Politique et trafiquants de drogue : une connivence accentuée à partir de 1983

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Avant, c’était comme un pacte de non-agression des autorités avec des barons notoires qui exerçaient ouvertement leur commerce de la mort à quelques encablures de la demeure port-louisienne d’un Premier ministre. À partir de 1983, la connivence s’est accentuée. C’était l’époque de la nouvelle donne selon laquelle « moralité pa ranpli vant » et du fameux « gouvernma dan nou lame ».

Depuis, les partis pouvoiristes se sont accommodés non seulement de la présence de trafiquants dans leur premier cercle, mais ils ont surtout bénéficié de leur argent sale pour leur campagne électorale, pour l’érection de célèbres édifices et pour l’enrichissement personnel de leurs dirigeants.

Ils ont même probablement acheté certaines élections qui se sont jouées à quelques voix près. Et c’est comme ça que la démocratie est souvent dévoyée.

Ces trafiquants notoires sévissaient déjà dans les faubourgs de la capitale depuis le début des années 70. En 1983, ils ont carrément investi l’Hôtel du gouvernement et se rendaient régulièrement avec leurs tentes bourrées de grosses coupures de banque dans certains bureaux.

Ces trafiquants étaient un peu comme les précurseurs des bouncers. Ils assuraient la sécurité aux rassemblements de l’alliance alors au pouvoir, le MSM/PTr/PMSD.

Avec la certitude que « gouvernma dan nou lame », ils ont même cru pouvoir décider qui pouvait tenir meeting à Plaine Verte et qui sont ceux qui étaient interdits sur ce qui était devenu leur territoire exclusif.

Comment ne pas se sentir intouchables lorsqu’on peut se faire prendre en photo avec les dirigeants du pays aux “garden parties” organisées à la State House?

C’est ce sentiment de totale impunité qui avait provoqué l’incident de triste mémoire de 1984 à Plaine Verte, au cours duquel Cassam Uteem et ses collègues députés du MMM, Bashir Khodabux et Osman Gendoo, qui, après avoir pris place sur le camion, furent invités à déguerpir, les chaises devant accueillir les autres dirigeants mauves étant violemment jetés sur la chaussée.

« Pena pou fer meeting isi », lançaient les barons de la drogue au vu et au su de tous.

Il y avait aussi, à l’époque, le réseau de Rose Hill avec la salle d’un culturiste qui servait de couverture à un trafic de drogue connu de tous, sauf de la police. Le propriétaire avait, lui aussi, ses entrées auprès d’un ministre MSM et un de ses proches, un avocat qui le représentait systématiquement.

Il est tombé sous les balles de la police à Chamarel en janvier 2000 alors qu’il était en cavale.

Schipol, honte nationale et internationale.

C’est ce contexte véritablement mafieux, quotidiennement dénoncé pourtant, qui a débouché sur l’affaire Amsterdam et la confirmation de l’implication de politiciens dans le trafic de drogue lui-même.

Le 30 décembre 1985, quatre députés de la majorité — Sattyanand Pelladoah, Serge Thomas, Dev Kimcurrun et Mike Nawoor, qui voyageaient avec des passeports diplomatiques — ont été interpellés à l’aéroport de Schipol aux Pays Bas.

Le député Pelladoah, travailliste de souche qui était resté avec le MSM à la majorité vacillante, après la révocation de Sir Satcam Boolell en 1984, transportait dans sa valise de couleur rouge pas moins de 20 kilos d’héroïne.

C’est cette honte nationale et internationale – et, surtout, la pétition signée par une majorité parlementaire intra-partis (37 signatures sur 70) réclamant l’institution d’une commission d’enquête sur le trafic de drogue et ses ramifications – qui avait poussé sir Anerood Jugnauth à nommer la commission présidée par sir Maurice Rault et ses assesseurs Laure Pillay et Prem Bissessur.

La commission confirma tout ce que les enquêtes journalistiques et les travailleurs sociaux avaient dénoncé depuis des lustres : le copinage malsain de certains politiques et des hauts gradés de la force policière avec des trafiquants de drogue notoires.

Ce que vient de faire aussi la commission Lam Shang Leen. La dernière commission, qui a abattu un bon travail, présente néanmoins aussi quelques criantes lacunes.

Si le MSM est, une nouvelle fois, épinglée et que trois de ses membres — Raouf Gulbul, Roubina Jadoo-Jaunbocus et Sanjeev Teeluckdharry — ont, à juste titre, été brocardés, les observateurs n’ont quand même pas manqué de noter qu’au lieu de creuser d’autres pistes, la commission a préféré les ignorer.

Il en est ainsi du cas de Kailash Trilochun, le beau-frère de Nando Bodha, l’homme aux Rs 19 millions de l’ICTA.

La seule explication donnée pour absoudre cet autre membre du MSM est qu’il s’est montré « respectueux » de la commission alors qu’il est, de tous les hommes de loi, celui qui a été le champion des rencontres avec les trafiquants de drogue purgeant une peine d’emprisonnement.

Shahezada Azaree, alias Dade, entre Navin Ramgoolam et Osman Mahomed

Même étonnement que Shahezada Azaree, alias Dade, ait été identifié par la commission comme celui qui aurait été le fournisseur de briani de Raouf Gulbul – celui qui est allé prendre son magot dans la circonscription de son leader à St- Pierre en pleine campagne électorale de 2014 –, mais que la proximité du directeur de Gloria avec les travaillistes dans la 2e circonscription port-louisienne ait été passée sous silence.

Ne serait-ce que pour connaître le degré de proximité qui l’a poussé à se mettre en évidence aux côtés de Navin Ramgoolam et d’Osman Mahomed.

Il est pourtant de notoriété que les trafiquants arrosent parfois plusieurs parties, question de ne pas miser sur un seul et mauvais cheval. La première interpellation de l’ami de Navind Kistnah avait, d’ailleurs, provoqué un certain émoi dans les milieux d’une publication où trônent des rouges assumés.

Quid de Dewdanee?

Autres regrets que peuvent légitimement avoir ceux qui veulent voir éradiquer le commerce de la drogue dure qui empoisonne le pays et ses jeunes: l’absence de toute audition d’un Geeanchand Dewdanee, le complice présumé de Navind Kistnah qui était un habitué tant du Sun Trust que des couloirs du ministère des Finances.

Geeanchand Dewdanee était un habitué tant du Sun
Trust que des couloirs du ministère des Finances

Qui n’aurait pas, par exemple, voulu savoir si cet ancien conseiller de Mahen Gowressoo, sous un gouvernement travailliste, n’avait pas planifié de voyager sur le même avion que Pravind Jugnauth de retour d’une mission en Inde?

Qui n’aurait pas voulu aussi en savoir un peu plus sur le décès du policier Arvin Hurreechurn et son “suicide” sous un lavabo, alors qu’il était en détention pour trafic de drogue après avoir été appréhendé avec Rs 35 millions d’héroïne de retour de Madagascar?

Là où précisément veut se rendre le frère de la PPS du MSM Sandhya Boygah, Veer Luchoomun, condamné pour possession de cannabis et sous le coup d’une accusation d’homicide involontaire après avoir mortellement fauché Keshava Appadoo, et ce, alors qu’il avait 63c microgrammes d’alcool dans le sang.

Pourquoi Veer Luchoomun insiste-t-il auprès des tribunaux pour que l’interdiction de quitter le pays qui pèse sur lui soit levée afin qu’il puisse se rendre à Madagascar?

Autant de questions qui restent jusqu’ici sans réponse.

Et si la commission n’a pas apporté d’éléments de réponse à ces légitimes interrogations, il ne faut pas s’attendre à ce que la police, mise à mal dans le rapport, aille enquêter de ce côté-là.

Un peu plus, un peu moins, c’est ce que l’on doit penser des autres partis et de leurs mauvaises fréquentations.

On se souvient de la proximité des dirigeants du Mouvement Républicain, dont Rama Valayden – devenu l’Attorney General de Navin Ramgoolam en juillet 2005 – avec le clan Curpen, considéré comme mêlé à un trafic de Subutex sur l’axe Paris/Port-Louis.

2005-2009, les années Subutex

Le clan Curpen côtoyait aussi le couple Valayden au Champ de mars, lieu connu comme celui de tous les blanchiments.

Pour rester dans le commerce illicite de Subutex qui avait explosé dans les années 2005/2009, il faut aussi mentionner cet autre proche de Rama Valayden : Marcelin Humbert, qui avait, en mai 2007, été arrêté avec 35 tablettes de Subutex.

Une autre affaire de Subutex jettera, pendant la même période, un discrédit sur le PMSD.

Cindy Legallant est arrêtée le 23 juillet 2008 à l’aéroport de Plaisance avec 21 755 comprimés de Subutex d’une valeur de Rs 21 millions. Elle balancera le nom de Sada Curpen comme étant le commanditaire et destinataire de la cargaison dissimulée dans des produits pour bébé.

Or, après une question posée par Rajesh Bhagwan au parlement en août 2008, le Premier ministre Navin Ramgoolam confirmera :

le PPS du PMSD Richard Duval avait approché le Prime Minister’s Office pour que Cindy Legallant ait accès à la Terrasse, un des salons VIP de l’aéroport, le 29 avril 2008, trois mois avant son interpellation avec ses gros paquets de Subutex.

Au MMM, c’est historiquement connu et encore plus depuis les coups de pied des trafiquants de drogue de 1984 aux chaises mauves; tout ce qui touche à la drogue est proscrit.

Ses membres qui sont des hommes de loi respectent depuis très longtemps la consigne de ne pas défendre les trafiquants de drogue.

Jenny Moteealoo, un temps « dans le radar » de la commission Lam Shang Leen pour avoir été en contact téléphonique avec Peroumal Veeren, avait enfreint cette consigne en défendant le dénommé Colosso, considéré comme un complice de Gro Derek.

Questionnée alors qu’elle était encore chez les mauves, elle avait expliqué que le prévenu habitait la circonscription No 4 où elle avait fait campagne. Elle a vite fait de quitter le MMM après les élections de 2014 pour rejoindre la bande à Alan Ganoo au Mouvement Patriotique (MP), avant de claquer à nouveau la porte et se consacrer à sa profession. Où elle a tout à gagner!

La politique autrement

Et justement, le MP, le parti de Tania Diolle et d’Atma Bumma, ceux qui répètent sur les antennes accueillantes qu’ils veulent « faire la politique autrement », est aussi visé. Leur orateur vedette au rassemblement du 1er mai 2017 à La Louise, Anupam Kandhai, a été critiqué dans le rapport Lam Shang Leen pour d’étranges mouvements d’argent avec des trafiquants.

Même Resistans ek Alternativ doit désormais se tourner vers un autre panel d’avocats, son représentant attitré Rex Stephen – qui, dans le temps, avait aussi dû démissionner comme magistrat parce qu’il entretenait des relations trop étroites avec une personne qui devait comparaître devant lui – a été épinglé dans le rapport sur la drogue pour avoir accepté du gros cash de Peroumal Veeren.

Rodrigues n’a pas, non plus, été épargné :

le parti de Serge Clair a été mentionné dans le rapport Lam Shang Leen pour avoir couvert un trafiquant-bouncer qui avait été arrêté par un officier de police à qui des misères ont été faites après avoir fait son travail.

Serge Clair s’est vigoureusement défendu cette semaine en annonçant lui aussi un recours à une révision judiciaire du rapport.

C’est dire que la vigilance doit être de tous les instants. Parce que les trafiquants ne sont jamais à court de méthodes, dont la plus connue est l’infiltration. Et lorsque certains politiques s’y soumettent pour se faire très vite du pognon, c’est le début de la fin.