Mubarak Sooltangos : « Il y a beaucoup d’hypocrisie dans ce pays »

Mubarak Sooltangos, qui était dans l’actualité il y a quelques mois en soutenant son amie Ameenah Gurib-Fakim dans l’affaire de la Platinum Card, vient de publier un livre intitulé « Business Inside Out », dans lequel il aborde des problèmes inhérents aux entreprises. L’auteur, qui a eu une longue carrière dans le milieu bancaire et corporatif, assène quelques vérités dans l’interview qui suit et tord le cou à certaines idées reçues. Il fait part de sa façon de penser sans détour aux CEO, banquiers et autres. Aujourd’hui consultant en stratégie et management, il clame avoir « redressé une quinzaine d’entreprises en difficulté sans jamais licencier un seul employé ».

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Vous avez eu une longue carrière dans le secteur privé, notamment chez Happy World Foods. Avez-vous puisé dans votre expérience pour rédiger votre livre ?

J’ai eu une carrière de 18 ans en banque, dont 14 ans à un niveau hiérarchique élevé. Puis j’ai été chef d’entreprise pendant 20 ans. Lorsque j’ai quitté Happy World Foods à l’âge de la retraite, j’ai été consultant pendant dix ans, principalement pour améliorer la rentabilité des entreprises et j’ai redressé les compagnies en difficulté. J’ai ma propre recette pour cela et je crois qu’elle est unique au monde. Car dans le monde entier, à chaque fois qu’on redresse une entreprise, c’est généralement les comptables qui s’en chargent et ils ont une “cost approach”. Lorsqu’une entreprise fait des pertes, c’est qu’elle a un coût de structures – le personnel, le bâtiment, les véhicules, etc. – qui est beaucoup trop cher pour ce que cela rapporte comme profit brut. Donc ce qu’elle fait, c’est jouer sur les coûts pour les faire baisser et malheureusement le premier coût qui est haché, c’est le coût du personnel, en licenciant des gens. Le paradoxe, c’est que ces entreprises doivent sauver leur affaire et leur premier sous-produit, c’est de la misère. C’est de l’amertume car des personnes perdent leur travail.

Moi, j’ai une approche différente. Lorsque j’arrive dans une entreprise en difficulté, j’essaie de dégager du “cash” autant que possible, et ce en travaillant par exemple sur le stock en excès et en regardant les clients qui doivent de l’argent à la compagnie. Je m’occupe aussi des actifs qui ne servent à rien. Je liquide tout cela et c’est ce qui me donne du “cash”. Avec cet argent, je travaille sur les moyens d’augmenter les ventes. La philosophie derrière, c’est que cette structure qui coûte cher, si elle rapporte Rs 100 millions de chiffre d’affaires, je la fais travailler plus dur pour rapporter Rs 120, Rs 130 ou Rs 140 millions. La recette est simple, faire travailler la structure (personnel, machines, véhicules, bâtiments) deux fois plus, sans addition d’actifs et de personnel. C’est toute la différence entre la “cost approach” et la “revenue approach”.

En théorie, cela semble simple. Encore faut-il pouvoir motiver le personnel deux fois plus pour atteindre ce résultat…
Écoutez, alors que le sous-produit de cette autre mentalité est de créer de la misère, avec ma méthode, aussitôt que les employés craignent pour leur emploi, ils sont motivés à travailler dur et, aussitôt que l’entreprise commence à reprendre un peu d’oxygène, les employés sont motivés à bloc. Ce sont deux mentalités différentes. Lorsqu’une entreprise est en difficulté, il faut fédérer et solidariser tous les gens pour travailler plus dur. C’est en les mettant à la porte que vous les démotivez. Et ceux qui restent se demandent quand viendra leur tour.

Qu’est-ce qui nous garantit que votre recette marche ?
J’ai redressé 16 entreprises dans ma carrière sans jamais détruire un seul emploi. Je ne connais aucune faillite dans ces entreprises. D’ailleurs, mon livre n’est que le fruit de mes propres expériences. Il n’y a aucun plagiat, aucun “copy & paste”. Tout est de ma propre expérience et je dois aussi dire que je n’ai lu aucun “business book” de ma vie. C’est maintenant que je commence à lire pour voir ce que ces messieurs disent et, bien souvent, on n’est pas du même avis !
Il y a de grands spécialistes tels que Stephen Covey et Robin Sharma, qui parlent chacun d’un sujet. Mon livre, lui, traite de 15 chapitres différents. Robin Sharma parle de leadership tandis que Michael Porter, de compétition, et Peter Drucker, de “man management”. Toutefois, moi je parle de 15 sujets, car j’ai l’expérience d’avoir mis la main à la pâte pendant 40 ans en gérant des entreprises et en les redressant.

Maurice est aujourd’hui dans le piège du revenu intermédiaire. Comment en sortir ?
Je vais être très dur… J’estime qu’il y a des fautes commises tant au niveau du gouvernement qu’au niveau du secteur privé. On aura beau dire que c’est le secteur privé qui roule le pays, c’est vrai… mais ils ne font que la moitié de ce qu’ils devraient faire, compte tenu des moyens qu’ils ont à leur disposition. Un seul exemple : pendant les cinq dernières années, les seuls gros développements qu’il y a eus dans le pays sont les “shopping malls”. Un centre commercial rapporte 2% à 3% de retour sur investissement. Si on est réduit à investir pour avoir 3%, c’est qu’on n’a plus d’idée. Le côté pervers de cette stratégie, c’est qu’elle crée des emplois lorsque les centres commerciaux sont en construction. Puis, c’est fini. Je prends l’exemple de Bagatelle, où il y a peut-être 500 à 700 personnes qui travaillent. C’est tout ce que cela a créé comme emploi. Un autre effet pervers des “shopping malls” : ils rendent le shopping de plus en plus cher car le loyer coûte très cher. Puis, vous savez, les gens sont “aspirational” dans le monde entier et rêvent toujours de quelque chose de plus haut, donc ils se laissent tenter par ce shopping très cher. Et dans un pays, où nous avons une balance commerciale catastrophique, je crois que c’est rendre un très mauvais service à l’île Maurice que de faire des centres commerciaux de ce niveau pour faire le shopping coûter de plus en plus cher.

Ces projets, dont vous parlez, suivent la politique du gouvernement, qui axe la croissance sur la consommation, notamment avec le salaire minimum et l’impôt négatif, sans oublier une stratégie de taux d’intérêt relativement bas. N’est-ce pas dangereux sur le long terme de privilégier la consommation ?
On peut baser la croissance sur la consommation. C’est François Mitterrand qui a commencé cela en 1981, mais il ne faut pas oublier que la France est un pays producteur. Nous, nous ne produisons pas grand-chose et on importe beaucoup. Donc, la croissance par la consommation nous appauvrit.
Il y a autre chose, personnellement je pense que le gouvernement investit beaucoup trop dans des choses qui ne sont pas utiles. Par exemple, le plus gros du développement se fait dans les routes. On aura beau dire qu’il faut des routes pour véhiculer les touristes jusqu’aux centres d’attraction, mais on est en train d’investir en avance par rapport à la demande. Or, Maurice n’est pas Singapour, ni Dubayy. Ce sont des pays riches comme ceux-là qui peuvent se permettre d’anticiper la demande. Maurice ne peut le faire. Pour nous, nous devrions attendre que la demande vienne avant d’investir dans les routes. Le problème, c’est qu’on investit en avance par rapport à la demande et ça, c’est dangereux. Je lance un appel au gouvernement de cesser avec cette pratique.

Comment alors résoudre le problème des embouteillages, qui fait perdre des milliards au pays chaque année ?
Dites-moi si les routes qui ont été construites traitent le problème d’embouteillage ? Prenons la “Ring road”, elle n’a rien à faire avec les embouteillages. La route qui mène de Mare-d’Albert à l’aéroport n’a absolument rien à faire avec les embouteillages. Il y a beaucoup de routes qui peuvent être citées en exemple. Maintenant, si on me parle de métro léger, je dis oui, mais surtout ne pas construire n’importe quelle route. Je le répète, on ne peut investir en avance en prévoyant la demande.
L’autre message que je voudrais faire passer, c’est que garder une roupie forte est une folie car nous avons des “weak fundamentals”, une “weak economy” et on ne peut se permettre le luxe d’avoir une roupie forte. Même la Chine a dévalué sa devise de temps en temps.

Qui est le responsable de cette roupie forte ?
C’est Monsieur Beenick ! C’est lui qui a commencé. Et je ne sais pas ce qui le motive, si c’est de la fierté ou de la vanité ou pour protéger le consommateur mauricien. Vous savez, nous avons vécu dans un régime de change flottant pendant 40 ans et le pays s’est très bien porté. Peut-être, me direz-vous, qu’avec une roupie qui se déprécie, les capitalistes, les chefs d’entreprise gagnent beaucoup d’argent, oui c’est vrai, mais ils réinvestissent pour créer des emplois. Pour vous donner un exemple concret, notre industrie hôtelière est le produit d’une roupie faible. Ce sont les profits réalisés par les groupes sucriers qui ont été investis dans l’hôtellerie et, aujourd’hui, on voit que l’hôtellerie est le premier pilier de l’économie.
Ici, les institutions – gouvernement, banque centrale et autres organismes – discutent ad vitam aeternam sur ce que sera le taux de croissance, si ce sera à 3,8% ou 4%. Moi, je vous dis d’oublier tout ça. Montrez-nous plutôt ce qu’il faut faire et où il faut investir pour avoir de la croissance, au lieu de discutailler de 0,2% ou 0,3%. Cela ne mène absolument à rien et c’est un discours intellectuel aride.

Le problème ne tient-il pas du fait que Maurice n’attire plus les investisseurs ?
Je crois que le problème, c’est qu’il y a beaucoup de freins à l’investissement étranger. Ce n’est pas facile pour un étranger de venir investir ici car il y a tellement de règlements. Obtenir les permis, c’est là où le bât blesse. “Permits are not forthcoming”.

Il y a une politique de taux d’intérêt très bas depuis ces dernières années car on nous dit qu’il faut soutenir la croissance. Y a-t-il vraiment un lien de cause à effet entre les deux ?
Le développement n’a rien à voir avec le taux d’intérêt. Moi, j’ai investi pendant toute ma vie et j’ai tout le temps oublié le taux d’intérêt. Vous savez, demain vous baissez le taux d’intérêt d’un point, ce n’est pas pour cela que je vais investir, je vais investir si j’ai une “business opportunity”, sinon je ne vais pas investir. Et je n’investirai pas, peu importe si le taux d’intérêt est à 1%, 2%, 3% ou 4%. Et même lorsque les taux d’intérêt montent, cela n’empêchera pas d’investir car si j’ai une idée dans laquelle je crois et qui peut me rapporter de l’argent au-delà du taux d’intérêt, je vais investir. Donc, le taux d’intérêt et l’investissement n’ont absolument aucun lien, sauf évidemment lorsqu’il devient punitif et qu’il arrive à 15%. À ce moment-là, cela coûtera cher d’investir.
Autre chose, on dit aussi que lorsque le taux intérêt est bas, cela encouragera l’épargne. C’est faux ! Je n’ai jamais vu un salarié couper sur sa dépense pour aller investir dans un compte d’épargne. En Suisse et au Japon, les taux d’intérêt atteignent 0% quelques fois et sont parfois même négatifs, et cela ne change rien à l’épargne. Donc là encore, le taux d’intérêt et l’épargne n’ont absolument rien à voir. C’est un discours d’économiste et, là aussi, on assiste à un show tous les trois mois avec le gouverneur de la Banque de Maurice, qui vient annoncer que le taux d’intérêt a baissé d’un quart de point. Un quart de point, ce n’est rien quand on investit par milliards. Quand on est un “risk taker”, on avale ce quart de point avec beaucoup de facilité. Ce n’est pas le taux d’intérêt ni la baisse du taux d’intérêt qui créera l’emploi ou assurera la croissance, c’est le “business acumen”.

Quelle est la recette alors pour relancer les investissements privés ?
La recette est simple, il faut devenir “investor friendly”. On ne peut pas, par exemple, aller en banque et attendre trois mois pour avoir un “loan”. On ne peut plus entrer dans une banque et voir 40 personnes devant nous à la caisse. Il ne peut y avoir de banques qui ne travaillent que pour ne pas perdre de l’argent, alors que leurs clients travaillent pour avoir du profit. C’est un partenariat avec des points de vue diamétralement opposés. Comment voulez-vous que cela fonctionne ? Comment trouver de la synergie dedans ? Par ailleurs, les banques sont terriblement “risk averse”, car elles se font beaucoup d’argent sur les transactions “offshore”, grâce aux compagnies qui passent par Maurice pour aller investir en Inde et qui tirent avantage de notre stabilité économique et politique, de la bonne réputation de notre centre financier et des traités fiscaux que l’on négocie avec l’Inde. Donc, beaucoup d’argent transite par le pays et les banques en tirent profit alors qu’elles ne veulent pas entendre parler du Mauricien qui souhaite créer son entreprise. Tout simplement parce que cela représente un risque. Il faut que cesse cette malhonnêteté. Si j’étais à la banque de Maurice, j’aurais peut-être obligé les banques à mettre 20% de leur “lendings” dans les projets approuvés par le gouvernement, c’est-à-dire les “startup”, “l’import substitution” et la promotion des exportations. Car il y a beaucoup d’hypocrisie dans ce pays et voila ce qui freine le développement. Puis, il n’y a aucune franchise. Un secteur privé vient vous dire, d’année en année, « oui, oui, c’est un budget de relance » alors qu’il ne croit absolument pas dans ce qu’il dit…. Dans ce cas, il vaut mieux se taire et ne pas venir dire des choses comme cela. Il faut avoir du courage et ne pas avoir peur car demain on n’aura pas tel permis. Il faut être courageux dans la vie. Prenons l’exemple de la banque de Maurice, elle doit être maîtresse de sa politique monétaire et ne doit pas recevoir d’ordre du gouvernement.

Doit-on en déduire que c’est le cas actuellement ?
Apparemment oui… De manière générale, je dirais qu’on n’a pas le droit de jouer avec l’économie pour avoir des votes car c’est une chose sacrée. Les votes aussi sont peut-être sacrés, mais il s’agit là d’un tout autre registre. Il ne faut pas faire un budget qui va dans le sens des votes. Encore une fois, il faut avoir du courage !

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