PLUS DE SIX ANS APRÈS SON RENVOI: Le Privy Council donne raison à Jyoti Jeetun contre le SIT

Dans un jugement publié cette semaine, le Privy Council vient de décréter que la révocation de Jyoti Jeetun comme directrice générale du Sugar Investment Trust (SIT) était illégale. Retour sur l’affaire de la première victime de l’opération « lev paké allé » décrétée par Navin Ramgoolam, suite au retour au pouvoir du Ptr en 2005. Une affaire dont la conclusion légale prouve que, même si elle prend du temps et coute très cher, la justice finit par réparer les torts de ceux dont les droits ont été lésés.
En juillet 2005, le Parti travailliste revient au pouvoir après cinq années passées dans l’opposition. Ses partisans ont un appétit féroce et veulent rattraper le temps perdu. Dès son meeting de remerciements après les élections, Navin Ramgoolam donne le ton : ceux qui ne sont pas travaillistes doivent « lev zot paké allé », en commençant par le président de la République. Contre qui le Ptr monte une honteuse manifestation lors de la prestation de serment du nouveau gouvernement. Des listes de présidents et directeurs de corps para-étatiques considérés comme ne faisant pas partie des travaillistes, donc des ennemis des rouges, sont dressées. On fait savoir aux concernés qu’ils doivent démissionner pour céder la place aux nominés rouges qui piaffent d’impatience. Ceux qui refusent de partir de leur plein gré sont harcelés, font l’objet de campagnes de rumeurs et poussés à la démission.
Beaucoup préfèrent ainsi s’en aller en négociant une compensation. Ceux qui résistent sont brutalement révoqués. C’est le cas de Jyoti Jeetun, une des premières victimes de l’opération « lev paké allé ». Directrice générale du Sugar Investment Trust, elle fait l’unanimité dans le secteur des affaires. En dix ans, Jyoti Jeetun, la « gown girl » de Triolet, est devenue la dame de fer du monde des affaires mauricien, siège sur des comités et des conseils d’administration, et les patrons du privé ne tarissent pas d’éloges sur ses compétences. Elle a fait du SIT, que ses détracteurs avaient baptisé de « l’usine vié ferraille », la première étape de la vraie démocratisation de l’industrie sucrière. À travers le SIT, les travailleurs et petits planteurs étaient devenus des partenaires écoutés des patrons sucriers.
Mais pour les travaillistes, la directrice du SIT était trop proche de Paul Bérenger, alors Premier ministre et ennemi juré du Ptr. Dès la prise du pouvoir, le message suivant est envoyé au conseil d’administration du SIT, composé de trois représentants de ministère, de trois travailleurs et de trois petit planteurs : Jyoti Jeetun doit s’en aller. Elle refuse et demande un avis légal qui lui donne raison. Le harcèlement commence : des articles sont publiés dans une certaine presse, et même ses « amis », comprenant des ministres, lui conseillent, puis lui demandent de s’en aller. Les réunions du board se succèdent et, à celle du 19 août 2005, huit des neuf membres votent le renvoi de Jyoti Jeetun, malgré l’avis légal. Seul Sylvain Grenade, un représentant des travailleurs, vote contre la motion. Juste après le vote, Jyoti Jeetun est mise à la porte de la SIT : on lui interdit l’accès à son bureau et à ses affaires personnelle. Son téléphone, son ordinateur et sa voiture lui sont repris. L’opération « lev paké allé » a été exécutée. Avec une brutalité qui évoque davantage les républiques bananières que les régimes démocratiques.
Poussée à l’exil
Jyoti Jeetun décide de se battre contre ce qui est pour elle une injustice, et saisit la cour industrielle. En attendant, elle se met à la recherche d’un emploi et constate que les portes du secteur privé lui sont fermées. Ses anciens interlocuteurs – les rares qui acceptent de la recevoir – lui font comprendre qu’ils ne peuvent lui donner un emploi tant qu’ils n’auront pas reçu « un signal de l’hôtel du gouvernement ». Un seul homme osera braver cette véritable omerta gouvernement/secteur privé : Thierry Lagesse. Pendant ce temps, la cour industrielle déboute Jyoti Jeetun, en affirmant que son renvoi ne relève pas du… Labour Act. Elle décide toutefois de faire appel contre ce jugement devant la cour Suprême. Mais les banques réclament entre-temps le remboursement des emprunts, et les deux enfants sont arrivés en âge d’entamer des études universitaires. Daya et Jyoti Jeetun décident alors de quitter Maurice pour recommencer une nouvelle vie ailleurs. Ils vendent leur maison pour payer leurs dettes, et obtiennent un visa pour l’Angleterre grâce aux qualifications de Jyoti.
Tandis que Daya entre dans l’enseignement, Joyti prend de l’emploi dans le secteur bancaire et continue ses études universitaires, qui lui permettront d’obtenir un doctorat de l’université de Warwick. Sa thèse sur la transformation de l’industrie sucrière à Maurice lui permet même d’obtenir une mention et de devenir une des spécialistes de l’industrie sucrière sur le plan mondial. Elle revient à Maurice uniquement pour les auditions du procès en appel qu’elle a logé devant la cour Suprême. Son dossier est défendu par Me Rishi Pursem, et les intérêts du SIT sont représentés par Me Sanjay Buckhory, qui ne fait aucun cadeau à la plaignante. En avril 2010, la cour Suprême déclare que le renvoi de Jyoti Jeetun était illégal, et condamne le SIT à lui payer des indemnités de licenciement au taux punitif. À la surprise générale, le conseil d’administration du SIT décide de faire appel contre ce jugement devant le Privy Council. Les frais légaux de cette action sont très lourds, mais Jyoti Jeetun, persuadée que « if you believe in what is right, you should never give up, no matter what happens », decide d’aller de l’avant.
Victoire totale
À partir de septembre 2010, Joyti Jeetun exerce les fonctions de directeur adjoint du Centre pour le Développement de l’Entreprise, un organisme créé il y a trente ans par l’Union Européenne et l’organisation Afrique Caraïbes Pacifique pour la promotion du développement de l’entreprise privée dans les pays ACP. Plus de 2 500 candidats avaient postulé pour ce poste qui, pour la première fois, est attribué à une femme. Une mauricienne que les autorités de son pays avaient poussé à l’exil !
Et en début de cette semaine de Noël, le Privy Council vient de confirmer le jugement rendu par la cour Suprême : le renvoi de Jyoti Jeetun par la SIT était bel et bien illégal. La victoire de Jyoti Jeetun est totale : à la fois morale et financière. Le SIT aura à lui payer les Rs 8 millions déjà attribués par la cour Supreme, mais également des intérêts de 12% par an depuis la date de son renvoi. Le SIT aura également à payer les frais des hommes de loi qui ont représenté Jyoti Jeetun devant le Privy Council. À ces frais, on doit également ajouter les honoraires des avocats du SIT depuis le début du procès, ainsi que durant toutes les étapes ayant mené à cette défaite devant le Privy Council. En fin de compte, l’opération « lev paké allé » contre Joyti Jeetun, décidée par le pouvoir travailliste et exécutée par le conseil d’administration du SIT, va coûter aux actionnaires de ce corps para-étatique plusieurs dizaines de millions de roupies. Est-ce que les actionnaires du SIT vont accepter de faire les frais de la mauvaise gouvernance de son conseil d’administration ? La victoire légale et morale de Joyti Jeetun va certainement contribuer à une remise en cause du fonctionnement et des responsabilités des conseils d’administration des corps parapublics. Surtout quand leurs décisions, illégales, et en dépit des avis de leurs hommes de loi, coûtent des millions qui ne sortent pas de leur poche.
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Jyoti Jeetun : « Continuer le combat »
Contactée par Week-End à son bureau de Bruxelles, Jyoti Jeetun a fait la déclaration suivante : « Les fonctions que j’occupe au Centre pour le Développement de l’Entreprise m’obligent à un devoir de réserve. Bien qu’aucune compensation ne pourra payer ce que nous avons enduré, j’accueille avec satisfaction le jugement du Privy Council, qui me donne raison sur toute la ligne. Ce jugement conforte la confiance que j’ai toujours placée dans le judiciaire mauricien. Je dis merci à Mes Rishi Pursem, Rajesh Buckowansing et l’ex-juge Robert Ahnee, qui ont été mes hommes de loi. Je dis merci à ceux qui m’ont soutenu tout au long de ce combat, et j’espère que cette victoire incitera les victimes à continuer le combat pour le respect de leurs droits. »

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