MORIS DIME : Dessiner les mots de l’espoir…

L’artiste typographe belge Denis Meyers a séjourné à Maurice début août pour ajouter une nouvelle fois sa touche au projet Moris Dime. Les murs extérieurs de la Beachcomber training academy (BTA) s’en souviennent, maintenant qu’ils sont couverts de mots-clés bombés ou peints et de grands visages croqués par l’artiste, dans lesquels nombre des enfants et adolescents qui ont participé à l’opération se reconnaîtront. Le mot chez lui devient motif, matière et plate-forme d’échanges. Une démarche artistique tournée vers autrui à laquelle des jeunes qu’accompagnent la Fondation Espoir et Développement (FED) et l’association Safire ont adhéré avec enthousiasme.
Un rendez-vous avec Denis Meyers se conçoit difficilement sans carnet… À peine avez-vous, pour les besoins de l’interview, posé vos stylo, calepin et autre dictaphone sur la table, qu’il vous dévisage déjà avec une avidité intimidante, crayon et carnet en main, pour croquer votre portrait. Cela fait vingt ans qu’il remplit ainsi ses carnets d’esquisses, de mots et de pensées, qui immortalisent les innombrables rencontres qui jalonnent son parcours d’artiste-typographe, comme il tient à se présenter.
La plupart des fresques qu’il réalise sont liées à la rencontre et au partage, et s’il choisit le plus souvent le mot comme motif, c’est qu’il le fait vibrer : « Je peins des mots, des verbes, des noms, des pensées, ça me fait vivre en fait. La lettre est importante dans ma démarche, et qui dit lettres, dit mots. Les mots offrent une capacité d’interprétation que l’image n’a pas. Les pensées, les phrases, les citations ouvrent sur des tas d’interprétations possibles. Elles créent un espace de liberté pour l’imagination du regardant. Pour moi, le mot exerce une force et une volonté d’interaction que je ne retrouve pas dans l’image, ou différemment. »
L’artiste de Tournai se revendique typographe pas seulement parce qu’il a été formé à ce métier à l’École nationale supérieure des Arts visuels de la Cambre, ni parce que son grand-père, avec qui il a fait ses premiers dessins, est le célèbre affichiste Lucien de Roeck, mais bel et bien parce qu’il a fait de la typographie manuelle, son territoire d’expérimentation et de création. Et s’il peint des fresques sur de grands pans de murs, s’il emprunte aux techniques du graffiti, il ne se considère pas pour autant comme « street artist » dont les pratiques relèvent généralement des sphères underground.
Un des derniers grands projets qu’il a eu l’occasion de faire a consisté à recouvrir les murs de la première usine, et de l’ancien siège social de Solvay en Belgique, un lieu où de nombreux scientifiques, physiciens et autres chimistes se sont rencontrés. « Je n’aurais pas eu accès à cet espace s’il n’avait pas été voué à la démolition. » Il lui reste de nombreux carnets et photographies de ce projet intitulé Remember/Souvenir, qui s’est étalé sur dix-huit mois passés à peindre et bomber, y compris à l’aide d’un extincteur pour les plus grandes lettres, dans le froid du nord de l’Europe. Le bâtiment a été détruit récemment.
Philosophie de l’éphémère
« L’éphémère, nous explique-t-il, m’a permis de me dégager du rapport matérialiste à mon travail. Ça me fait relativiser sur mon expression, mon statut d’artiste et mon importance aussi. En Europe, l’artiste est très valorisé, mais personnellement, je ne me considère pas plus important qu’un boulanger par exemple, et je comprends très bien qu’au fin fond du Sahel, on s’en foute de la peinture et de l’art… » Le peintre typographe s’efforce toujours de trouver une utilité sociale à ses activités, comme il le fait ici pour Moris Dime, comme il l’a fait pour l’ONG Action Sénégal, qui travaille avec les enfants-esclaves. « On vient de récolter € 100000 grâce à une vente aux enchères », se réjouit-il.
Si le projet Solvay s’est déroulé en solitaire pour un nécessaire ressourcement, il travaille plus souvent avec d’autres artistes à l’instar de sa collaboration en cours avec Gaël Froget, ou avec des gens comme vous et moi qui lui inspirent les mots et images qu’il inscrira sur toutes sortes de surfaces. Récemment au Royal Palm, il a dessiné en body painting un texte de Robert Desnos le corps de femmes devenues ainsi le support d’une oeuvre d’art éphémère. Les promeneurs du front de mer de Mahebourg peuvent depuis décembre 2016 regarder — et même lire — sa première fresque mauricienne qui couvre la façade de l’ancien Community centre, avec les visages devenus géants de deux petites filles qui venaient d’entrer dans son carnet.
À Trou-aux-Biches, pour la Beachcomber training academy, il a commencé son atelier de plein air, par un échange avec les enfants et adolescents du centre de formation et de Safire. « Quels mots aimez-vous ? Quels mots souhaitez-vous voir en grand sur les murs de votre pays ? » À cette question, les réponses fusent très vite comme un appel : espoir, respect, Pamplemousses, humain, courtoisie, puis des prénoms en pagaille tous plus chantant les uns que les autres. Denis Meyers a ensuite demandé à Illona, une petite assistante de 9 ans désignée sur-le-champ, de choisir les enfants qu’il allait ensuite dessiner, pour les représenter ensuite sur les murs…
L’artiste a ensuite enfilé ses gants de protection, puis il s’est saisi de ses bombes et pinceaux pour peindre en grand, dans tous les lettrages qui font son style, cette récolte de mots et de visages caractéristiques du melting-pot mauricien.  Ce partage qui paraît gentillet et plein de bons sentiments, crée en fait du lien social et une synergie autour d’une réalisation dont le propos n’est autre que valoriser une jeunesse, qui a été malmenée par la vie, et renforcer sa confiance en elle-même. Ces enfants et ces adolescents de 6 à 18 ans se souviendront longtemps de ces quelques jours passés à inscrire en grand et à la face du monde, les mots qui les faisaient rêver pour le cinquantième anniversaire de l’Indépendance de leur pays.

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