PÈRE PHILIPPE GOUPILLE: « Dans le dialogue interreligieux, il faut enlever ses chaussures pour entrer dans celles de l’autre »

La World Religion Day célébrée demain est quelque peu assombrie par les attentats meurtriers en ce début d’année en France et qui ont un lien avec la religion. Depuis quelques jours dans plusieurs pays du monde on brandit avec force la carte du dialogue interreligieux, impératif pour un vivre ensemble harmonieux et davantage dans des sociétés fortement marquées par un mélange de religions et de cultures. Où en est-on justement à Maurice ? Le Père Philippe Goupille, président du Conseil des Religions, salue le travail qui a déjà été enclenché pour promouvoir de tel dialogue mais reconnaît qu’il y a encore un long chemin à parcourir. « Pour entrer dans le dialogue interreligieux il faut accepter d’enlever ses chaussures pour entrer dans les chaussures de l’autre …] C’est un exercice qui demande beaucoup d’humilité et de conversion personnelle », dit-il. Philippe Goupille insiste aussi sur la nécessaire implication de l’école dans ce processus vers la découverte et une meilleure compréhension de la religion de l’autre.
Après les récents attentats meurtriers en France commis au nom de la religion, dans quel état d’esprit le Conseil des Religions compte-t-il marquer la Journée internationale des Religions ce samedi ?
Bien avant ces tristes événements, nous avions décidé de célébrer cette Journée en collaboration avec l’association Global Rainbow Foundation, qui a fourni des prothèses à plus de 450 Mauriciens et Rodriguais ayant été amputés. Notre objectif était de montrer que toutes les religions montrent de la compassion envers les blessés de la vie. Soulager la souffrance et remettre l’homme debout est une dimension éthique où toutes les religions se retrouvent. S’agissant des attaques terroristes qui ont frappé la France, le Conseil des Religions a réagi dans un communiqué de presse le 12 janvier, dans lequel nous disons clairement qu’il n’y a pas de justification possible pour de tels actes de violence. À la suite de Religions for Peace International, nous rejetons catégoriquement toute forme d’extrémisme qui s’inspire de la religion et nous rejetons toute forme de violences au nom de la religion. À notre avis, ces violences défigurent le vrai visage de l’Islam. Nos organisations religieuses à Maurice et au niveau international doivent se retrouver dans un même élan de solidarité pour le respect de la personne humaine et le respect de la vie.
Mais comment célébrer la religion après ces événements ?
Nous reconnaissons que, dans l’histoire de l’humanité, beaucoup de guerres ont été menées au nom de la religion. Mais il faut se garder de faire l’amalgame entre les vrais croyants, dans toutes les religions, et les dérapages commis par des fanatiques. Nous sommes convaincus que chaque homme est à la recherche de la paix intérieure et qu’il veut donner un sens à sa vie. La religion, c’est comme une graine que l’on sème en terre : il y a plusieurs couches dans l’âme humaine, comme dans la terre, qui reçoit la semence. Les valeurs religieuses sont souvent au plus profond de notre être. Comme une semence enfouie dans le profond de la terre, elles n’apparaissent pas toujours au dehors. En célébrant la religion, nous voulons célébrer la dimension spirituelle qui existe en chaque homme et qui ne demande qu’à s’épanouir.
Dans votre message de fin d’année, vous renouvelez l’engagement du CDR à travailler pour la paix et l’harmonie entre les religions à Maurice. En fait, le travail de ce Conseil est peu connu des Mauriciens. À quoi sert cette instance ?
Faisons d’abord l’historique de ce Conseil. L’Organisation des Nations Unies a eu l’initiative de convoquer pour la première fois un “Parlement des Religions” en 2000. Son Secrétaire général voulait susciter la collaboration des religions et leur énergie pour deux objectifs : 1) favoriser le dialogue entre les religions dans le monde entier et construire la paix entre les pays déchirés par les guerres de religions ; et 2) faire appel aux chefs religieux pour qu’ils apportent leur contribution dans la lutte contre certains fléaux sociaux qui affectaient le monde entier, comme par exemple l’épidémie de sida. Lors de sa visite à Maurice en 2001, l’ex-Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, avait fortement encouragé le gouvernement à fonder le Conseil des Religions pour suivre ces mêmes objectifs chez nous. Il n’est pas possible ici d’énumérer toutes les initiatives que le Conseil des Religions a prises depuis sa création pour susciter le dialogue entre les religions.
Mais il est important de souligner la lutte commune que nous avons menée dans toutes les instances de formation des religieux – prêtres, pandits, imams – à Maurice pour déstigmatiser le regard négatif de la société envers les personnes atteintes du virus HIV et pour aider ces personnes à se remettre debout. Ce fut un travail de collaboration interreligieuse très enrichissant et cela a contribué à donner une colonne vertébrale au Conseil des Religions. Cette instance est membre de Religions for Peace International, qui regroupe les comités interreligieux de 90 pays.
Si les initiatives du CDR sont peu connues du grand public, c’est qu’elles ne sont pas visibles. N’est-ce pas dû à un déficit de communication ?
Nous travaillons dans un domaine où il n’est pas possible de mesurer les résultats avec des statistiques comme on le fait dans le domaine économique. Mais il est certain que nous souffrons d’un déficit de communication. Nous essayons d’y remédier en nous exprimant à travers les médias. Nous ouvrirons d’ailleurs prochainement un site web. Notre poster “Sida pas guette figir” sur des billboards a eu un impact.
Le fait d’inviter les Mauriciens à participer aux principales fêtes religieuses célébrées à Maurice ne veut pas nécessairement dire qu’il existe un dialogue interreligieux chez nous. Quel type de dialogue souhaitez-vous dans le contexte mauricien ?
C’est vrai qu’il ne suffit pas de participer aux principales fêtes religieuses. Pour entrer dans le dialogue interreligieux, il faut accepter d’enlever ses chaussures pour entrer dans celles de l’autre. Cela nécessite tout un travail sur soi-même, pour se dépouiller de tout réflexe de supériorité, pour entrer vraiment dans le vécu religieux de chaque personne et se mettre à sa place. C’est un exercice qui demande beaucoup d’humilité et de conversion personnelle.
N’êtes-vous pas d’accord sur le fait que l’école est le lieu « par excellence » pour une entrée pédagogique dans la religion de l’autre et pour initier l’enfant, dès son plus jeune âge, à ce dialogue auquel vous rêvez, mais sans pour autant que les éducateurs fassent du prosélytisme ?
Je suis d’accord : il  faut commencer dès l’école primaire. Il est certain que les manuels, les plus parfaits soient-ils, ne suffiront pas et qu’il faudra une formation des éducateurs. C’est un gros investissement, mais qui vaut la peine. Pour être franc, nous n’avons pas actuellement le personnel compétent ainsi que les outils appropriés pour faire ce travail dans les écoles.
Est-ce à dire que l’école mauricienne ne fait rien pour l’éducation à l’interreligieux ?
Ce n’est pas vrai. L’École des Valeurs Humaines, qui est dirigée par le frère Marcel Chapeleau, a vécu une expérience formidable dans cette direction et la partage à présent avec les jeunes collégiens. Une équipe de pédagogues de différentes religions ont travaillé ensemble pendant plusieurs années pour mettre au point un parcours de formation et ce programme est proposé actuellement dans une trentaine de collèges privés. Pour sa part, le Conseil des Religions a mis l’accent l’an dernier sur l’éducation et nous avons organisé, au mois d’août, un séminaire animé par Arigatou International – une Ong basée à Genève et qui travaille pour la promotion du dialogue interreligieux au niveau des enfants. Lors de ce séminaire, l’ex-ministre de l’Éducation Vasant Bunwaree nous avait proposé de collaborer avec le gouvernement pour introduire ce module dans nos écoles. Nous avons beaucoup d’espoir que la nouvelle ministre de l’Éducation reprendra cette proposition. Nous sommes aussi intéressés par un manuel en utilisation dans les écoles chez nos voisins réunionnais et intitulé “La Réunion des Religions”. C’est une initiative remarquable, parfaitement adaptée à la psychologie des enfants, et que nous voulons promouvoir dans les écoles primaires à Maurice. Le Conseil est aussi heureux de continuer, avec la collaboration de l’Université de Maurice, le cours qui aboutit à l’octroi d’un “Certificate in Peace and Interfaith Studies”. Les étudiants qui s’y sont inscrits sont très contents. Ils découvrent l’histoire de l’implantation des différentes religions à Maurice et se familiarisent avec les textes sacrés de toutes les religions. Nous sommes heureux du soutien de la direction de l’Université pour ce projet. Je voudrais signaler aussi la démarche du Centre d’Accueil et de Formation Interreligieuse de Pont-Praslin, qui propose depuis plusieurs années, à l’intention des adultes qui désirent approfondir leurs connaissances des religions, des sessions de formation d’excellente qualité.
Ne pensez-vous pas que la télévision publique a aussi un rôle à jouer dans ce travail d’éducation des citoyens à l’interreligieux ?
La télévision publique donne déjà beaucoup de temps à la diffusion des célébrations religieuses à Maurice. C’est bien pour les personnes qui veulent se familiariser avec les croyances et les rites des religions différentes de la leur. Mais il y a aussi tout un espace à créer et à développer pour faire comprendre vraiment le sens profond des religions.
Quelle est l’attitude du Conseil vis-à-vis de ceux qui se réclament d’aucune religion ?
C’est une question qui nous est posée régulièrement. Nous ne pouvons exclure les citoyens qui n’ont pas de religions, mais leur manière de vivre est imprégnée des valeurs universelles. Même s’ils ne font pas partie du CDR, nous sommes heureux de les entendre et de collaborer avec eux sur certaines questions. Très souvent, une réaction contre la foi religieuse à l’âge adulte n’est qu’une réaction contre un père autoritaire ou une mère dominatrice, et donc contre une institution religieuse, qui apparaît comme un prolongement de ces derniers. Quand nous commençons à nous libérer de nos attachements infantiles, il se peut que nous soyons tentés de rejeter aussi la religion. Il y a aussi ceux et celles qui ont été déçus ou trahis par des hommes religieux. En fait, nous ne voulons peut-être plus du Dieu de notre enfance, mais cela ne signifie pas forcément que nous ne voulions plus du tout de Dieu.
Alors comment retrouver une certaine crédibilité des religions ?
Une des manières de favoriser cette dimension se trouve justement dans la pratique ouverte et sincère du dialogue interreligieux, qui nous force à remonter à nos sources. Un célèbre philosophe hindou disait que nos religions prennent chacune leur source dans une eau pure et sont parfois polluées quand elles se transforment en rivières. Le dialogue interreligieux nous force à retrouver vraiment l’essentiel de ce qui constitue la source de nos religions. Dans toutes les grandes religions, il y a une dimension importante que l’on appelle le « mysticisme » ou le développement de l’âme dans la contemplation pure et la méditation. À mon avis, cette expérience mystique – qui est faite dans le bouddhisme, l’islam, l’hindouisme, la foi bahaïe, le christianisme ou encore le judaïsme – est le lieu par excellence du rapprochement entre les religions. Nous avons eu l’occasion de l’expérimenter dans un séminaire il y a quelques années au sein du Conseil des Religions.
Le rythme de vie dans nos sociétés actuelles et l’addiction aux réseaux sociaux ne laissent pas beaucoup de temps pour se plonger dans la méditation…
J’ai été personnellement beaucoup touché par une expérience qui se fait actuellement dans l’École d’Alphabétisation Fatima, à Triolet. C’est une école spécialisée pour ceux et celles qui n’ont pas passé le CPE. La direction de l’école a pris l’initiative d’introduire des « classes de silence ». Ce qui m’étonne, c’est que les élèves sont enthousiasmés et en redemandent.
Pendant la récente campagne électorale, certaines organisations socioculturelles religieuses ont ouvertement accordé leur soutien à des partis politiques. Qu’en pense le Conseil des Religions ?
Comme à chaque élection générale, le Conseil des Religions a fait sortir une déclaration dans laquelle nous demandons aux organisations religieuses de ne pas s’engager dans la politique de partis. Nous reconnaissons que notre message n’a pas été entendu par tous, mais nous continuons à crier haut et fort que l’amalgame politico-religieux est une source potentielle de violences et de conflits dans n’importe quelle société. L’engagement pris par le nouveau Premier ministre, qui a affirmé qu’aucun membre du gouvernement ne prendrait la parole dans les célébrations religieuses, nous a beaucoup réjouis. Cela représente un grand progrès pour notre démocratie. Il nous faut absolument distinguer religion et politique partisane.

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