PORTRAIT : Patrick Crouche, un gay fier de l’être

Patrick Crouche, Mauricien installé en Australie depuis plus de vingt-cinq ans , vient de publier son premier  livre. Intitulé « A journey of Pride » avec comme sous-titre « From Mauritius to Melbourne ». C’est un roman très autobiographique qui raconte la vie de l’auteur depuis les petites rues de Beau-Bassin jusqu’aux larges avenues de la Cité de Melbourne. Dès que je suis arrivé à Melbourne, le mois dernier, on m’a parlé de Patrick Crouche et de son livre qui est une sorte de « coming out » littéraire. Un Mauricien qui parle ouvertement de son homosexualité, dans un livre et, qui plus est, à visage découvert : il méritait qu’on lui fasse son portrait. Le voici.
Un homme tout à fait bien dans sa peau, un gay qui vit avec fierté sa sexualité : c’est la première impression que l’on ressent en rencontrant Patrick Crouche. C’est vrai que Patrick a de quoi être heureux. Au niveau sentimental, il partage sa vie depuis plus de vingt-cinq ans avec Tony, son partenaire néo-zélandais. Au niveau professionnel, il est un haut cadre du service public australien ayant pris une retraite anticipée. Depuis qu’il est à la retraite, Patrick fait du bénévolat au sein d’une association qui travaille avec le milieu gay et lesbien et il s’est mis à l’écriture. En fait, avec « A journey of  Pride », il vient de réaliser un projet qui lui trottait dans la tête depuis des années. Plus exactement depuis 1983, quand il a pour la première fois reconnu son homosexualité en répondant à une question de son frère. Mais avant d’arriver à cette étape décisive de la vie de Patrick Crouche, penchons-nous sur la première partie de son existence. Il est né en 1955 à Londres, où ses parents étaient en vacances, son père étant un haut fonctionnaire de l’Education. Sa naissance à Londres lui donne droit à un passeport britannique qui sera un sérieux atout pour son avenir professionnel. Le fait qu’il détienne un passeport britannique — très recherché à l’époque — lui vaudra le surnom « d’anglais potiche » de ses camarades de classe. Revenu à Maurice, il grandit à la rue Téléphone — ancien nom de la rue Nappier Broome —, fait ses études primaire au BPS, et secondaires au collège du St-Esprit. Patrick a une enfance et une adolescence normale, mais n’est ni « enfant de choeur, ni scout », comme la plupart de ses amis. Au primaire, il obtient la petite bourse et a de bonnes notes au collège, assez pour avoir un « bon » HSC. Mais ce qui le passionne au collège, ce sont les discussions politiques de jeunes enseignants tout juste revenus de leurs études en Europe et qui ne jurent que par Marx, le socialisme, la lutte des classes, Mai 68 et rêvent de changer radicalement le système politique mauricien. Ces idées sont développées par un jeune parti politique, le MMM. « Il proposait de nouvelles idées séduisantes pour la jeunesse qui en avait ras-le-bol du système politique en place, du communalisme, des bagarres raciales, de la coalition coûte que coûte Duval-Ramgoolam, de l’état d’urgence, de la censure de la presse. Sans être du MMM, j’étais très proche de ses idées. » En 1975, juste après la révolte des étudiants, il quitte Maurice pour aller faire des études en Grande-Bretagne. Au départ Patrick voulait étudier la littérature et les lettres en France, mais son père, très austère, très strict, très à cheval sur les principes, lui conseille fermement d’aller étudier l’économie, sujet plus apte à procurer un emploi dans un pays nouvellement indépendant. Et surtout d’aller étudier en Grande-Bretagne avec un système d’éducation plus sérieux qu’en France. Plus rigide même, en fait. 
La « pièce »
Avant de quitter le pays pour ses études universitaires, Patrick avait fait la rencontre d’une jeune fille qui était devenue sa « pièce » (petite amie). Cette relation amoureuse va continuer épistolairement avec au moins une air letter par semaine pendant tout le temps des études de Patrick. A Londres, tout en suivant ses cours sérieusement, il vit pleinement sa vie d’étudiant dans une capitale où les Beatles et les Rolling Stones ont été remplacés par le mouvement punk et le rock par la pop. Mais, plus important, Patrick commence à se poser des questions sur sa sexualité en se rendant compte qu’il est définitivement plus intéressé par les garçons que par les filles. Il termine sa licence en économie, obtient une bourse du British Council pour faire une maîtrise a Brighton, ce qui lui permet de repousser de repousser à son retour à Maurice. Entre-temps, et après avoir beaucoup hésité, il avait fini par franchir le pas et confirmé physiquement avec un « professionnel » qu’il était tout à fait homosexuel. « Un jour je me suis décidé. Je suis allé dans une boite où il y avait des escort boys. J’en ai trouvé un sympa, qui m’a mis à l’aise et m’a démontré qu’elle était ma véritable orientation sexuelle. Cette expérience, suivie d’autres, a mis fin au malaise que je ressentais, aux questions que je n’osais pas tout à fait me poser. J’étais rassuré, d’une part, mais beaucoup moins de l’autre, du fait que je devais rentrer à Maurice. Où j’avais une ‘pièce’ qui m’attendait pour m’épouser. » Patrick rentre à Maurice, retrouve sa « pièce » qui commence à parler mariage, nombre d’enfants, trouve un job chez Ireland Blyth, retrouve ses amis et sa vie d’avant. Mais la pression pour le mariage s’accentuant, il décide de rompre en prétextant une incompatibilité d’humeur qui fait « que le mariage ne marchera pas ». Furieuse la « pièce » abandonnée débarque au bureau de Patrick, lui fait une scène et lui rend tous ses cadeaux et ses air letters soigneusement conservées. Le jeune homme se rend compte qu’il ne pourra pas vivre librement sa sexualité et décide de quitter le pays à l’issue de son contrat de trois ans. Entre-temps Patrick a rencontré un Français, un ami d’un ami de son frère en vacances à Maurice. Ce dernier qui vient le voir régulièrement à Maurice pour de brèves et discrètes rencontres lui propose de venir vivre avec lui à Paris. Patrick accepte. Les élections de 1982 ont lieu et avec elles le premier 60-0 de l’histoire politique du pays. Mais malheureusement quelques mois après cette victoire, le nouveau gouvernement ne tient pas ses promesses et le désenchantement s’installe. C’est à ce moment que survient la question qui va bouleverser — dans le bon sens — toute sa vie à venir : « Est-ce que tu est gay ? » A cette question que l’on ne posait pas dans l’île Maurice des années 1980, Patrick répond par l’affirmative. Quarante ans plus tard, dans le café de Melbourne où je l’ai rencontré le mois dernier, il se souvient encore de sa réponse. Ou plutôt des circonstances qui l’ont fait répondre à la question. « C’était à la fin d’une fête bien arrosée chez mon frère. J’étais resté pour aider à mettre de l’ordre et j’avais probablement bu un verre de trop. Comme mon frère. C’est ce qui lui a permis de poser la question. Je crois que ma belle-soeur avait surpris des conversations que j’avais eues au téléphone avec mon ami français et en avait parlé à son mari. Les femmes sentent mieux certaines choses que les hommes. Si je n’avais pas bu, je n’aurais certainement pas répondu. Je lui aurais probablement répondu dans un éclat de rire : ‘Comment tu peux me demander une chose pareille ?’ Mais j’avais bu et je crois que j’avais un immense besoin de répondre à cette question et de dire ce que j’avais sur le coeur. Alors, j’ai répondu oui. Ça fait sans doute cliché de le dire aujourd’hui, mais je dois reconnaître que quand j’ai répondu oui à la question de mon frère, sur le moment j’ai ressenti un immense soulagement. C’était comme si j’avais été libéré d’un poids. Cet aveu va tout déclencher. Je l’ai dit à mes parents qui ne comprenaient pas, qui culpabilisaient. Le fait que j’allais bientôt quitter le pays a rendu les choses plus faciles. Mes parents n’auraient pas à vivre cette réalité, à affronter le terrible qu’en-dira-t-on mauricien. »
Est-ce que tu est gay ?
Patrick quitte Maurice pour Paris où il va vivre avec son ami français dans les beaux quartiers. Pendant deux ans il va découvrir et apprécier la capitale française et rattraper le temps perdu en termes de sexualité. Puis, après deux ans d’une vie intense, il tombe amoureux de Thomas, un jeune Libanais, quitte les beaux quartiers pour s’installer avec lui dans la banlieue. Quelque temps après, il le suit à Chypre où les deux hommes travaillent comme enseignants. Deux ans plus tard, les autorités chypriotes ne renouvelant pas son permis de travail le couple décide d’aller vivre ailleurs. De préférence dans un pays libéral où les couples gays sont tolérés. Par hasard, Patrick tombe sur un guide gay avec un hit-parade des pays tolérant l’homosexualité. L’Australie y figure en assez bonne place avec une Gay Imigration Task Force, une ONG qui aide les gays désirant de s’installer en Australie. Sur les conseils de cette ONG, Patrick fait une demande pour un permis de résidence en Australie où son frère était déjà établi. Le permis de résidence est accordé et, en 1987, Patrick et Thomas débarquent à Sydney. Si Patrick trouve une situation dans le service public, Thomas, francophone farouche, n’aime ni le pays, ni les habitants, ni la langue et il refuse de s’adapter. Tandis que Patrick se fait facilement à sa nouvelle vie, ce n’est pas le cas de Thomas qui passe plusieurs mois sans travail, ce qui augmente la tension au sein du couple. Quand il obtient son permis de résidence il décide d’ouvrir une école de langues, se fait de nouveaux amis, devient indépendant et les choses vont de mal en pis au sein du couple. Finalement le couple se sépare, dans de très mauvaises conditions. Quelque temps après, Patrick rencontre Tony, un Néo-zélandais et s’installe avec lui, ce qui provoque la fureur de Thomas qui les harcèle, les menaces, les fait suivre. Les choses deviennent tellement compliquées que le nouveau couple décide littéralement de fuir Sydney pour s’installer à Melbourne.  
Le résumé de l’histoire de Patrick Crouche qui précède est raconté en détail, avec une jolie écriture et pas mal d’ironie dans « A journey of Pride ».
Pourquoi avez-vous écrit ce livre, pour qui ? « Je l’ai écrit pour plusieurs raisons, en fait. J’ai comme l’impression qu’à Maurice l’homosexualité est encore un sujet difficile à traiter. Je suis revenu plusieurs fois à Maurice en vacances ; je vois qu’il y a de nouvelles routes, d’assez jolis bâtiments, de grands centres commerciaux, mais je n’ai pas l’impression que les mentalités aient beaucoup changé. J’ai des amis de mon âge qui ont des fils qui sont gays ou des filles qui sont lesbiennes et ils ont énormément de difficultés à vivre avec cette réalité, qu’ils refusent de reconnaître. C’est extrêmement difficile de vivre entre eux et c’est pour ça que j’ai voulu raconter mon histoire. J’ai toujours été fier de ce que je suis et je pense que l’on peut vivre pleinement sa vie personnelle et être heureux professionnellement quand on est gay. Cela fait plus de 25 ans que je vis avec mon partenaire, mes parents sont au courant, nous sommes heureux ensemble. Je voulais à tout prix partager cette histoire. Ce n’est pas évident d’écrire un livre et surtout de parler de sa vie personnelle même sous une forme romancée. Je fais du bénévolat pour l’ONG qui m’a aidé à venir en Australie. A travers ce travail, j’ai rencontré des Mauriciens gays ou lesbiennes qui ont des partenaires à Maurice qu’ils veulent faire venir ici. À Maurice, m’ont-ils dit, les esprits changent lentement, c’est très difficile encore d’être tout à fait ouvert et de vivre sa vie pleinement quand on est gay ou lesbienne. Les Mauriciens de la communauté gay m’ont tous encouragé à publier ce livre que j’ai commencé il y a trois ans et pour lequel j’ai pris des cours d’écriture. J’espère que les gens trouveront l’histoire intéressante et qu’elle pourra, quelque part, aider ceux qui se trouvent dans la situation que j’ai vécue à l’époque.  Finalement, j’espère que mon histoire aidera à faire trouver des solutions et à faire face à certaines situations souvent dramatiques. »

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