MORIS DIME | FINN ARIVE YER—MAURICE LESAGE: l’oubli, rançon du crime d’honnêteté

En ce 23 novembre 2017, Maurice Lesage aurait fêté ses 94 ans. Ils sont peu à s’en souvenir: ses trois enfants, ses proches et quelques amis, tous conscients qu’avec le temps, le cruel oubli reprendrait ses droits, portant le coup de grâce à ce tribun exceptionnel qui ne vivait que dans leurs mémoires.
Député de Quatre-Bornes de 1963 à 1976, ô combien aurait-il pu être une inspiration pour l’ensemble des candidats à l’élection partielle du 17 décembre prochain. Ceux-là sont chanceux car la révolution informatique déjoue les mystères de l’au-delà et permet de faire entendre la voix de Maurice Lesage dans les débats. Dans ce contexte, nous, ses amis, avons jugé éminemment souhaitable de rompre ce silence auquel la pudeur nous avait jusqu’ici astreints pour partager sa philosophie, véhiculer ses idées, exposer ses combats.?À charge pour tout un chacun, politicien comme citoyen, d’en tirer profit.
Mais non moins importante, notre démarche vise aussi à prendre à contre-pied Victor Hugo qui, parlant des derniers proches de ceux ayant entrepris le dernier voyage dans son magnifique poème Oceano Nox, écrivait:
« Et quand la tombe enfin a fermé? leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms,? pas même une humble pierre
Dans l’étroit cimetière où l’écho? nous répond,
Pas même un saule vert qui? s’effeuille à l’automne,
Pas même la chanson naïve? et monotone
Que chante un mendiant à l’angle
d’un vieux pont! »
Oui, interdire l’oubli pour?    que Maurice ne meure pas?    une seconde fois.
Un site web (www.maurice-lesage.info), visant à faire vivre sa mémoire, est donc lancé en ce jour et nous invitons tous ceux et toutes celles se sentant interpellés à y apporter leur contribution. Dans cette attente, nous jetons pêle-mêle quelques éléments qui rappelleront la stature de cet homme qui fut fonctionnaire, professeur de grec et de latin au Collège du Saint-Esprit (où il eut pour élèves d’illustres Mauriciens comme Mgr Maurice Piat) et aussi syndicaliste où il côtoiera sir Dayendranath Burrenchobay, ex-Gouverneur général, avant de jeter tout son poids dans le combat politique. Un combat qu’il livrera sans compromission aucune, guidé par une rectitude morale hors du commun, s’appuyant sur des valeurs immuables sur lesquelles il ne transigera jamais à l’instar de son profond attachement à la liberté, animé de fortes convictions dont, toutefois, il ne fut pas prisonnier, aidé puissamment par un incontestable don d’orateur et une époustouflante érudition.
Maurice Lesage fit son entrée au Parlement en 1963 sous la bannière du Parti Mauricien, alors mené par son leader historique, Jules Koenig. Coup d’essai, coup de maître! Il se fera de nouveau élire en 1967, toujours chez les Bleus devenus le PMSD, mais désormais sous le leadership d’un jeune et brillantissime avocat dont le charisme bouleversera le paysage politique, Gaëtan Duval. L’opposition de Maurice Lesage à la coalition Gaëtan Duval/sir Seewoosagur Ramgoolam scellée par des émissaires de France – malgré l’épisode « Je refuse qu’on vous donne du pain pour vous passer ensuite les menottes » – provoquera son éloignement de la direction du PMSD. Il sera parmi ceux à s’opposer au principe même de cette coalition. Raymond Rivet refusa de se joindre à cette coalition, décriant les conditions qui y étaient attachées bien qu’il souscrivît à son principe. Son mérite n’en est pas pour autant diminué. Maurice Lesage franchira le Rubicon quand sera voté la Public Order Act en 1970 (qu’il avait baptisée Public Ordure Act), loi scélérate qui marquera le début d’inqualifiables atteintes à notre démocratie, une répression sans précédent, une infâme censure de la presse (on se rappellera les pages blanches du groupe Le Mauricien Ltée qui sera aussi asphyxié financièrement par le boycottage de la publicité gouvernementale, mais aussi celui d’un secteur privé à l’échine souple, contraignant André Masson, son rédacteur en chef à l’exil !) et la détention d’adversaires politiques sans aucun procès (Paul Bérenger lui écrira d’ailleurs de la prison pour solliciter son aide dans une perspective de front commun de l’opposition), entre autres.
Maurice Lesage créera alors, avec d’autres dissidents du PMSD, l’Union démocratique mauricienne (UDM), portée sur les fonts baptismaux par la répression. Il en sera le premier leader tout en assumant concurremment les responsabilités de leader de l’opposition. Il y confirmera son exceptionnelle envergure et son incomparable culture, léguant au passage un riche héritage comprenant des réflexions qui, aujourd’hui encore, conservent toute leur pertinence.
Maurice Lesage pratiquait d’abord une liberté dans le parti. « A l’UDM on n’a pas suspendu les droits de l’homme », répondait-il pour encourager le débat contradictoire mené par Raymond Rivet. Et quand Paul Bérenger, Dev Virahsawmy et d’autres camarades du MMM furent incarcérés sans procès, il monta au créneau, démontrant qu’il appliquait ses principes à ses adversaires politiques également: ?« Nous demandons au gouvernement de les libérer. Il n’est pas possible que des gens, à cause de leur appartenance politique, soient internés. » ?D’ailleurs, le quotidien Libération qu’il aida à publier en 1975 pour soutenir l’action de l’UDM avait pour leitmotiv « Il faut libérer la liberté ». Les moins jeunes se rappelleront les polémiques qui opposaient deux sommités, notamment la fine plume d’André Masson, le rédacteur en chef du Mauricien, à celle, redoutable, de son frère Hervé qui exerçait dans l’organe du MMM. Autres temps, autres moeurs.
Certains disaient, à juste titre, que ses interventions à la Chambre étaient « …écrasantes de sincérité, de vérité… », Sophia le décrivait dans Le Mauricien comme « …sans peur et sans reproche… » et sir Dayendranath Burrenchobay, soutenait: « He was a model of clarity of mind, of intellectual honesty. He was fearless, uncompromising towards anything that was second-grade and shoddy. » Sir Maurice Rault, lui, écrivait sans fioriture « …ces électeurs l’ont condamné pour un crime que la politique ne pardonne guère: le crime d’honnêteté. » Tandis qu’Uttama Bissoondoyal avait trouvé les mots justes: « Ces hommes ne meurent jamais. »
Oui, c’est le privilège de ceux porteurs de valeurs universelles qui transcendent le temps: démocratie, droits de l’homme, justice sociale. D’ailleurs, son cheminement idéologique lui fit faire de la participation au capital et à la gestion son cheval de bataille. Il y voyait le juste équilibre entre le capitalisme source d’exploitation de l’homme par l’homme et le communisme qui, de fait, l’asservit au nom d’un illusoire bonheur du peuple dans une conception matérialiste de l’univers. Il laissait là parler aussi son coeur car, disait-il, la participation réconcilierait les impératifs moraux aux exigences de l’économie, assurant un maximum de dignité à un maximum de personnes. Ce caractère humaniste, il l’aura démontré, de multiples façons, mais nous ne prendrons que trois exemples: à sir Gaëtan Duval, qui lui reprochait d’avoir partagé son amertume avec sir Seewoosagur Ramgoolam du fait d’une proximité de Guy Ollivry, alors leader de l’UDM, avec Paul Bérenger, il répliqua « Un hédoniste politique ne comprendra jamais un geste humain! ».
G.E. nous apprend aussi, dans Le Mauricien, que « Maurice fit parvenir des mots réconfortants à son irréductible adversaire, sir Gaëtan Duval, tandis qu’affaibli et délaissé par d’autres amis que l’adversité avait détournés, il se débattait dans le prétoire du tribunal de Flacq ». Et finalement, suite à la débâcle des élections générales de 1976 qui lui fit dire: « J’accepte le verdict de l’électorat comme j’accueille chaque aurore. » (Ah! Quelle classe! Quelle finesse!), il envoya dès le lendemain de la joute un bouquet de fleurs à Monique Dinan, une candidate battue, qui y vit : « …Délicatesse de votre geste pour remercier d’avoir rallié votre équipe et pour vous excuser en même temps de nous avoir menés à la défaite… Merci Maurice d’avoir porté bien haut le flambeau de la probité et de l’engagement. »
Maurice Lesage nous quittera ce fatidique 23 mai 1992 après avoir tant donné. Pardon, tout donné! Sans rien attendre en retour. Il nous appartient maintenant de lui rendre justice en perpétuant sa mémoire.

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