NAUFRAGÉ DU «HEIGET» : It was stark darkness, je ne voyais rien. Il n’y avait que la mer , a déclaré Kobs Reimer

« Je ressens encore les vibrations du bateau quand il a heurté les rochers, malgré le fait que je sois ici, sur la terre ferme. Je les ressens encore. » Kobs Reimer est un véritable miraculé. Alors qu’il pensait rejoindre tranquillement ses amis en Nouvelle-Zélande au bord de son yacht le Heiget qu’il a depuis 1998, son périple a vite tourné au drame. Encore fébrile, ce capitaine de bateau retraité nous raconte son calvaire qui a duré un peu moins de deux mois après avoir quitté Cape Town.
Il a failli y rester. Visiblement très secoué, le rescapé nous raconte les faits dans les moindres détails, même s’il arrive difficilement à les situer dans le temps. Après qu’il a été secouru en mer par la National Coast Guard du Chaland et de Souillac vendredi, il a été admis à l’hôpital de Rose-Belle où il compte encore rester quelques jours. Pour rappel, son bateau a heurté des rochers dans le bassin Carangue à L’Escalier.
Le visage émacié, la barbe blanche et longue, le ressortissant allemand est fatigué. « J’ai honte, cela n’aurait pas dû arriver. Je suis un professionnel de la mer, je connais ce métier et pourtant voilà où j’en suis », nous confie-t-il, découragé. « I don’t know, I was hitting South. It’s not easy to explain it to people. I feel like an idiot, I cannot explain how I feel, but it’s not nice. You are a professional seaman and this happens to me. » Reconnaissant de s’en être sorti sain et sauf, il nous raconte son calvaire en mer. « J’ai commencé mon voyage il y a deux mois, tout se passait bien. Je devais gagner la côte ouest de l’Australie pour rencontrer quelques amis. Nous voulions tous nous rencontrer pour explorer ensemble l’île de Vanuatu. Mais, voilà. Je ne pourrai jamais y aller », confie-t-il tristement.
« Je n’ai jamais eu de problème avec ce bateau »
C’est en quittant Cape Town, en naviguant vers le Sud, qu’il a été frappé par un cyclone. « Je ne savais plus quoi faire, je n’ai jamais rien connu d’aussi violent », dit-il, bouleversé. « Le cyclone a tout détruit sur mon bateau et je n’avais pas les équipements nécessaires pour réparer les dégâts. » Ce vieux loup de mer, d’origine allemande, n’arrive toujours pas à en croire ses yeux. Répétant à chaque fois qu’il aurait pu éviter cette situation, il arrive tout de même à garder le sourire. « Le souci c’est que je ne connaissais pas du tout Maurice. J’ai pourtant été aux Chagos, à Madagascar et aux Seychelles. Je navigue dans ce bateau depuis 1998 et je n’ai jamais eu un seul problème, mais là, je n’ai rien pu faire. »
Kobs Reimer a repris des forces malgré sa déshydratation. Il nous confie qu’au fil des jours, les provisions s’amincissaient et qu’il vivait pratiquement que sur du riz. Il aura 72 ans en septembre. « C’est vrai que je ne fais pas mon âge, mais j’ai perdu près de 10 kilos depuis le début de ce voyage. En fait, ce sont les muscles qui sont affectés en premier et ensuite c’est la graisse qui fond. J’avais les bras trois fois plus gros que maintenant », explique-t -il.
« I am tired of all of this ! » nous dit-il et d’ajouter : « Je ne dis pas que je ne suis plus capable de faire tout cela, mais lorsque ce genre de choses arrive, vous n’avez plus le courage d’avancer. » En effet, Kobs Reimer n’arrive toujours pas à se pardonner. Son métier il le connaît du bout des doigts et pourtant les caprices de la mer et du temps lui ont fait faux bond. « Après le cyclone, j’ai tout essayé, il y avait des jours où le temps était calme mais d’autres non. Et en dérivant vers le Sud, je m’approchais dangereusement des icebergs. J’étais effrayé. Je n’avais que deux options, soit aller vers le Sud ou vers le Nord, et c’est en essayant de me rapprocher le plus possible du Sud de l’Australie que j’ai été transporté vers Maurice », explique le capitaine de bateau.
« Je ne connaissais pas Maurice, je n’arrivais pas à localiser les lumières vertes et rouges, j’ai alors décidé de baisser les voiles et d’attendre, sauf que ça n’a pas marché. Je continuais de me rapprocher dangereusement des côtes. Je décidai alors de jeter mon ancre de 60 m de long, mais il n’accrochait pas, la mer était trop profonde », raconte-t-il encore angoissé. « Finalement, après une heure, j’ai senti que l’ancre avait touché des rochers au sol. J’ai essayé d’envoyer des signaux mais en vain ! Il faisait très noir, je ne voyais rien. »
Il atterrit directement sur un oursin
Épuisé moralement et physiquement, il décide de se jeter à l’eau et de nager. « Ce bruit lorsque le bateau a commencé à chavirer… je n’ai rien entendu de tel, je les entends encore aujourd’hui… », se remémore-t-il, encore traumatisé par les événements de vendredi. Avec l’aide de son gilet de sauvetage et de son sac à dos, il tente alors d’attacher une corde aux rochers, mais celle-ci était trop longue. Il décide finalement de sauter et de se laisser emporter par les vagues vers le rivage. «En sautant directement sur un oursin, je me suis fait mal au pied droit », dit-il en nous montrant sa blessure. « J’étais exténué, je n’avais plus la force pour regagner le rivage, j’ai dû m’asseoir pendant près d’une heure sur un rocher avant de pouvoir marcher de nouveau. »
« Je suis conscient de la chance que j’ai »
« It’s not nice. I’m not proud of that », insiste-t-il. Il nous raconte qu’il a essayé d’appeler au secours mais que son bateau n’avait plus assez de puissance et d’ajouter que ces deux radios à bord ont arrêté de fonctionner. Un cauchemar qu’il revit chaque instant depuis son naufrage à Maurice. « It didn’t work out », répète-t-il. « There are no lights on the shore, you can’t see anything, there is only water. »
Dans une explication purement technique, Kobs Reimer explique avec de grands gestes, malgré son état de santé encore fragile, comment l’on peut réparer son Heiget. «Mais je ne sais pas s’ils pourront le faire ici. Mon yacht a été construit dans un acier spécial pour les paquebots, c’est un peu grâce à cela que j’ai pu m’en sortir, sinon le bateau aurait été détruit depuis longtemps. Je suis conscient de la chance que j’ai. »
Vêtu d’un simple survêtement et de sandalettes que son ex-compagne lui a offertes — parmi les seules choses qu’il a pu transporter dans son sac avec ses documents officiels —, il souhaite demain revoir son bateau pour essayer d’y récupérer d’autres vêtements. Saluant au passage quelques autres patients dans la salle, il garde le sourire. « J’ai vécu tant d’années en Afrique du Sud, j’ai connu la violence, le racisme et j’ai atterri ici, c’était incroyable. Tout est différent. Des gens que je ne connais pas, qu’ils soient d’origine indienne ou africaine, me parlent, m’apportent à manger ! Malgré le traumatisme de cet événement, tout cela me redonne courage », nous dit-il, le sourire aux lèvres.
Attendant les démarches pour reprendre contact avec sa famille, dont un fils psychologue en Allemagne, il passe son temps à discuter et à découvrir l’île Maurice de son lit d’hôpital. Une histoire qui finit bien pour cet aventurier…

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