Peine de mort : la grande illusion

Récemment, la peine de mort s’est de nouveau invitée dans l’actualité, plus précisément lors des travaux parlementaires, sir Anerood Jugnauth ne ratant décidément aucune occasion de remettre sur le tapis cette sempiternelle question. Cet indécrottable partisan de la peine capitale a en effet réitéré sa suggestion de la rétablir pour les trafiquants de drogue.

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On l’aura compris, le ministre mentor n’est pas prêt à déposer les armes à ce propos. Toutefois, avant d’aborder la question de la pertinence de la plus radicale des réponses de la justice, l’on peut déjà se demander pourquoi la peine de mort s’adresserait aux seuls dealers. En effet, pourquoi pas alors aux violeurs et aux tueurs d’enfants, pour ne citer que ces deux exemples ? En réalité, rétablir la peine de mort à l’égard d’une seule catégorie de criminels équivaudrait à choisir qui mérite ou non de mourir. Ce qui apparaît d’ores et déjà comme une abomination de l’esprit.

Dans les faits, la peine capitale ne répond aucunement à un idéal de justice. Outre le fait d’être le plus souvent infligée de manière inhumaine, elle se relève également totalement inefficace là où elle est appliquée. Les chiffres parlent d’ailleurs d’eux-mêmes. Si l’on prend l’exemple du Canada, le nombre de meurtres avec préméditation y a accusé une nette diminution depuis que la peine de mort a été abolie. Contrairement à son voisin américain, où les États où subsistent des couloirs de la mort affichent un plus grand taux de criminalité que ceux y ayant renoncé.

C’est un fait, la peine de mort n’a aucun effet dissuasif. Qui plus est, aucune sanction, aussi sévère soit-elle, n’empêchera les crimes passionnels, ceux-ci résultant par définition d’un acte aussi spontané qu’irréfléchi. Quant aux trafiquants de drogue, tout laisse à penser que telle menace n’arrivera jamais à les pousser à abandonner un business assurément plus lucratif que l’élevage de brebis.

Comme le clame depuis des lustres Amnesty International, la peine de mort est en outre injustifiable et inhumaine. L’Ong va plus loin, rappelant l’aspect irrévocable de la peine de mort. Inutile en effet de préciser que lorsqu’une telle peine est appliquée, il n’y a pas de retour en arrière possible. Or, l’histoire regorge d’erreurs judiciaires ayant conduit des innocents dans les couloirs de la mort. Aux États-Unis encore, plus de 140 personnes ont ainsi été libérées depuis 1973 après que la preuve de leur innocence a été établie, leur évitant ainsi la fatidique injection létale. D’où la question : comment, si la peine de mort était rétablie, pourrait-on se prévenir de toute défaillance de notre système judiciaire ? D’autant que les faux aveux, les faux témoignages et le manque d’expertises lors de procès sont légion.

Ces contradictions entre l’intention (celle d’infliger la mort pour un crime commis) et les résultats (peu ou pas significatifs) auront amené l’Europe occidentale à faire du combat contre la peine de mort une priorité. Pour autant, les appels à l’abolition ne sont toujours adressés qu’à certains pays, l’hypocrisie européenne – guidée par des intérêts économiques immédiats –poussant Bruxelles à éviter prudemment le sujet lorsqu’il s’agit des États-Unis ou de la Chine.

Comme on le voit, restaurer la peine de mort à Maurice des décennies après son abolition constituerait non seulement un aussi rare qu’affligeant retour en arrière quant au respect des droits de l’homme, mais serait en outre très mal perçu à l’étranger, constituant de fait un paradoxe pour un pays si soucieux de son image sur la scène internationale. Ainsi, fin 2017, on notait que 106 pays avaient aboli la peine capitale, tous crimes confondus, la Guinée et la Mongolie étant les derniers en date, et que 142 (soit plus des deux tiers des États) étaient abolitionnistes en droit et en pratique. Qui plus est, des États africains – tels le Burkina Faso, la Gambie, le Kenya et le Tchad – ont grandement progressé sur la voie de l’abolition du châtiment ultime. Aussi, redonner « vie » à cet acte de mort à Maurice nous ferait rejoindre le club « très select » des nations ne reconnaissant pas la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont l’un des amendements consiste à ne jamais ôter la vie d’un être humain, sous-entendu quand bien même il s’agirait de l’auteur d’un crime atroce ayant suscité les plus vives émotions.

Terminons en rappelant que le 10 octobre prochain sera célébrée la Journée mondiale contre la peine de mort. À ce propos, les rapporteurs des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires et sur les tortures rappellent que « même s’il existe une nette tendance à l’abolition de la peine de mort dans le monde, il est regrettable que nous ayons encore à célébrer cette journée ». Qu’ils se rassurent, notre ministre mentor ne le fera probablement pas !

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