Noren Seeburn : « Il faut réglementer les leçons particulières »

L’avocat Noren Seeburn est consultant bénévole pour la Parent and Children Association, qui milite pour une réglementation des leçons particulières afin de pouvoir aménager des temps de loisirs aux enfants. Il est d’avis qu’une simple réglementation par la ministre de l’Égalité des genres, du Bien-être de la famille et des Droits de l’enfant peut aider à venir à bout de ce phénomène. Il suggère de limiter les leçons à trois matières par enfant, ce qui laisserait à ce dernier suffisamment de temps pour pratiquer des activités récréatives et ainsi se conformer aux dispositions de la Convention des droits de l’enfant.

- Publicité -

Pourquoi la Parent and Children Association (PCA) prône-t-elle une réglementation des leçons particulières ?
La PCA a mené une enquête sur les leçons particulières à Maurice. Il a ainsi été noté que les enfants, allant du primaire au secondaire, prennent cinq à huit leçons. Cela prend quatre à cinq heures de son temps par jour, incluant les leçons elles-mêmes, le voyage et les devoirs. Le coût varie en moyenne, entre Rs 450 et Rs 800. Dans certains cas, c’est même plus. Ce qui nous amène au fait qu’un parent paie entre Rs 25 000 et Rs 70 000 pour les leçons d’un enfant par an. Les leçons particulières constituent une industrie brassant des milliards de roupies.
On ne peut continuer à permettre un tel système, où les parents ont l’obligation d’envoyer leurs enfants prendre des leçons. C’est une souffrance à la fois pour les parents et pour les enfants. Ces derniers n’ont même pas de temps pour les loisirs. De plus, ils se désocialisent. Même dans la famille, on n’a plus le temps pour les sorties. Vous imaginez, les adultes travaillent 40 heures par semaine, mais les enfants passent 70 heures à 80 heures à travailler.

Ils sont dans un état de stress permanent. La vie des étudiants se résume en quatre lettres : ELDD. École, leçons, devoirs, dodo…

Mais n’est-ce pas les parents eux-mêmes qui optent pour les leçons particulières? 
Je n’ai pas dit qu’il faut abolir les leçons particulières, mais il y a un abus. Les leçons particulières sont utiles et aident les enfants qui ont des difficultés dans certaines matières. Il y a aussi des cas, où à l’école, l’enfant n’arrive pas à comprendre les explications d’un professeur, mais en revanche, il comprend très bien aux leçons. Certains professeurs sont doués, il faut le reconnaître. D’autres sacrifient leurs week-ends pour donner des leçons. Beaucoup d’enfants ont réussi grâce à eux. Il ne faut pas oublier non plus qu’il y a la compétition.

Des fois, les parents n’ont pas le choix. Quand un ou deux enfants prennent des leçons dans une classe, cela met la pression sur les autres. Les parents ne veulent pas que leurs enfants restent derrière. Ce n’est pas si simple qu’on le croit. L’enjeu est qu’il faut que l’enfant soit bien classé aux examens.

Que préconisez-vous alors?
Quand la présidente de la PCA est venue me voir, elle cherchait une solution légale au problème. L’association, qui œuvre pour le bien-être des enfants, voulait trouver un moyen de les libérer de cette emprise et, en même temps, rétablir l’égalité parmi tous les enfants. Après réflexion, nous proposons de fixer une limite aux leçons particulières. Par exemple, trois leçons par enfant, pas plus. On ne peut interdire les leçons tout court, ce ne serait pas constitutionnel. Et puis, comme je l’ai dit, dans certains cas, les leçons sont importantes. Donc, si on introduit une réglementation pour trois leçons maximum par enfant, cela laisse du temps à l’enfant pour les loisirs.

Car le but de cette initiative n’est pas d’empêcher les enfants de prendre des leçons, mais de leur permettre d’avoir du temps pour les loisirs.
C’est pour cela que nous avons une deuxième proposition, qui est de prévoir une Children’s Time Zone, dédiée aux activités de loisirs, à l’école. La réglementation peut s’appliquer entre 8h et 17h30 les lundis, mardis et jeudis; et entre 8h et 14h30 les mercredis et vendredis, par exemple. Cela va également dans le sens de ce que préconise l’ex-juge Lam Shang Leen dans son rapport. Pendant le Children’s Time Zone, les leçons, qu’elles soient payantes ou pas, qu’il y ait le consentement des parents ou pas, ne devraient pas avoir lieu. En dehors de ces heures, les leçons particulières devraient être limitées à une par jour et d’une durée ne dépassant pas une heure et demie.

Tout ceci va dans le sens de ce que préconise la Convention des droits de l’enfant. L’article 31 dit ceci : « Tu as droit au repos, aux loisirs et aux activités récréatives. » Et également : « Les pays doivent protéger ton droit aux loisirs et favoriser le développement de ce droit. »
Vous savez sans doute que la réforme de l’éducation prévoit de telles activités pendant les heures d’école. La ministre insiste même sur le développement holistique…
C’est bien de faire provision pour les activités de loisirs, mais est-ce que cela s’applique dans le concret? Il ne faut pas que l’éducation holistique reste un slogan. C’est pour cela que nous disons qu’il faut une réglementation. C’est quelque chose de très simple, on n’a même pas besoin d’élaborer une nouvelle loi ni d’aller au parlement pour cela.

Je m’explique : il y a depuis 2003, une loi intitulée The Ombudsperson for Children Act. L’article 5, stipule : « The Ombudsperson for Children shall ensure that rights, needs and interests of children are given full consideration by public bodies, private authorities, individuals and associations of individuals; Promote the rights and interests of Children; Promote compliance with the Convention. » La section 10, intitulée “Regulations”, dit : « The Minister may make regulations as she thinks fit for the purposes of this Act. » La ministre en question est celle de l’Égalité des genres, du Bien-être de la famille et des Droits de l’enfant.

C’est elle qui peut appuyer sur la gâchette en faisant une “regulation” pour protéger les “rights, needs and interests of children”. Elle peut le faire dès demain. Pas besoin d’autres lois.

Avez-vous eu l’occasion de discuter de cela avec les personnes concernées ?
Nous avons effectivement présenté le projet à l’ancienne ministre de l’Égalité des genres, Roubina Jadoo-Jaunbocus. Elle a trouvé que l’idée était bonne et nous a dit qu’elle allait la considérer dans le cadre du Children’s Bill. Nous avons aussi discuté avec l’Ombudsperson for Children. Mais comme je l’ai dit, il n’est pas nécessaire d’attendre une nouvelle loi pour introduire la réglementation.

Et la ministre de l’Éducation dans tout cela ?
Comme il s’agit ici de droits de l’enfant, c’est plutôt la ministre de l’Égalité des genres qui est directement concernée. Celle de l’Éducation, elle, pourrait apporter sa contribution pour aménager la Children’s Time Zone dans les écoles. Nous pensons également que les Parent-Teachers Associations (PTA) ont un rôle à jouer. Celles-ci ne peuvent se limiter à l’amélioration des infrastructures. C’est le rôle de l’État. Une PTA doit pouvoir organiser des activités de loisirs pour les enfants.

Comment appliquer une telle réglementation, alors que la loi, interdisant des leçons en Grade 4, par exemple, n’est même pas respectée ?
Les “regulations” devront faire provision pour l’application de la loi. La police ou un officier, désigné par le bureau de l’Ombudsperson for Children, doit être autorisé à faire des inspections dans un lieu s’il y a des soupçons que quelqu’un est en train de donner des leçons particulières pendant la Children’s Time Zone. Toute personne qui enfreint ces “regulations” commettra un délit.

Pensez-vous que c’est une idée que les parents accepteront facilement avec la compétition ?
Au contraire, une telle réglementation viendra mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Tout le monde devra se limiter à trois leçons. Ce sera à chacun de choisir les matières où il ou elle a le plus besoin de leçons. Il ne sera plus question de prendre des leçons dans toutes les matières, voire prendre deux à trois leçons par matière, pour faire mieux que les autres, comme c’est le cas actuellement. Ce sera également l’occasion de donner des chances égales aux enfants dont les parents n’ont pas les moyens de leur payer des leçons dans toutes les matières. On avait introduit l’éducation gratuite pour donner l’égalité des chances à tous les enfants mauriciens. Malheureusement les leçons particulières sont venues changer la donne. C’est souvent les moyens des parents qui déterminent la réussite de l’enfant, un peu comme ces équipes de foot à gros budgets qui attirent les grands joueurs et ont plus de chances de remporter la coupe.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour