PORTRAIT : Bhismadev Seebaluck, un passionné de belles lettres

À l’occasion du centenaire, en 2011, de la publication de Gitanjali, une collection de poésies de Rabindranath Tagore (prix Nobel de littérature en 1913), Bhismadev Seebaluck réalise son rêve d’adolescence en le traduisant en créole. Professeur d’anglais, journaliste free-lance, écrivain, dramaturge et membre fondateur de la Mauritius Drama League (MDL), il entreprend un nouveau projet, deux ans plus tard, avec la traduction de « Midsummer night’s dream » de William Shakespeare. « Enn swar en été », une adaptation en kreol de la pièce est mise en scène actuellement par son ami Anon Panyandee avec des artistes rodriguais dans le cadre de la célébration des 450 ans du poète, écrivain et dramaturge britannique. À 72 ans, ce passionné des belles lettres jette un regard critique sur la scène théâtrale locale. Rencontre…
Le premier contact de Bhismadev Seebaluck avec des grands de la littérature commence en sa demeure. « Je devais être en sixième lorsque j’ai eu pour la première fois un livre de Shakespeare entre les mains. C’était Tales from Shakespeare que j’avais trouvé à la maison ». À l’époque, notre interlocuteur vivait à Flacq où il a passé son enfance. Après sa scolarité primaire, admis au collège Royal de Port-Louis (RCPL), le jeune Bhismadev va vivre chez une tante dans la capitale. De là date sa première rencontre avec Rabindranath Tagore. « Elle avait une photo de Tagore avec sa grande barbe et ses grands cheveux blancs accrochée au mur. J’étais attiré par cette photo. Entre-temps, j’ai découvert la librairie Nalanda à la rue Bourbon qui faisait venir des livres de l’Inde. Je feuilletais tout. Baigné dans cette atmosphère, je commençais à dévorer les écrits de Tagore : pièces de théâtre, ensuite romans et poésies ». Lorsqu’il lit Gitanjali, le jeune Bhismadev est séduit et ce, même s’il ne comprend pas tout. « Dès cette époque, j’essayais de le traduire en kreol, mais il y a beaucoup de mots et de phrases que je ne comprenais pas. C’était du vieux anglais, traduit du Bengali. Il était très difficile de saisir tout le sens du texte. Je n’arrêtais pas de le tourner et le retourner dans ma tête. Je ne connaissais pas encore la chanson ». Dans ses cours de littérature, Bhismadev Seebaluck étudie d’autres textes de Shakespeare : Macbeth, Julius Cæsar, entre autres. « Nous avions même monté la pièce Jules César avec Cassam Uteem, Marc Anthony, M. Mamoojee et Ravin Bunwaree », se souvient-il.
C’est à la Teacher’s Training School qu’il découvre la mise en musique de Gitanjali. « Il y avait un professeur, M. Ramprakash, un Indien, qui, à l’occasion du centenaire de Tagore en 1961, avait donné une conférence sur lui. C’est là que j’ai découvert la chanson. Ce fut le déclic, j’ai développé un attachement pour Tagore ». Lors de ses études en BA English en Inde, Bhismadev Seebaluck va au théâtre voir les pièces de Tagore en hindi et en bengali. Il va aussi à l’opéra et assiste aux spectacles donnés en son honneur.
Bhismadev Seebaluck prend la plume à sa sortie du collège. Il commence à écrire pour les journaux en tant que journaliste free-lance et touche ensuite à l’écriture créative. En 1980, il écrit Thorns and roses qui est mis en scène par la MDL. Un an plus tard, le texte est publié. Bhismadev Seebaluck continuera à écrire et publie successivement The Young ones, The Angels, An Appointment with death, The Three wishes, The Hunter Hunted, Mahabharata et the Shattered Rainbow, parmi d’autres, dont des textes scolaires. Cependant, toutes ses pièces n’ont pas été jouées jusqu’à présent et c’est avec regret qu’il évoque la censure de la pièce Shattered rainbow, qu’il écrit après la mort de Kaya en prison et les émeutes qui s’ensuivirent. « Il était difficile de trouver des gens pour jouer cette pièce à l’époque et même quelqu’un pour la mettre en scène. En 2005 ou 2006, un groupe était intéressé à la présenter au National Drama Festival mais il n’avait pas eu l’autorisation d’aller de l’avant ».
Pour Bhismadev Seebaluck, « une pièce ne peut être jugée seulement par rapport au texte ». « Il important que le lecteur aille au fond pour comprendre ce qui est dit. Dans Shattered rainbow, j’ai raconté les faits tels qu’ils se sont produits. Mais en même temps, j’ai voulu montrer que la violence ne mène à rien. Je trouve aberrant qu’on juge une pièce par rapport au texte, alors qu’il faut voir la présentation. Par exemple, un texte comme Roméo et Juliette peut être accepté par la censure mais le metteur en scène peut présenter la scène d’amour à sa manière ».
Bhismadev Seebaluck estime qu’il reste beaucoup à faire sur le plan local pour amener le théâtre à un niveau professionnel. « De temps en temps, on a de bonnes pièces et c’est à l’initiative des artistes et metteurs en scène qui le font par amour. Il faudrait une vraie politique de théâtre. Il y a un public pour cela. Sur 1,2 million d’habitants, il y en a peut-être 10 % qui seraient intéressés à aller voir une pièce de temps à autre. Il ne faut pas oublier les touristes, presque un million par an. Je pense qu’il y en aurait beaucoup qui seraient intéressés. Pour cela, il faut avoir des gens intéressés à investir et l’infrastructure nécessaire. Le gouvernement aurait pu le faire. Hormis les salles de théâtre qui sont fermées depuis trop longtemps comme le théâtre de Port-Louis et le Plaza, il y a d’autres lieux, d’autres salles qui peuvent les accueillir : le théâtre Serge Constantin, le centre Indira Gandhi pour la culture indienne (IGCIC), le Mahatma Gandhi Institute (MGI), le Rabindranath Tagore Institute (RTI), le J & J Auditorium, sans compter toutes les State Secondary Schools (SSS). Il est vrai que certains de ces lieux demandent un aménagement acoustique mais avec une vraie volonté ça peut se faire », estime-t-il, en soulignant que « des fonds internationaux sont disponibles et qu’il suffit de présenter un bon projet ». M. Seebaluck prend en exemple le théâtre Komiko. « Si Komiko peut le faire et peut payer ses artistes, pourquoi est-ce que d’autres ne réussiraient pas ? »
Évoquant son expérience rodriguaise, il affirme que la réussite de Gitanjali, présentée par les artistes rodriguais selon une mise en scène d’Anon Panyandee au début de l’année, les a motivés pour y retourner avec Enn swar en été. Après la sélection des artistes, c’est M. Panyandee qui y retourne régulièrement pour travailler avec les artistes. « C’est formidable de travailler avec eux », affirme M. Seebaluck qui évoque l’engouement de ces jeunes artistes pour le théâtre. « Ils sont ponctuels et disciplinés. On dirait qu’ils vivent pour l’art ».
Malgré quelques soucis de santé ces derniers temps, Bhismadev Seebaluck, qui est aussi membre de la Mauritian Writers’ Association, continue à écrire. Il a de nombreux projets en chantier.

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