PORTRAIT: La réussite d’un exilé politique

Sir James Mancham est sans doute le plus connu des présidents de la République renversés par un coup d’Etat. En route pour les Seychelles, il vient de faire un saut à Maurice entre un séjour dans le golfe et un prochain voyage en Australie. Portrait d’un politicien qui a su faire de son statut d’exilé un véritable atout professionnel.
Né en 1936 d’une famille bourgeoise seychelloise, James Mancham fait ses études secondaires en Grande-Bretagne avant de suivre des cours de droit à Paris. Revenu aux Seychelles en 1963, il exerce comme avocat avant de se lancer dans la politique en fondant le Seychelles Democratic Party. Parti qui remporte les élections de 1976 faisant des Seychelles une république et de James Manchan son premier président. Après les élections, il offre à Albert René, son adversaire d’obédience socialiste, le poste de Premier ministre pour calmer les tensions nées de la campagne électorale. Selon ses adversaires, James Mancham procède à cette nomination pour pouvoir disposer de plus de temps et se livrer à ses occupations favorites : voyager, participer aux conférences internationales et jouir des plaisirs de la vie. En juin 1977, alors que James Mancham participe, à Londres, aux manifestations marquant le jubilé de la reine d’Angleterre, Albert René procède à un coup d’Etat aux Seychelles. Le président Mancham est déposé et l’archipel devient une république socialiste. La reine d’Angleterre accorde asile politique au président déposé et lui confère le titre de chevalier, comme consolation assurent les adversaires de Mancham. Au lieu de se laisser abattre, et sombrer dans l’oubli comme beaucoup de politiciens ayant subi le même sort, sir James Mancham va capitaliser sur son nouveau statut d’ex-président de République en exil politique. Il prend de l’emploi comme consultant et surtout il se fait une place dans la jet set internationale entre les impératrices et autres souverains en exil et les vedettes du show-biz et du monde de la finance. Il est de toutes les fêtes et profite de la moindre occasion pour dénoncer le régime militaire d’Albert René, surtout dans les capitales du monde occidental trop heureuses d’accueillir une victime du système socialiste. Au titre de président en exil James Mancham va aussi ajouter à sa carte de visite celui de leader de l’opposition seychelloise, très actif dans les milieux des seychellois réfugiés à l’étranger.
Quinze ans plus tard la situation géopolitique et économique du monde a drastiquement changé. Le bloc socialiste s’est écroulé en suivant le mur de Berlin, le capitalisme a terrassé le communisme et régente la planète à travers l’économie libérale. Albert René, qui a dirigé les Seychelles d’une main de fer, doit lâcher du lest pour continuer à faire partie du concert des nations et bénéficier de l’aide financière internationale. En 1992, sous la pression des instances internationales, il annonce un retour à la démocratisation et au multipartisme et invite James Mancham à revenir dans l’archipel. Le retour du président déchu est triomphal : il se proclame apôtre de la réconciliation nationale, anime des meetings où il chante «una Paloma blanca», sa chanson préférée, prend la tête de l’opposition et l’organise pour participer aux premières élections seychelloises démocratiques depuis 1975. Mais avant la pays doit voter une nouvelle constitution, ce qui prend du temps, notamment le fait que la rédaction de la constitution se fait à travers une commission nationale dont les auditions sont retransmises en direct à la télévision, ce qui permet a Mancham d’en tirer un capital politique. Les première élections « free and fair » des Seychelles ont finalement lieu en 1993. Elles sont remportées par Albert René qui a fait campagne sur l’origine des importants moyens financiers dont dispose Mancham, sa méconnaissance des problèmes seychellois, son besoin compulsif de voyager à travers le monde. Pour sa part, Mancham attribue la victoire de René à sa mainmise sur tous les leviers du pouvoir et plus particulièrement au rôle de l’armée dans l’archipel. Mancham déclare alors: « Nous avons perdu un combat, pas la guerre contre René » et va continuer à faire de l’opposition, dont il est le chef pas encore incontesté. Il participa à quelques-unes des élections suivantes, toujours remportées par le gouvernement et quittera les Seychelles en 2008, le jour même du scrutin qui l’opposait à James Michel, le successeur d’Albert René. Un départ précipité mal accueilli par l’opposition et raillé par le camp du gouvernement.
Depuis, sir James Mancham n’a pas fait de l’opposition au gouvernement seychellois sa principale activité, ce qui a donné l’occasion à ses adversaire de le qualifier de « chef de l’opposition off shore », passant plus de temps à l’étranger que dans l’archipel. James Mancham préfère visiblement consacrer beaucoup de son temps à voyager et à participer à des activités internationales. Mais contrairement à  ses premières années d’exil, il a abandonné le milieu glamour et très médiatisé de la jet-set pour des organisations un peu plus mystérieuses. Comme la Fédération Universelle pour la Paix, créée, dirigée et financée par le réverend Moon, homme d’affaires sud-coréen par ailleurs grand prêtre d’une religion dont la spécialité était le mariage collectif — des milliers à la fois — de ses fidèles. Souvent interrogé sur le rôle de cette fédération dont il a été le président mondial, sir James Mancham a toujours répondu que, « l’UFP est un mouvement soutenu par d’innombrables personnalités mondiales, dont des anciens présidents américains et dont les objectifs sont de promouvoir la paix dans le monde ». Si James Mancham est toujours discret sur les organisations internationales dont il fait partie, il est plus loquace sur la situation dans son pays natal. Interrogé sur la politique seychelloise il a ceci a dire: « M. Michel quitte de plus en plus la politique de M René. Il a compris que la réalité économique était plus importante que le discours idéologique. Les Seychelles doivent tourner le dos au passé, regarder vers l’avenir, consolider la stabilité et vivre dans la réalité et pas un rêve révolutionnaire qui n’existe plus. L’oppositon est divisée et Michel a été élu sur le principe the devil we know is better that the devil we dont know. Il n’y aura pas de futur pour l’opposition aux Seychelles aussi longtemps qu’elle sera divisée comme elle l’est aujourd’hui. Il faut aller vers un gouvernement d’unité nationale avec tous les partis politiques. Je crois que James Michel va dans cette direction, ce n’est malheureusement pas le cas de l’opposition. » Un mot sur la situation politique mauricienne pour terminer ? « Je ne veux pas entrer dans la politique interne de Maurice. Mais en tant qu’observateur politique, j’aimerais dire ceci : il y a toujours des problèmes politiques à Maurice mais ça fait partie du jeu démocratique. Vous êtes le seul pays de la région qui n’a pas connu de coup d’Etat. Comme je l’ai fait aux Seychelles, je demande aux leaders mauriciens de mettre en premier d’abord et avant tout les intérêts de Maurice et des Mauriciens. » Aujourd’hui sir James Mancham est un voyageur professionnel qui parcourt le monde de conférence en forums, de congrès en symposiums pour offrir son expérience et ses réflexions aux autres. Après avoir été déçu par les Etats Unis et l’avoir écrit dans «Oh, mighty America», il a eu un épisode sud-coréen avant de créer des liens avec des dirigeants de certains pays du golfe arabe. Lors de son dernier passage à Maurice, pour célébrer les 15 ans de l’hôtel PLM Azur de son ami Maxime King, sir James Mancham a profité pour distribuer des copies de la réédition de son dernier livre «Seychelles Global citizen». Il en a également profité pour expliquer qu’il veut faire moins de politique partisane pour faire de la politique globale. « Je veux prendre de la hauteur et du recul, avoir une vue globale, pas partisane de la situation. Car le monde a aujourd’hui besoin de plus d’hommes d’Etat que de politiciens. Les politiciens sont élus pour un mandat et beaucoup d’entre eux travaillent plus pour se faire réélire que pour gérer efficacement leur pays. Ce besoin d’être réélu influe sur les décisions qu’ils doivent prendre. Il faut faire appel aux hommes d’Etats qui n’ont pas la hantise d’être réélu. » C’est en tout cas une des idées que l’ex-président des Seychelles défend dans son prochain livre. Dans cet ouvrage qu’il est en train de terminer, sir James Mancham proposera un nouvel ordre économique mondial pour remplacer l’actuel qui « est en train de s’écrouler comme ce fut le cas du fameux mur de Berlin ».
Finalement il faudrait peut-être que sir James Mancham remercie Albert René de l’avoir renversé en 1977. Sinon il n’aurait pas été le jet-setter et grand voyageur avec une réputation internationale qu’il est devenu, mais un simple président de République. « C’est vrai et je l’ai déjà dit à Albert René : en me fermant les portes des Seychelles en 1977, il m’a ouvert celles du monde. »

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