir des intérêts politiques de qui que ce soit ni se retirer des réalités sociales et rester loin des préoccupations de la nation. L’Église et les politiciens ont des opinions différentes sur plusieurs sujets mais ces divergences ne doivent pas aboutir à une rupture de relations et de collaboration. Sans l’engagement de l’un ni de l’autre, le pays va s’engouffrer. Il faut toujours donner de l’espace aux échanges et au dialogue, et cela vaut dans plusieurs domaines de la vie. C’est la position que j’ai toujours prônée dans mes responsabilités ecclésiales.
La population devra élire l’année prochaine un nouveau président. Comment les Malgaches entrevoient-ils ce scrutin ?
La population en a assez des tensions et des conflits ! Les Malgaches s’attendent à une période électorale paisible et dans la sérénité, et des efforts enclenchés dans cette direction par des institutions. On est fatigué avec les crises politiques et l’Église interpelle souvent les politiciens à ce sujet. Si la transition démocratique se déroule sur un bon ton et selon les souhaits des Malgaches, nous pourrons alors envisager un pas plus positif en avant pour le pays dans les cinq ans à venir. L’essentiel est qu’on avance dans la bonne direction. C’est un point sur lequel j’insiste dans tous mes messages à la population malgache.
Venons-en au Synode de la Province de l’océan Indien, qui se tient à Maurice depuis jeudi. Quelle est l’importance de cette réunion pour vous ?
Le synode est une étape importante dans la vie de chaque diocèse faisant partie de cette Province. Le but de cette réunion, qui rassemble évêques, prêtres et laïcs, est de voir ensemble de nouvelles perspectives et de se frayer un nouveau chemin. Cette idée de communion et de partage est très importante dans la mission que Dieu nous a confiée. Ce synode définira la politique générale de la Province pour les quatre à cinq ans à venir, soit jusqu’au prochain synode. Le terme « communion anglicane » que nous avons choisi pour désigner l’ensemble des fidèles anglicans traduit bien cet esprit de partage et d’unité qui doit primer dans la mission. Il ne faut pas oublier que nous sommes aussi réunis pour élire le prochain archevêque de la Province. Celui-ci aura la responsabilité de faire concrétiser les objectifs que nous définirons dans ce synode.
Les réalités sont différentes dans chaque île et dans chaque diocèse. Comment votre diocèse s’intègre-t-il à cet espace régional ?
Vous avez raison de faire remarquer que les réalités sont différentes dans chaque pays et que les besoins de chacun des diocèses qui font partie de cette Province sont différents. La structure nationale de l’Église anglicane à Madagascar et celle de la Province se complètent et c’est pour cela que notre présence au sein de cette structure régionale est incontournable.
Y a-t-il des préoccupations communes au sein de la Province ?
Malgré la distance géographique et les différences culturelles et sociales, on partage le souci en ce qui concerne la formation à tous les niveaux de la vie du diocèse. La première responsabilité et mission de l’Église est l’évangélisation et on veut trouver une approche commune pour répondre efficacement à la mission que Dieu a confié à l’Église. Du côté social, le témoignage de l’Église joue un rôle prophétique. Elle ne doit pas taire sa voix sur des sujets d’intérêts communs car elle fait partie de cette société. Par exemple, en participant au processus de réconciliation à Madagascar, l’Église témoigne que la voie de Dieu n’est pas celle où on s’entre-tue pour des raisons politiques ou pour n’importe quelle autre raison. Le synode est aussi un espace de partage et de dialogue sur les sujets qui préoccupe la population dans nos îles. Dans cette structure provinciale, on échange nos expériences sur des difficultés et des réalisations et on porte ensemble nos fardeaux et nos joies. Malgré la distance, on se sent uni dans cette structure provinciale.
Que souhaitez-vous au nouvel archevêque, qui sera élu demain ?
Je ne veux pas avoir la prétention de donner des conseils à qui que ce soit. Je souhaite que ce nouvel archevêque continue à construire sur ce qui a déjà mis en place tout en apportant des choses nouvelles dans son ministère pour le développement à tous les niveaux de la Province. Qu’il soit aussi sensible à la question de l’unité et continue le travail commencé dans cette direction. J’en profite pour lancer un appel aux évêques de soutenir le nouvel archevêque dans son ministère.
 

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