PORTRAIT : Mère Monique, la Doyenne des Lorettes

La semaine prochaine les couvents de Lorette célèbreront le 170éme anniversaire de leur installation à l’île Maurice. Plusieurs activités, dont un défilé du port jusqu’au couvent de Port-Louis, seront organisées pour célébrer l’événement. En marge de cet anniversaire, nous sommes allé à la rencontre de Mère Monique, ancienne Supérieure du Couvent de Port-Louis et la doyenne des soeurs de Lorettes mauriciennes, qui a passé plus de soixante-dix ans au sein de cette institution. Merci à Danielle, qui nous a donné l’occasion de réaliser ce portrait de Mère Monique.
La doyenne des soeurs de Lorettes habite à Shalom, une jolie maison de retraite pour religieuses située en plein coeur de Quatre-Bornes. Comme toutes les résidentes de cette maison, Mère Monique est très occupée entre les traductions pour le compte du diocèse, la rédaction de quelques articles, la lecture et les leçons particulières qu’elle donne aux enfants du personnel qui fréquentent encore le cycle primaire. Et, surtout, la messe quotidienne de Notre-Dame du Rosaire où elle se rend à pied en marchant un bon kilomètre. Si le poids des ans qui se fait sentir sur ses épaules a ralenti son allure, à 96 ans, Mère Monique a le regard pétillant, la répartie vive, de l’humour et raconte avec simplicité sa vie qui se confond avec celle du couvent de Lorette. Est-ce que Monique Desvaux de Marigny a toujours eu la vocation religieuse ? « On ne naît pas religieuse, on choisit de le devenir. Je suis devenue religieuse parce que j’ai cru que c’était le Bon Dieu qui me le demandait et je crois que je ne me suis pas trompée. Mais, au départ, je voulais me marier et avoir beaucoup d’enfants, mais en même temps je sentais comme un appel qui s’est précisé plus tard. Dans mes rêves d’adolescentes, je me voyais toujours entourée d’enfants et de petits-enfants, mais le mari était toujours flou. » Contrairement à ce que l’on pourrait croire, celle qui allait devenir Mère Monique n’a pas fait ses études au couvent de Curepipe, mais à l’école Leconte située à Curepipe Road. Elle finira ses classes dans cette petite école, après un long séjour à Madagascar où son père travailla pendant six ans. Après ses études, elle est engagée à l’école Lebon où elle enseigne, entre autres, les mathématiques. C’est à l’âge de 25 ans qu’elle décide de se faire religieuse, ce qui surprend un peu son entourage et choisit de devenir une soeur de Lorette. Pourquoi ce choix ? « J’avais quand même pris le temps de réfléchir et de choisir l’ordre religieux qui correspondait le plus à mes aspirations. Le choix à l’époque était entre les Lorettes, les Réparatrices, les Filles de Marie et les soeurs du Bon Secours. Je voulais être religieuse en servant Dieu tout en continuant à étudier et surtout à enseigner. Le couvent de Lorette correspondait exactement à ce que je voulais faire. » La future religieuse prend sa décision en octobre 1943, entame les démarches nécessaires et démissionne de son emploi, mais elle ne rentrera au couvent qu’en juin de l’année suivante. Comment s’est effectué le passage de la vie civile à la vie au sein du couvent ? « Il s’est fait assez facilement, je dirais, mais il y a eu des difficultés au début parce que je ne connaissais pas les religieuses et je n’étais pas habituée à leur genre de vie. Par ailleurs, j’étais très timide, ce qui fait que je ramassais tout en moi, ce qui n’était pas toujours agréable. Mais à part ça, je n’ai pas eu de problème majeur. En attendant que j’entre au couvent, les religieuses m’ont demandé de venir donner un coup de main comme enseignante et les choses se sont mises en place naturellement. A l’époque, on était postulante pendant six mois, puis il y avait deux années de noviciat et après on prenait ses voeux temporaires pour une période de cinq ans, pour celles qui auraient voulu s’en aller. Moi, une fois que j’ai mis mes pieds au couvent, je n’ai jamais pensé à partir. » La vie était difficile au couvent ? « Il y a des difficultés partout dans la vie. Ce qui m’a le plus manqué, au départ, ce sont les grandes promenades que je faisais avec mon père les dimanches. En ce temps-là, quand on entrait au couvent, on ne revenait plus dans sa famille, même pas pour une petite visite, sauf pour des cas de mortalité. La famille pouvait nous rendre visite au parloir et la seule sortie autorisée était une consultation de médecin ou de dentiste ! J’avoue que dans les premiers temps, j’étais contente d’avoir mal aux dents pour pouvoir sortir du couvent. Mais je me suis bien vite habituée au nouveau rythme de vie. On faisait de petites tâches ménagères et il y avait ensuite des prières, des études des textes religieux, mais notre travail principal était l’enseignement, moi j’enseignais les mathématiques, le français, La première année, j’ai fait toutes les classes et tous les sujets parce que j’étais remplaçante. Après, on m’a envoyé ailleurs, dans les autres couvents, très longtemps à Port-Louis et à Vacoas et peu de temps à Curepipe. J’ai travaillé surtout pour le secondaire. Là où on avait besoin d’une enseignante, on m’envoyait. La Provinciale m’a demandé d’aller à Port-Louis comme Supérieure et Maitresse des classes. Je lui ai dit Supérieure je peux et je l’ai déjà fait, mais que j’étais incapable d’être maîtresse des classes, d’autant que je n’ai pas beaucoup d’autorité. La Supérieure m’a dit qu’il n’y avait que moi de disponible et que j’allais avoir le soutien des enseignants, ce qui était vrai. » La première fois que Mère Monique va travailler à Port-Louis, c’était en janvier 1960, quelques semaines après le cyclone Carol passait sur Maurice. « Pendant le passage de l’oeil du cyclone, nous avons dû nous réfugier avec notre primus et les provisions disponibles dans les classes du seul bâtiment en dur du collège, avec soixante-dix autres réfugiés. La vieille maison en bois menaçait de nous tomber sur la tête. C’est là que nous avons passé la deuxième moitié du cyclone en entendant des bruits terribles de tôles et de bois arrachés. Après le passage du cyclone, nous nous sommes rendu compte que la maison des religieuses avait été totalement écrasée par Carol. »
« Je me dis que si j’ai pu avoir fait un peu de bien à celles qui ont été mes élèves, leur avoir inculquer des valeurs humaines pour mieux vivre avec leurs proches, leur voisin et faire bien avancer la société et le pays, c’est ça qui est important, non ? »
Après plus de cinquante ans passés au sein du couvent de Lorette, quel est le regard que Mère Monique jette sur cette institution qui va célébrer ses 170 ans la semaine prochaine? « Un regard empreint de fierté parce que nous avons réussi à réaliser la vision des premières religieuses de Lorettes. Ces premières religieuses irlandaises sont arrivées à Maurice à la demande de l’Evêque d’alors, Monseigneur Collier, pour une raison précise. Il trouvait que les femmes avaient une grande influence dans leurs foyers et que si elles recevaient une bonne éducation morale et religieuse, elles le transmettraient à leurs familles. L’idée était donc de développer toutes les possibilités et toutes les potentialités des élèves et leur donner une foi solide et une dimension morale pour affronter la vie. Quand l’école s’est ouverte en 1846, le pensionnat n’avait que 5 élèves. A Pâques de cette année, il y a eu dix autres et après doucement, doucement ça s’est rempli. Ce n’est qu’après qu’on ouvert le collège aux externes. A l’époque, on ne faisait pas faire des études aux filles et cette mentalité a duré des années et des années. On trouvait ça normal, à l’époque. Ce sont les religieuses du couvent de Lorette qui ont commencé l’éducation des filles à Maurice, de manière organisée. Avant, il y avait des pensionnats avec très peu de filles, de manière sporadique. Les religieuses irlandaises ont eu beaucoup de difficultés au début, ce n’est qu’après qu’elles ont bénéficié de dons, de maisons entre autres, qui leur ont permis de donner des bases financières solides à leur institution. » Il faut souligner que les soeurs de Lorette ont dû parfois tirer le diable par la queue pour faire avancer le collège, dans les premiers temps. Mère Monique tient également à souligner que depuis longtemps le couvent de lorette a ouvert les portes de ses établissements aux élèves non catholiques. Pour elle, c’est une caractéristique du premier grand collège de filles mauricien qu’il faut souligner. « Cela fait longtemps que les non-chrétiennes fréquentent le couvent. Elles ne faisaient pas les classes religieuses, mais il me semble qu’elles aimaient l’ambiance de l’école et il fallait les voir le matin à l’assemblée qui était une occasion pour dire aux élèves de montrer ce qu’il y a de bien en chacun de nous, de partager avec les autres, de donner à ce qui n’ont pas, ce qui est enseigné par toutes les religions, n’est-ce pas? Le fait que nous soyons une institution catholique n’était pas considéré comme un obstacle. Les parents non catholiques choisissaient le couvent pour sa discipline et son enseignement moral. Ce qui caractérise aussi le couvent de Lorette, ce sont les valeurs que nous avons toujours défendues et promues. Les valeurs spirituelles, mais aussi morales. Il y a aussi un esprit Lorette fait de camaraderie, de partage, de charité. Mais je suis obligé de constater que depuis quelques années, l’esprit de compétition a aussi fait son chemin au couvent. Ce n’est pas aussi prononcé qu’ailleurs, mais il existe, puisqu’il fait partie du fonctionnement de la société mauricienne d’aujourd’hui. Mais je crois que malgré tout les valeurs que nous défendons, elles ont une influence sur nos élèves et elles le disent quand l’occasion leur est donnée, et cela vaut aussi pour les anciennes élèves non catholiques. Je me dis que si j’ai pu avoir fait un peu de bien à celles qui ont été mes élèves, leur avoir inculquer des valeurs humaines pour mieux vivre avec leurs proches, leur voisin et faire bien avancer la société et le pays, c’est ça qui est important, non ? C’est émouvant de rencontrer d’anciennes élèves, de recevoir parfois des lettres qui témoignent de l’importance qu’ont eue le collège et ses enseignants dans la vie de milliers d’élèves. »
« En ce moment, ce que j’entends à la télévision et ce que je lis dans les journaux les magouilles, tout ça, je trouve tout cela épouvantable. Cela me fait beaucoup de peine de penser que la malhonnêteté semble être en train de prendre le dessus à Maurice. »
Au cours de ses plus de cinquante ans passés au couvent de Lorette, Mère Monique a eu l’occasion de suivre l’évolution du pays dans le domaine de l’éducation. Elle se souvient en particulier de l’annonce de l’éducation gratuite au secondaire. « C’est une bonne chose et il fallait donner la possibilité à tous les petits Mauriciens de faire des études secondaires. Mais la manière que cette mesure a été annoncée, à la veille d’une élection, a pris tout le monde par surprise. La décision politique a été prise en décembre et il fallait la mettre en pratique à la rentrée, en janvier. Disons que la mise en place de l’éducation gratuite a été assez compliquée et que cela a pris des mois, sinon plus. On peut aussi dire que cette mesure a représenté un changement important dans l’éducation à Maurice. » Elle se souvient aussi de la GN 114, que certains avaient bibliquement surnommée la « géhenne 114 », des réunions des responsables des écoles catholiques pour faire face à cette mesure gouvernementale et la longue polémique qui a suivi et qui n’était pas toujours dans l’intérêt des élèves. Cette période fait partie des mauvais souvenirs de la carrière de Mère Monique ? « Il y a eu des choses qui étaient moins faciles, sans doute, mais je n’en ai pas gardé le souvenir. Je me souviens surtout de l’esprit de famille qui réunissait les enseignants, les élèves et les parents. Tous faisaient partie de la même institution. Mais petit à petit les choses ont changé comme la mentalité a changé dans le pays. » Quel est le regard que Mère Monique jette sur le pays en 2015 ? « Un regard épouvanté. Au niveau de l’éducation, je suis effarée par l’importance prise par la compétition pour obtenir une place dans un bon collège, pour obtenir une bourse d’études. Je ne veux pas dire qu’il n’y avait pas de compétition entre élèves autrefois, mais elle n’avait pas atteint le niveau actuel. Il y avait une compétition saine. On ne cachait pas les livres de la bibliothèque pour empêcher d’autres élèves de les lire, comme cela se passe aujourd’hui, m’a-t-on raconté. Mais cela ne se passe pas qu’au niveau des collèges, mais aussi du pays, d’après ce que je comprends. En ce moment, ce que j’entends à la télévision et ce que que je lis dans les journaux les magouilles tout ça, je trouve tout cela épouvantable. Cela me fait beaucoup de peine de penser que la malhonnêteté semble être en train de prendre le dessus à Maurice. » Revenons à la carrière d’enseignante de Mère Monique qui « s’arrête » quand elle atteint ses soixante-dix ans. « A cette époque, on pouvait travailler jusqu’à 70 ans. Quand je les ai eus, j’ai pris ma retraite pour aller… travailler dans les centres de développement des Lorettes. Ces centres ont été ouverts par les soeurs de Lorette suite à un mandement de carême de Monseigneur Jean Margéot dans les années 1970 qui s’intitulait  ‘Travailler au développement’. Nous avons ouvert des centres de développement qui s’adressaient aux élèves qui n’avaient pas passé la CPE. On leur apprenait à se préparer pour affronter la vie active et même à repasser les examens. On a dit, par la suite, que nos centres ont servi de modèles pour les écoles prévoc du gouvernement. J’ai travaillé à Bambous Virieux et puis au centre Mary Ward, jusqu’à mes 80 ans. » C’est à cet âge que vous avez effectivement pris votre retraite ? « Mais, cher monsieur, dites-vous bien que les religieuses de Lorette ne prennent jamais de retraite, si Dieu leur donne une bonne santé. Depuis que j’ai quitté les centres de développement, j’aide, quand on me le demande et que je le peux. Disons que j’ai une retraite active, mais de toutes les façons je me serai ennuyée à ne rien faire. Il y a toujours des choses à faire, on peut toujours aider un peu par-ci, par-là. Par exemple, en donnant des leçons aux enfants du personnel de notre maison de retraire qui ont besoin d’un coup de main pour les examens, des choses comme ça. » Est-ce qu’il y a eu un regret dans cette longue carrière ? Un temps de réflexion suit la réponse donnée avec un sourire malicieux. « Mère Catherine était provinciale quand j’ai eu 70 ans et que je devais prendre ma retraite. Elle m’a demandéé : Qu’est-ce que vous auriez voulu faire maintenant que vous avez votre retraite ? Je lui ai dit que j’aurais aimé apprendre à conduire. A 70 ans, on n’aurait pas accepté de me donner le formulaire à remplir pour obtenir un learner ! Mais de manière générale, on a toujours envie d’avoir des choses qu’on ne peut pas avoir ou de faire des choses qu’on ne peut pas faire. Mais à, part la conduite, qui est plus une anecdote qu’autre chose, je n’ai pas de regret. » Est-ce que Mère Monique l’enseignante avait bonne réputation parmi les élèves du couvent ? « Certaines disent que j’avais une bonne réputation parce que je criais rarement et que je ne menais pas mon monde à la baguette. Je ne criais pas parce que je n’ai pas beaucoup de voix, mais je m’arrangeais pour me faire entendre. Mais j’ai appris que l’on me surnommait ‘la douce entêtée’, ce qui est assez juste. Quand je trouve que quelque chose est nécessaire, je tiens à ce que ce soit fait. » Est-ce que Mère Monique va participer à la marche du 8 septembre, pour célébrer les 170 ans de présence des soeurs de Lorette à Maurice ? « C’est une question qu’il faudra poser à mes jambes au matin du 8 septembre. Mais si je ne peux pas faire la marche, je vais essayer de venir à la cérémonie. Autrefois, le couvent de Lorette avait une grande influence sur le pays, cela a diminué, il y a beaucoup plus d’écoles pour les filles, aujourd’hui, mais je crois que notre bonne réputation perdure et j’espère que cela va continuer. Il faut rappeler que cela fait 170 ans que les Lorettes sont à Maurice et, en toute modestie, je crois qu’on peut dire que nous avons fait du bon travail et contribué à l’avancement du pays. » Terminons sur une note plus intime : la carrière d’enseignante que nous avons évoquée dans ce portrait est une réussite. Est-ce qu’au niveau spirituel Mère Monique est satisfaite de sa vie ? « Quand on entre au couvent, il faut se choisir une devise. J’avais choisi : Il faut qu’Il, c’est-à-dire Jésus Christ, grandisse et que je diminue. Et regardez-moi : je suis en train de diminuer, de me courber de plus en plus sous le poids de l’âge. Par conséquent, il est en train de grandir…  » On peut donc conclure que vous avez eu une vie heureuse ? « Ah oui, j’ai eu la chance d’avoir une vie bien heureuse à tous points de vue. »

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