Mme Marjaana Sall : « L’Union européenne reste le principal partenaire commercial de Maurice »

Mme Marjaana Sall, ambassadrice et chef de la délégation de l’Union européenne auprès de la République de Maurice et de la République des Seychelles, est arrivée au terme de son mandat de quatre ans. Après avoir intégré le ministère des Affaires étrangères de la Finlande en 1997, Marjaana Sall a fait carrière au sein de la diplomatie de son pays à la mission permanente de la Finlande aux Nations unies, puis comme ambassadrice adjointe en Indonésie. Mme Sall a travaillé pendant dix ans en Afrique, d’abord à la mission finlandaise en Afrique du Sud, puis au sein de la délégation européenne au Kenya avant d’être nommée à Maurice, en 2015. Avant de rentrer en Finlande, elle a accepté de faire le bilan de son mandat à Maurice. Précision : en raison de l’emploi du temps extrêmement chargé de Mme Sall, l’interview qui suit a été réalisée par courriel.

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Existe-t-il une ou des différences entre la politique étrangère de l’Union européenne et celle de ses pays membres ?

– La politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne (UE) a été renforcée au cours de ces dernières années pour permettre à l’UE de devenir un acteur plus important sur la scène internationale. Le Traité de Lisbonne a permis la création du poste de haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité qui est chargé de conduire l’action extérieure de l’UE en s’appuyant sur un réseau diplomatique de 140 délégations, dont fait partie la délégation à Maurice. Les États membres gardent néanmoins un rôle prépondérant dans la définition de la politique étrangère de l’Union européenne. La règle générale pour le processus décisionnel reste l’unanimité du Conseil européen et du Conseil de l’UE. En ce qui concerne ce dernier, le Conseil des affaires étrangères réunit une fois par mois les ministres des Affaires étrangères des Etats membres sous la présidence du haut représentant. Il s’est réuni la semaine dernière et au terme de la réunion. IL a notamment adopté des conclusions sur les priorités auxquelles l’UE et ses Etats membres accorderont une importance particulière à la 74e Assemblée générale des Nations unies. Ici, à Maurice, la délégation représente l’Union européenne et ses politiques, y compris la politique étrangère, sur le plan local. Elle coordonne également l’action de l’UE avec les Etats membres accrédités auprès de la République de Maurice.

Quelle est la position officielle de l’Union européenne dans le contentieux qui oppose Maurice à la Grande-Bretagne sur le dossier des Chagos ?

– L’UE est un ardent défenseur d’un ordre international fondé sur des règles. Elle continuera à rechercher une coopération étroite dans tous les domaines des relations internationales afin de préserver la paix, prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale, conformément aux objectifs et aux principes de la Charte des Nations unies. Toutefois, l’UE n’a aucune compétence pour intervenir aux Nations unies sur des questions qui relèvent de la compétence exclusive des Etats membres, comme les relations entre un État membre et un pays tiers.

Si, dans le cadre de ce contentieux, la Grande-Bretagne prend des mesures économiques ou autres contre Maurice, quelle sera la position de l’Union européenne ?

Je ne pense pas que ce soit mon rôle de spéculer sur un sujet qui relève des relations bilatérales entre la République de Maurice et un Etat membre.

De quelle manière les bouleversements que vit actuellement l’Union européenne — dont le Brexit et les changements politiques à la tête de ses institutions — pourraient-ils affecter Maurice ?

– L’UE restera un partenaire fiable et crédible de Maurice dans les années à venir. Nous sommes en discussion avec les 79 pays d’Afrique Caraïbes Pacifique (ACP), y compris avec Maurice, sur le futur de notre partenariat, lorsque l’accord de Cotonou arrivera à échéance en 2020. Par ailleurs, pour le prochain budget de l’UE, la Commission européenne a proposé d’augmenter le budget de l’action extérieure de 30 %. Ce n’est qu’une proposition et elle doit être approuvée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. C’est le signe que l’UE est déterminée à renforcer son rôle sur la scène internationale en tant qu’acteur fiable, réactif et prévisible, tant sur le plan politique que sur le plan financier. Par ailleurs, il y a une majorité pro-UE au sein du nouveau Parlement européen, ce qui signifie que nous pourrons compter sur un Parlement constructif et engagé pour le prochain cycle institutionnel, au cours duquel le budget européen sera voté.

La vague populiste constatée en Europe depuis des années, et plus particulièrement aux dernières élections européennes, va-t-elle ou peut-elle affecter fondamentalement le fonctionnement de l’UE ?

– C’est vrai qu’avant la tenue des élections européennes en mai dernier, il y avait beaucoup de prédictions sur l’avancée des partis eurosceptiques et populistes et sur l’impact de cette avancée sur le nouveau Parlement européen. Cependant, on a vu que ces prédictions ne se sont pas réalisées. Bien que les partis eurosceptiques et populistes aient progressé dans certains Etats membres, on voit au Parlement qu’il existe une majorité pro-UE claire. C’est une bonne nouvelle pour l’UE ! Les gagnants de ces élections sont ceux qui veulent travailler dans l’Europe et pour l’Europe.

Durant ces dernières années, l’existence même de l’UE a été remise en question de manière assez violente en Europe, certains dirigeants l’attaquant frontalement. Les critiques contre les « technocrates qui dirigent l’Europe depuis leurs bureaux de Bruxelles sans connaître les caractéristiques et les réalités du terrain » se sont également multipliées. En tant que cadre de l’UE, comment avez-vous vécu ces attaques et ces critiques ?

– Les leaders européens sont bien conscients de ces critiques. C’est la raison pour laquelle, à la veille des élections européennes de mai, une vaste campagne intitulée “L’Europe et moi” a été menée pour répondre aux préoccupations des citoyens européens et leur montrer ce que l’UE signifie concrètement dans leur vie de tous les jours. Et je pense que le résultat est là : le taux de participation aux élections, le plus élevé en 20 ans, témoigne de la participation active des Européens qui s’engagent, qui participent et qui veulent façonner l’avenir de l’Union. Quant à moi, je pense que s’il y a autant de critiques, c’est qu’il faut davantage informer les citoyens européens sur les avantages de l’UE. Par exemple, nous pouvons circuler librement, étudier et travailler dans l’UE. Grâce au marché unique, les consommateurs ont un plus grand choix de produits à des prix plus bas. Chaque jour, plus de 30 millions de citoyens européens utilisent une monnaie unique, ce qui leur permet d’éviter fluctuations de taux de change et frais de transaction. Ce sont là certains des avantages qu’offre l’UE. Il y en a beaucoup d’autres. Il ne faut pas oublier que l’UE a apporté 60 ans de paix aux citoyens européens, pour les jeunes générations, c’est un acquis. Mais pour leurs parents et leurs grands-parents qui ont connu la guerre, c’est important. L’UE a d’ailleurs reçu en 2012 le Prix Nobel de la Paix pour sa contribution majeure à la paix en Europe. Je pense qu’il faut également réformer l’UE pour correspondre davantage aux attentes des citoyens. Une réflexion dans ce sens est en cours.

Durant votre mandat, vous vous êtes engagée en faveur de l’égalité de la Femme dans tous les domaines. A la veille de votre départ, avez-vous le sentiment que des progrès ont été enregistrés dans ce domaine à Maurice ?

– Nous avons beaucoup travaillé pour faire avancer l’égalité des sexes et la lutte contre toute forme de discrimination. Le dialogue de haut niveau que nous avons établi avec le gouvernement est une avancée majeure. J’ai eu l’occasion, en mai dernier, de coprésider avec la vice-Première ministre la deuxième réunion de haut niveau pour établir un bilan des progrès que nous avons accomplis. Nous poursuivrons ce dialogue pour voir ce que nous pouvons faire concrètement pour faire avancer les choses dans ce domaine. A la législation, l’UE a soutenu le gouvernement pour l’élaboration du Gender Equality Bill, du Children’s Bill et du Adoption Bill, et j’espère que ces projets de loi seront bientôt adoptés par l’Assemblée nationale. Ce sont des projets de loi importants qui peuvent constituer une avancée majeure en matière de promotion des Droits des femmes et des enfants. Il est certain que le gouvernement a un rôle important à jouer pour l’égalité des sexes, pour la protection de l’enfance. Cependant, le secteur privé, la société civile et tous les citoyens ont aussi un rôle à jouer. C’est pour cela que nous avons lancé, le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, une campagne intitulée “Rise and Shine” qui met en lumière dix ambassadeurs, dont Jane Constance et Noémi Alphonse. La campagne vise à continuer à sensibiliser la population sur l’importance de protéger les Droits de l’homme, de lutter contre toutes les formes de discriminations et de promouvoir l’égalité des genres. Mais c’est vrai qu’il reste encore beaucoup à faire.

Quels sont les autres secteurs que vous avez privilégiés durant votre mandat ?

– Le premier secteur c’est la lutte contre le changement climatique. Nous avons établi un dialogue de haut niveau avec le gouvernement dans ce domaine. Nous finançons un projet d’adaptation au changement climatique pour un millier de petits planteurs. Nous accompagnons également la transition écologique des petites et moyennes entreprises. Nous soutenons aussi la Mauritius Tourism Authority pour contribuer à faire de Maurice une destination verte. Un autre secteur, c’est le commerce et les investissements. Nous avons soutenu le National Electronic Licensing System qui a été lancé en mars dernier. Le système va permettre de diminuer le temps nécessaire pour les entreprises d’obtenir des permis d’exploitation et des licences. Une fois pleinement opérationnel, il facilitera la façon de faire les affaires à Maurice. Autre secteur important avec lequel nous travaillons à Maurice et les pays de la région depuis plus d’une décennie : la sécurité maritime. Notre soutien a d’ailleurs contribué, à travers le programme de sécurité maritime MaSe (mis en œuvre en partie par la Commission de l’océan Indien), à la signature de deux accords importants qui vont permettre aux pays de la région de renforcer leur coopération maritime en matière d’échange et de partage d’information maritime et de coordination d’opérations conjointes en mer. Une de mes priorités pendant mon mandat a été de consolider les relations politiques autour du dialogue politique annuel. Nous avons eu, lors du dernier dialogue en juin, des discussions sur comment promouvoir les valeurs que nous partageons, en particulier la démocratie, l’état de droit, la protection des Droits de l’homme et comment mieux coopérer sur la scène internationale. Encourager la prise de positions communes sur la scène internationale est d’ailleurs au cœur des négociations sur le futur partenariat de l’UE avec les pays ACP. Ensemble, l’UE et les ACP représentent plus de la moitié des pays membres des Nations unies et plus de 1, 5 milliard de personnes. En unissant leurs forces, ils peuvent faire la différence dans les enceintes internationales.

Le budget alloué par l’UE à Maurice dans le cadre de la coopération a-t-il diminué ou augmenté au cours des dernières années ?

– Maurice est maintenant un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. C’est donc logique que notre partenariat ait évolué. Le partenariat va au-delà des relations donateur-bénéficiaire et englobe des liens commerciaux solides et des relations politiques bien établies. La coopération au développement sous forme de subventions est certes encore un aspect de nos relations. Nous finançons des programmes pour la République de Maurice pour un montant important de 50 millions d’euros (2 milliards de roupies). Nous avons récemment signé un programme pour accompagner le processus de modernisation de Maurice dans l’éducation tertiaire, la recherche et l’innovation. Maurice bénéficie aussi de la coopération régionale. Nous préparons en ce moment un nouveau projet pour soutenir les entrepreneurs de la région, en particulier les femmes et les jeunes. Le secteur privé a un rôle clé à jouer dans la mise en œuvre de l’Agenda pour le développement durable, à l’horizon 2030. C’est la raison pour laquelle nous sommes engagés, à Maurice, pour mobiliser des investissements stratégiques (avec des financements innovants, tels que le blending – qui implique prêts et subventions)-, renforcer l’environnement des entreprises et le climat d’investissement et aider le pays à exploiter pleinement le potentiel de l’intégration économique et des échanges commerciaux. A ce sujet, je pense qu’il est important de dire que l’UE reste le principal partenaire commercial de Maurice. Nous sommes également la principale source d’investissements directs étrangers et d’arrivées touristiques. L’Accord de partenariat économique que nous avons signé en 2009 offre à Maurice un accès au marché européen sans quota ni droit de douane. Et Maurice et les autres pays signataires de l’accord pour la région d’Afrique orientale et australe ont confirmé leur volonté de développer davantage le partenariat. Ils ont ainsi confirmé leur volonté d’envisager l’approfondissement de l’accord sur des sujets tels que les services, les investissements, l’agriculture, et les droits de la propriété intellectuelle.

Avez-vous le sentiment que les Mauriciens connaissent suffisamment l’UE et son fonctionnement ?

– Dès le début de mon mandat, j’ai mis l’accent sur la communication afin de faire connaître aux Mauriciens les valeurs de l’UE et l’impact de notre action sur le développement du pays. J’ai le sentiment que les Mauriciens connaissent mieux l’UE, en tout cas son action à Maurice et dans la région. Cependant, nous devons continuer à communiquer et à informer, en particulier les jeunes, sur l’UE, ses valeurs, ses politiques, ses actions, mais aussi sur les nombreuses opportunités qu’offre l’UE.

En savent-ils assez pour tirer parti des possibilités offertes par l’UE dans le domaine de la coopération et du développement ?

– Je pense que les organisations de la société civile et le secteur privé connaissent les opportunités offertes par l’UE, en matière d’appels à projets pour les premiers ou d’opportunités commerciales pour les seconds. Nous avons facilité notre communication, y compris sur notre page Facebook, pour atteindre le plus grand nombre. Mais, votre question me donne aussi l’occasion de parler de ce qui, selon moi, est l’une des plus belles réussites de l’UE : le programme Erasmus. Ce programme a une portée internationale et permet aux étudiants, y compris les étudiants mauriciens, de poursuivre une partie de leurs études dans des universités européennes. Il donne aussi la possibilité aux enseignants mauriciens d’effectuer des missions dans des universités en Europe. C’est un programme que nous allons continuer à promouvoir auprès des établissements d’éducation tertiaire et des jeunes à Maurice et à Rodrigues.

La complexité technique des dossiers à remplir pour le financement d’un projet ne décourage-t-elle pas les petites ONG, qui n’ont pas les moyens d’avoir recours à un expert pour remplir les formulaires nécessaires ? Autrement dit, ne faudrait-il pas simplifier les procédures pour plus d’efficacité ?

– Les procédures sont strictes car l’UE octroie des subventions et non des prêts. Ces subventions sont financées grâce aux contribuables européens. C’est donc logique qu’il y ait des procédures et des règles strictes. Ces procédures et ces règles sont en vigueur dans l’ensemble de nos pays partenaires, et pas seulement à Maurice. Je dois dire qu’à Maurice et à Rodrigues, de nombreuses organisations de la société civile, quelle que soit leur taille, ont participé aux divers appels à projets de l’UE. Dans le cadre du Decentralised Cooperation Programme, plus de 500 projets de la société civile ont ainsi pu être financés et mis en œuvre. A la Délégation, nous accompagnons les organisations de la société civile tout au long du processus. Nous organisons des séances d’informations sur les appels à projets : nous avons d’ailleurs organisé des séances d’informations à Maurice et à Rodrigues la semaine dernière pour un nouvel appel à projets. Les organisations de la société civile ont jusqu’au 30 septembre prochain pour soumettre leurs projets. Ces organisations ont l’occasion jusqu’à la soumission de leurs projets de poser des questions à la Délégation. Nous les accompagnons également durant la mise en œuvre de leurs actions.

Votre bilan de votre mandat à Maurice ?

– Je pense que nous avons fait avancer le partenariat à tous les niveaux, politique, commercial et la coopération au développement.

Le fait d’être une femme vous a-t-il aidée ou desservi dans votre tâche ?

– Je ne me suis pas vraiment posé cette question. Je fais mon travail tout simplement.

Qu’est-ce qui vous a surprise agréablement durant votre séjour à Maurice ?

– J’avais déjà une bonne impression de l’île et de ses habitants avant de prendre mon poste en septembre 2015. Mais j’ai été impressionnée par le dynamisme des Mauriciens, en particulier du secteur privé. J’ai également été impressionnée par la nature et la beauté de la mer.

Quel est le plus mauvais souvenir de ce séjour ?

– Je dirais que vous avez un formidable capital naturel et je pense qu’il faut davantage sensibiliser la population sur l’importance de protéger l’environnement.

Quelle sera la suite de votre carrière ?

– Je repars dans mon pays, la Finlande, où je vais poursuivre ma carrière de diplomate au ministère des Affaires étrangères.

Que souhaitez-vous dire pour conclure cette dernière interview en tant qu’ambassadrice de l’Union européenne à Maurice ?

– Je me sens privilégiée d’avoir été ambassadrice de l’Union européenne à Maurice. Ce fut une expérience très enrichissante tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel ! Au cours des quatre dernières années, j’ai beaucoup appris sur les défis et les opportunités que représentent les océans pour des petits Etats insulaires tels que Maurice. Cela confirme l’importance et la nécessité d’une gouvernance internationale pour des océans sûrs, des océans propres, gérés de manière durable.

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