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Niama : quand l’histoire s’empare du présent

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Niama : quand l’histoire s’empare du présent
Le personnel des Archives Départmentales orchestre une quête où le public est symboliquement appelé à particper au rachat de la liberté des esclaves

Niama (Princesse-Esclavée-Libre), pièce écrite et mise en scène par Shenaz Patel, a été créée à La Réunion pour deux représentations scolaires et deux représentations tout public. Elle sera probablement jouée à Maurice en janvier 2020.

Cette pièce s’attache à retracer l’histoire, vraie, de Niama, princesse sénégalaise razziée à l’âge de 9 ans et emmenée en esclavage à Maurice et à La Réunion. Là-bas, elle sera une des toutes premières femmes affranchies en 1755, presque un siècle avant l’abolition de l’esclavage. Et accompagnera le destin exceptionnel de son fils, Lislet Geoffroy, un des plus grands scientifiques de son époque, premier homme de couleur admis à l’Académie des Sciences de Paris, symbole de la lutte pour les Droits de l’Homme et pour l’abolition de l’esclavage.

Leone Louis et Laurent Achama incarnent les deux personnages principaux de la pièce

Le défi était de faire cette première restitution théâtrale au cœur des Archives Départementales de la Réunion, qui a accueilli la résidence d’écriture de Shenaz Patel. “Nous avons d’ailleurs tenu à faire participer des membres du personnel des Archives à la pièce. Ils orchestrent ainsi un des moments forts de la pièce, alors que sont lus des extraits du testament d’Ombline Desbassyns. Celle-ci, qui fut une des plus grandes fortunes et propriétaires d’esclaves de La Réunion, est née juste après le fils de Niama, Lislet-Geoffroy, et est morte peu après. Son testament comprend une incroyable liste de ses propriétés, maisons, champs, usines, bœufs, cabris et… esclaves. Au moment où la liste de ces esclaves est lue, avec leur nom, leur description, leur prix, le personnel des Archives passe une quête symbolique dans le public, qui est ainsi appelé à participer au rachat de la liberté de ces esclaves”, confie Shenaz Patel.

Qui tient à adresser des remerciements particuliers à Damien Vaisse, directeur des Archives Départementales de La Réunion, et à Lise Di Pietro, directrice adjointe, qui lui ont offert un accès privilégié aux formidables ressources des Archives Départementales. “Ça a été un moment d’émotion extraordinaire, et fondateur, de tenir entre mes mains l’acte d’affranchissement de Niama. De se dire qu’en 1755, une jeune femme forcée en esclavage alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, avait tenu ce papier entre ses mains et s’était dit : je suis à nouveau libre. Et c’était très fort de voir cette émotion partagée par ceux, notamment les étudiants, qui ont assisté à la pièce et qui ont pu voir ce document présenté pour l’occasion par les Archives. Cela m’a donné à voir à quel point la conservation, et la mise à disposition de notre histoire est un enjeu capital. Il y aurait beaucoup à dire à Maurice à ce sujet.”

S’intéresser à l’esclavage aujourd’hui.

Deux comédiens réunionnais portent cette pièce. La comédienne Leone Louis relève la gageure d’interpréter sur scène un double rôle : celui de Niama, et de la femme d’aujourd’hui qui s’intéresse à son destin.

Laurent Atchama, jeune comédien, issu du Conservatoire de La Réunion, également danseur et chanteur lyrique, interprète le personnage du jeune homme d’aujourd’hui qui s’interroge sur l’intérêt de s’intéresser à ces “vieilles histoires”, alors qu’il est lui-même plongé dans les brûlantes luttes du jour.

“La question de la nécessité de parler de l’esclavage, et surtout de savoir comment parler aujourd’hui de l’esclavage ont sous-tendu l’écriture de cette pièce. Au vu de la récente polémique en France avec Christine Angot, qui minimise la traite négrière et l’esclavage en les présentant, littéralement, comme “des promenades de santé”, on se dit qu’il reste beaucoup à faire. Pour prendre pleinement conscience de tout ce que cette histoire a été. Et prendre la pleine mesure de ce qu’elle produit, aujourd’hui encore, comme injustices, inégalités et dysfonctionnements sociaux, économiques et politiques.

La pièce fait ainsi appel autant à l’histoire qu’à la création contemporaine, comme en témoigne par exemple une très belle création vidéo de l’artiste réunionnais Lionel Lauret, qui fait du map-morphing autour des cartes de l’océan Indien tracées à l’époque par Lislet Geoffroy. Les îles étant ici apparentées à des placentas, reliées dans un rapport très organique par un cordon ombilical qui relie autant Niama à son fils que les îles de l’océan Indien à l’Afrique et au monde.”

Soulignons que la pièce sera reprise à La Réunion en septembre prochain à l’occasion des Journées du Patrimoine. Également le 20 décembre (date de la commémoration de l’abolition de l’esclavage à La Réunion).

Des réunions auront également lieu entre la Direction de la Culture du Conseil Départemental, la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), et la compagnie Baba Sifon pour dresser un calendrier de représentations à l’intention des collèges et lycées.

À Maurice, des discussions ont été entamées avec le Caudan Arts Centre en vue de jouer la pièce ici fin janvier-début février 2020. Shenaz Patel espère que des sponsors locaux accepteront d’accompagner la troupe dans cette aventure qui parle autant de l’histoire de notre île et de sa place dans le monde.

La chanson de Niama interprétée par Virginie Gaspard

Laissons la parole à Shenaz Patel pour nous parler de la chanson qui clôt sa pièce.

“Pour clore Niama, je voulais une chanson. Une chanson en trois langues, français, créole réunionnais et créole mauricien. Je me suis adressée au poète et parolier Michel Ducasse, qui m’a offert un magnifique texte intitulé Pou mon zarlor. (Zarlor, en créole réunionnais, signifie “trésor”, et s’applique en général à la personne aimée. Un mot doublement symbolique pour Niama qui venait du Galaam, la province de l’or au Sénégal).

Virginie Gaspard interprétant Pou mon zarlor, accompagnée à la guitare par Daniel Riesser

Daniel Riesser, professeur au Conservatoire de La Réunion et musicien de Ziskakan notamment, nous a proposé une superbe mélodie pour ce texte.

Restait la voix…

Quand j’ai vu Virginie Gaspard sur The Voice, j’ai été frappée par sa voix. D’autant plus que je sentais que derrière cette voix, il y avait une histoire. Le contact a été rendu possible par Dominique Raya. Et m’a permis d’apprendre qu’à l’instar de Niama, la vie de Virginie Gaspard avait été marquée par de durs aléas imposés par la vie, mais surmontés avec force, sensibilité, dignité et détermination.

Virginie a tout de suite accepté d’interpréter Pou mon zarlor. Elle y donne toute la mesure de son extraordinaire sensibilité musicale et humaine, qui lui permettra à mon sens d’aller bien au-delà de l’aventure The Voice. Par son interprétation en live lors des représentations de Niama, elle a ému au-delà des mots le public présent.”