Portrait : Nili Stone ou le retour aux racines indiennes

Curieux itinéraire de vie que celui de Nili Stone, née Gungarparsad. Issue d’une famille mauricienne d’origine hindoue, initiée à l’ayurveda par sa grand-mère et sa tante, elle est instruite par un prêtre catholique avant de se rendre en Israël. Séduite par la culture juive, elle demande et obtient la nationalité israélienne, avant d’épouser un juif d’origine américaine et d’avoir deux enfants qui vivent entre Maurice et Israël. Nili a toujours voulu connaître ses origines et faire un retour aux sources. Elle vient d’effectuer un voyage en Inde où elle a retrouvé sa famille et les villages où vivaient ses ancêtres. Voici son portrait.
Nili est née et a grandi à Quatre-Bornes avec son frère. Son père était tailleur, sa mère femme au foyer et la famille très influencée par la religion, du côté de son père, descendant d’une famille de brahmanes. En dépit de cette tradition religieuse, Nili a été élevée spirituellement par le prêtre catholique Petitjean, au point où on l’avait surnommée « tifi mon père ». « Je peux dire que le père Petitjean m’a fait grandir dans la spiritualité, découvrir ma voie et m’a emmenée en Israël dans ce qui a dû être un des premiers pèlerinages de Mauriciens en Terre Sainte. J’avais 14 ans et je me suis tellement sentie chez moi en Israël que j’y suis retournée l’année suivante et puis j’y suis restée. Par la suite, j’ai fait des études en médecine traditionnelle et je me suis ensuite convertie au judaïsme avant d’obtenir la nationalité israélienne. »
Qu’est-ce qui pousse une Mauricienne à changer de religion et de pays ? « Je n’ai rien changé mais j’ai adopté un nouveau pays, une autre religion avec des traditions dans lesquelles je suis à l’aise. J’ai pris du temps avant de me convertir, puisqu’il fallait convaincre des rabbins du bien fondé de ma démarche et de mon engagement. Je suis devenue juive tout en ne reniant pas ce que j’ai de Mauricienne en moi. »
L’amour des médecines traditionnelles, dont Nili va en faire son métier, et lui vient des parents du côté de sa mère. « J’ai toujours suivi ma grand-mère, Lilawtee Bissoo, qui soignait les gens avec des plantes, faisait des accouchements et des massages. J’avais également une tante, Jasoda Bissoo, qui était sage-femme, alors que son mari “craquait” les gens selon des méthodes traditionnelles. C’étaient des gens qui n’avaient pas fait des études mais hérité des traditions spirituelles et médicinales ayurvédiques de leurs parents. »
Après avoir acquis la nationalité israélienne, Nili entreprend donc des études en médecine traditionnelle, ce qui lui permet de se rendre compte que, sans le savoir, elle avait retenu ce que faisait sa grand-mère et sa tante avec les plantes, ce qui l’aidera pour ses études. Elle vit dans un kiboutz et commence à travailler dans une clinique prodiguant des soins ayurvédiques et des cours de yoga, et donne des conseils de vie sur son site web, avant de rencontrer son mari, un orthopédiste juif d’origine américaine.
Deux enfants vont naître de l’union entre l’Américain et la Mauricienne, tous les deux naturalisés israéliens : un petit garçon, Orisraël, et une petite fille, Nava. Tout en s’occupant de sa clinique, Nili va aussi s’occuper de ses enfants en leur faisant du home schooling. C’est-à-dire que ses enfants ne vont pas à l’école et que c’est elle qui leur fait la classe à la maison. Elle n’a pas confiance dans les écoles ?
« C’est un choix. Je pense que je peux donner une meilleure éducation à mes enfants par cette méthode qu’en les envoyant dans une école publique ou privée. J’ai envie de suivre le plus près possible l’éducation de mes enfants. Ils suivent un programme scolaire, que je surveille de près, rencontrent des gens, jouent avec d’autres enfants, voyagent, étudient de façon permanente à leur rythme et passent les examens voulus. J’ai heureusement les moyens de me consacrer à l’éducation de mes enfants et je pense que c’est très important. » Mais le fait de penser à leur avenir n’empêche pas Nili de s’intéresser aux origines de sa famille.
Depuis plusieurs années, elle pose des questions sur ses grands-parents et surtout sur celui qui est le premier est venu d’Inde à Maurice pour fonder une famille dont elle constitue la cinquième génération. « À chaque fois que je voulais aller plus loin dans le temps, faire des recherches aux archives, on me décourageait en disant que cela n’en valait pas la peine, que c’était difficile et que je n’aboutirais à rien. » En dépit de ces “conseils”, Nili persiste et entame des recherches aux archives pour obtenir des copies d’actes de naissance de ses grands-parents pour pouvoir remonter le temps.
« Au fil de mes recherches, je me suis rendue compte de certaines choses : beaucoup de Mauriciens se contentent de parler de retrouver leurs racines juste parce que c’est bien de le dire. D’autres font des recherches pour établir que leurs ancêtres venaient d’Inde, ce qui leur permet d’obtenir la carte de PIO (Person of Indian Origin) qui offre certains avantages. Je suis très étonnée que certains disent avoir fait des recherches pour retrouver le village de départ et qui n’ont pas réussi. Je crois que, quelque part, on dit vouloir retrouver ses racines et en même temps on a peur de cette découverte. Beaucoup, même des membres ma famille, m’ont découragée. »
Mais Nili laisse dire et continue ses recherches jusqu’à ce que cette année, elle obtienne l’acte de naissance de son ancêtre qui a quitté l’Inde pour venir travailler comme engagé Maurice. « Il y avait à côté de son nom un numéro qui le réfère aux archives du MGI où sont conservés les certificats d’entrée des immigrants indiens. Là-bas, j’ai obtenu un document qui m’a permis de découvrir qu’à l’origine notre nom était écrit Gangahpersaud et qu’il était mal écrit. Mon ancêtre s’appelait Gungah, et parsad (écrit persaud) signifiait pandit, mais le nom a été mal transcrit phonétiquement à l’origine par un employé anglais et il est resté. Sur le même document était écrit le nom du village d’où venait mon ancêtre, le port où il a embarqué et la date de son arrivée à Maurice, et il y avait également sa photo. Plus tard, j’ai également découvert les mêmes renseignements pour l’ancêtre de ma grand-mère maternelle qui venait elle aussi du Bihar. »
À partir de ces documents, Nili continue ses recherches sur internet pour localiser la province, la région et les villages du Bihar d’où étaient originaires ses ancêtres. Une fois les renseignements obtenus et vérifiés, elle contacte une agence de Delhi pour lui demander d’organiser son voyage “retour aux racines” pour ses deux enfants et elle. C’est en décembre de l’année dernière qu’ils quittent Maurice pour l’Inde où, après une halte à New Delhi, ils prennent l’avion pour le Bihar, où les autorités coloniales britanniques recrutaient les engagés indiens dans les villages reculés pour les envoyer travailler à Maurice en passant par le port de Calcutta.
Une fois installée dans un hôtel à Ghazipur dans la région Arrah, entre Patna et Danapur, Nili se met à la recherche du village d’où venait l’ancêtre de sa grand-mère maternelle, mais surtout de celui de son ancêtre paternel Gungah, qui habitait le village de Russain, selon le document d’origine. Le problème c’est que l’Inde rurale compte des millions de villages qui ne figurent pas toujours sur les cartes et qu’il en existe des dizaines de milliers au Bihar. Après avoir demandé des renseignements à gauche et à droite, Nili finit par localiser plus ou moins le village d’où serait peut-être parti le fameux Gangah à l’âge de 26 ans pour aller faire fortune dans une île de l’autre côté de la mer.
 « Au départ, le chauffeur-guide m’avait dit que le village, qui était à plus de cinq heures de route de la ville, n’existait peut-être plus. Mais nous avons persévéré, et après de longues heures de mauvaise route, nous sommes arrivés à Russain, un village agricole traditionnel, comme on le voit dans les films. Les femmes ne sortent pas sinon pour travailler, font la cuisine, s’occupent des enfants, et les hommes vont aux champs et à la ville pour vendre leur riz ou faire des achats de semences. Là, je me suis adressée à un membre du conseil du village pendant que les gens se rassemblaient autour de nous. Les papiers que j’avais avec moi ont été consultés, les noms prononcés et petit à petit les villageois ont établi les liens. Il y a un prêtre qui connaît l’histoire des familles des alentours, il y a un enseignant qui a travaillé dans les villages de la région. Au fil des rencontres, les villageois jouent les guides et nous conduisent au but. Dans d’autres cas, la recherche s’arrête net parce que la famille de l’ancêtre s’est éteinte, n’a plus de descendants, ou a déménagé. Mais dans mon cas, j’ai été chanceuse : on m’a conduit à la maison de celui qui était le descendant de ma famille du côté indien. »
Le premier contact est poli, mais un peu froid. Nili comprendra plus tard que l’arrivée de cette parente venue de l’étranger est accueillie avec un peu de méfiance naturelle. En effet, voici une parente dont on ignorait l’existence qui revient au village. Pourquoi ? Est-ce pour réclamer une part de la parcelle de terre qui appartient à la famille ? Une fois cette crainte dissipée, les choses se passent bien et Nili découvre qu’elle a un oncle paternel, un brahmane qui est pandit qui n’a pas d’acte de naissance mais qui doit avoir plus de 90 ans. Ses enfants sont également des pandits, sauf un de ses fils qui est fermier et gère ses plantations.
« J’ai donc retrouvé une branche de la famille que l’on ne connaissait pas du tout à Maurice. J’ai également découvert que là-bas, on utilise encore les recettes ayurvédiques comme à Maurice : accouchement, massage du bébé et de sa maman comme le faisaient mes tantes qui étaient sages-femmes. Cases en paille avec un sol en bouse de vache, comme c’était le cas dans certains villages de Maurice à l’époque de mon enfance. Je suis heureuse d’avoir fait ce voyage et d’avoir emmené mes enfants avec moi. »
Par la suite, Nili se rendra également dans le village d’où venait l’ancêtre de sa mère et où elle a découvert un autre oncle. Le contact s’est tellement bien passé entre Nili, ses enfants et ses cousins du Bihar qu’elle a été invitée à venir assister à un mariage en juillet. Elle a accepté l’invitation. À suivre le récit de Nili, retrouver ses racines familiales en Inde ne serait donc pas une chose très compliquée
« Quand on me dit que c’est impossible, je ne comprends pas. À partir du document des archives du MGI, il suffit de faire un peu de recherches et de poser les bonnes questions. Mais je commence à croire que, quelque part, les Mauriciens revendiquent leurs racines indiennes mais ont peur de les découvrir pour de vrai. On m’a parlé au Bihar de personnalités mauriciennes connues qui ont entamé les recherches pour remonter aux sources mais les ont abandonnées juste avant de rencontrer leurs cousins encore vivants. Je connais des gens qui refusent d’admettre que les ancêtres venaient du Bihar et prétendent qu’ils étaient originaires du Bengale. Peut-être que la réalité indienne ne correspond pas du tout aux légendes véhiculées dans les familles mauriciennes. ? En tout cas moi, j’encourage les gens à aller faire des recherches, à retrouver leurs racines et à découvrir les autres branches de leurs familles. Avec un peu d’organisation et de persévérance, c’est tout à fait possible et c’est tellement enrichissant au niveau spirituel et personnel. »

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