Nadia Daby Seesaram : « La mise en application de construction verte reste limitée à Maurice »

Le secteur de la construction a enregistré une croissance depuis trois ans, avec plusieurs projets de construction réalisés dans diverses régions du pays. Maurice, petit État insulaire en développement, est vulnérable aux changements climatiques, d’où la grande nécessité d’accorder de l’importance à l’environnement pour limiter les dégâts que peuvent causer les projets de développement. Présidente du Construction Industry Development Board (CIDB), Nadia Daby Seesaram, aussi Environmental Engineer et directrice d’Enviro-Consult, est d’avis que la mise en application de la construction verte est limitée à Maurice. De plus, la gestion des déchets et des eaux usées, selon elle, est loin d’être gagnée en raison de la passivité du secteur privé et public.

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Le secteur de la construction a connu une croissance depuis quelques années avec le nombre de projets que compte le pays. Quelle est votre analyse de la situation ?

Le secteur de la construction est le type même de l’industrie cyclique, pouvant passer en quelques années d’une croissance positive à négative et inversement. Après une croissance nulle en 2016, la croissance est passée à 7,5% en 2017 et 9,5% en 2018. La croissance à deux chiffres annoncée pour cette année ne se matérialisera pourtant pas; elle sera aux alentours de 8,6% selon le bureau des statistiques.

Cette cyclicité est directement liée au développement d’un projet qu’il s’agisse d’un grand projet d’infrastructure ou d’un projet immobilier. La phase de construction est l’étape ultime après celles de faisabilité technique et économique, de conception, d’évaluation, de réévaluation, d’obtention des permis et enfin l’appel d’offres et l’attribution du marché au contracteur.

Quels sont les défis que rencontrent les promoteurs de projets de construction lorsqu’il s’agit de la protection de l’environnement ?

Développer des projets, donc développer l’économie tout en maîtrisant son impact sur l’environnement porte un nom : le développement durable. Sa définition est connue de tous : « C’est une forme de développement économique ayant pour objectif principal de concilier le progrès économique et social avec la préservation de l’environnement, ce dernier étant considéré comme un patrimoine devant être transmis aux générations futures. » La notion de développement durable nous mène directement à celle de la construction durable (ou construction verte – Green Building). Il est regrettable que sa mise en application reste limitée à Maurice, surtout du fait du surcoût que cela amène en général à un projet. Par contre, l’efficacité énergétique, une des composantes du développement durable, a du succès car il entraîne le plus souvent un coût d’opération inférieur. Ce même principe est applicable à la ressource en eau potable. En ce qui concerne la gestion des eaux usées ou à la gestion des déchets, nous sommes malheureusement très en retard du fait de l’inertie de l’ensemble des acteurs publics et privés.

Pour un petit territoire comme Maurice, nous constatons plusieurs projets de développement à travers le pays. C’est un fait que nous devons considérer l’aspect environnemental pour chaque projet. Mais qu’en est-il lorsque le projet se trouve dans une région encore vierge et que le développement à apporter nécessite d’intenses travaux ? Comment réconcilier ces travaux et l’aspect environnemental ?

Un projet ne peut être conçu et réalisé en isolation, car il lui faudra en toute logique être connecté aux infrastructures et services (routes, transports en commun, électricité, eau, eaux usées, collecte des déchets, technologie de l’information, etc.). Même un développement écotourisme devra être connecté à un certain degré. L’approche adoptée dans tout plan d’occupation des sols est d’abord une densification à l’intérieur des limites d’une zone de développement existante, et/ou son expansion avant de considérer un développement dans un lieu plus reculé. Ce n’est pas pour autant que nous pouvons a priori n’autoriser que des développements en lien avec une zone de développement existante. La disponibilité des terres développables se restreint et il est vrai que les grands projets sont développés sur des grands espaces souvent indisponibles ailleurs que dans des lieux plus reculés et attractifs. Il n’en reste pas moins qu’une évaluation multicritère est impérative afin de statuer sur la viabilité du projet et son impact environnemental et social.

Nous observons des inondations assez importantes dans plusieurs régions du pays suite aux grosses averses. Où se situe le problème ? Est-ce le manque de drains ou des constructions qui ne respectent pas les caractéristiques du terrain ?

Difficile de répondre en quelques lignes et surtout sans entrer dans la technique. Un survol rapide : il n’y a en général pas une cause mais des causes à un problème d’inondation, et ce dépendant d’où l’on se trouve, soit en milieu urbain, péri urbain ou rural ; en milieu de plaine, sur la côte ou en montagne. De nombreux facteurs sont pris en compte dans une analyse hydrologique et hydrogéologique. Je fais volontairement cette distinction pour en expliquer la différence. L’hydrogéologie s’intéresse aux eaux souterraines alors que l’hydrologie s’intéresse aux eaux de surface et souterraines et d’une manière plus générale à tous les aspects du cycle de l’eau.

Trop souvent, les études hydrologiques ne prennent pas en compte l’intégralité du bassin hydraulique ou alors elles ne se concentrent que sur le bassin hydraulique et n’incluent pas les eaux souterraines et les fluctuations des niveaux des nappes avec les saisons.

Un drain a pour fonction première de capter les eaux de ruissellement; il charrie ensuite cette eau en tout ou partie jusqu’à un point de déversement. Si ce drain est absorbant, il va en effet permettre une certaine infiltration de l’eau pluviale collectée mais s’il ne l’est pas, l’intégralité de l’eau captée sera transportée. Le point de déversement est crucial et souvent problématique s’il n’est pas adapté aux volumes.

En milieu urbain, le drain a peut-être été dimensionné correctement à l’époque de sa construction sur la base des données de terrain mais si les données changent — tels que volumes accrus d’eau car moins de surfaces perméables ou des pluies torrentielles récurrentes ou moins espacées comme on le voit avec le changement climatique – il y aura lieu de revoir le dimensionnement de ces drains ou d’en rajouter.

La question est aussi d’avoir une gestion intégrée des eaux pluviales à l’échelle des régions. Ce sont des infrastructures publiques au même titre que les routes. Enfin, une piste de réflexion dans certaines régions pourrait être non pas un ruissellement et une infiltration passive, comme on le voit le plus souvent, mais une infiltration active, c’est-à-dire une réinjection voulue par forages dans la nappe phréatique; ce qui servirait également à la recharge de la nappe.

Le rapport de la Banque mondiale met l’accent sur le “Livelihood Resettlement” lorsqu’il y a expropriation. Pensez-vous que cela est pris en compte ?

La Banque Mondiale a mis en place des politiques opérationnelles, notamment environnementales et sociales dans le cadre du financement des projets aux gouvernements. S’agissant de la réinstallation involontaire, la Banque mondiale insiste en effet sur le fait, je cite, « d’éviter ou minimiser la réinstallation involontaire et, quand cela n’est pas possible, d’apporter assistance aux personnes déplacées en améliorant ou au moins en restaurant leurs moyens de subsistance et leur niveau de vie, par rapport aux niveaux d’avant le déplacement ou aux niveaux prévalant avant le début de la mise en œuvre du projet, selon ce qui est le plus élevé ».

Vous conviendrez avec moi que beaucoup d’espoirs sont placés dans cette politique opérationnelle établie par la Banque Mondiale; espoirs non réalisables ou réalisés à Maurice si l’on s’en tient au cadre légal de la Land Acquisition Act de 1982, qui met en avant la compensation financière et ne fait mention d’aucune autre mesure compensatoire ou d’accompagnement. D’autre part, l’acquisition obligatoire est le mode d’acquisition le plus souvent utilisé; quoi qu’il semble que le ministère de tutelle demande qu’il y ait parfois recours à un accord privé et non acquisition obligatoire systématique.

Les bâtiments poussent comme des champignons dans la région d’Ébène. L’espace est très restreint et les voitures sont garées sur presque toute la superficie de la cybercité. Comment voyez-vous ce type de développement ?

Le développement d’Ébène est un exemple parfait d’une planification inadéquate dans sa première phase; des superficies de bureaux immenses et des espaces de parkings inadéquats dans le contexte mauricien, où on prend d’abord sa voiture pour être indépendant ou pour tout autre raison d’image que cela renvoie. On essaie ensuite de faire du covoiturage quand cela est possible et seulement en dernier recours on se tourne vers le transport en commun. De fait, il faut admettre que les transports en commun sont insuffisants à Ébène aux heures de pointe et que les bus ont du mal à circuler vu l’étroitesse et la géométrie de certaines routes et leur encombrement avec les véhicules garés dans une pagaille infernale. Les parkings payants se développent, c’est lucratif, et aucune obligation n’est faite pour des parkings à étages qui occuperaient moins de place. Le ministère concerné par le planning installé à Ébène depuis quelques années n’a d’ailleurs pas de places de parking visiteurs…

Étant donné que nous vivons dans un pays tropical sujet à des conditions climatiques difficiles, le fait que nous construisions un peu partout ne fera pas du pays une « Concrete Jungle » dans quelques années ?

Cette question renvoie aux plans d’occupation des sols et de la gestion intégrée des territoires. Maurice dispose de tous les outils de gestion : la National Development Strategy, le Planning Policy Guidance et Guidelines et les Outlines Planning Scheme. Ce sont les trois outils de base de la planification urbaine et rurale. Certes, ils sont parfois obsolètes et devraient être revus à la lumière des développements et surtout du rythme de développement que connaît Maurice.

Ne croyez-vous pas qu’il est temps qu’on ajoute l’élément du « Neighbourhood Planning » pour chaque construction ?

“L’Outlines Planning Scheme” des villes et l’agglomération de village sont les outils régionaux de gestion des espaces qui déclinent localement les directives nationales. Dans ce sens, le « Neighbourhood Planning » fait partie de ce niveau régional dans la mesure où sa mise en place permet aux communautés locales d’influer sur les décisions et à ne pas confondre avec le fait d’influencer les décideurs.

Ne pensez-vous pas qu’un rapport EIA publié aurait évité des problèmes environnementaux ?

Précisons tout d’abord que tous les projets n’ont pas l’obligation légale d’une étude d’impact environnemental et de la soumission d’un rapport EIA pour l’obtention d’une licence EIA. Néanmoins, hors obligation légale, il me semble qu’il y ait une obligation technique et financière pour une étude d’impact environnemental et une obligation morale pour une étude d’impact social et tout au moins une consultation publique. Les impacts environnementaux et sociaux de tout projet sont évalués et assortis de mesures pour éviter ou minimiser l’impact et, quand cela n’est pas possible, de le compenser sur ou hors site. Rendre public tel ou tel dossier relève plus à mon sens de la communication.

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